Dans un Sahel ravagé par l’instabilité, les Forces armées maliennes (FAMa) incarnent une résilience stratégique en mutation. De l’opération Éclipse aux campagnes de reconquête dans le Nord-Est, elles imposent une nouvelle grammaire sécuritaire, entre tactiques renouvelées, souveraineté affirmée et alliances redéfinies. Quatre ans après la rupture avec Paris, le récit militaire malien s’écrit désormais au présent de l’autonomie.
Depuis janvier 2021, les Forces armées maliennes (FAMa) n’ont cessé de se transformer, de s’éprouver, de se redéfinir. Dans un Sahel en ébullition, devenu laboratoire de tous les chocs, les soldats de la souveraineté malienne ont écrit – souvent dans la poussière, parfois dans le sang – une page nouvelle de leur histoire. Une histoire dont les contours ont été dessinés par une vision : celle d’un retour intégral de l’État sur ses terres, voulu et assumé par le général d’armée Assimi Goïta.
Éclipse : le coup d’éclat tactique
Lancée en janvier 2021, l’Opération Éclipse symbolise le dernier sursaut d’un multilatéralisme sécuritaire encore balbutiant. Français, Nigériens, Burkinabè et Maliens, 3 400 hommes au total, déployés dans la région de Mopti pour porter un coup dur aux katibas du GSIM.
Dans les forêts de Foulsaré et de Serma, les pick-up fondent, les motos brûlent, et les Mirage français larguent leurs bombes sur les positions identifiées. Résultat officiel : une centaine de djihadistes neutralisés, vingt capturés, aucun doute possible sur l’efficacité tactique. Mais aussi, dès le 3 janvier à Bounti, un drame : l’ONU dénombre 19 civils tués. L’armée française conteste. Le doute s’installe. Les lignes se fissurent.
Ce fut l’un des derniers chapitres de la coopération directe avec Paris.
Ménaka, Tidermène et la montée noire de l’EIGS
Deux ans plus tard, en avril 2023, le décor est différent. La MINUSMA prépare sa sortie. Les instructeurs russes entrent dans le paysage. Le Mali se tourne résolument vers l’Est. À Ménaka, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ne se contente plus de harceler : il gouverne de fait. Les cercles entiers tombent dans son escarcelle, Tidermène le dernier. L’armée malienne, en posture d’encerclement, mène des opérations dans la région mais doit faire face à une guerre asymétrique, impitoyable. Le défi change de nature : il n’est plus seulement militaire, mais aussi politique, humanitaire, psychologique.
Ce que démontre cette séquence, c’est que les FAMa ne sont plus seulement une armée d’intervention, elles sont devenues une armée de présence. Dans le Nord-Est, à Bandiagara, à Boni, les frappes sont plus ciblées, mieux coordonnées. L’ennemi ne recule pas. Mais l’armée, mieux équipée, mieux formée, encadrée désormais par de nouveaux partenaires, tient bon. L’État-major parle de « continuité opérationnelle ». Les statistiques s’égrènent : 29 terroristes neutralisés à Bandiagara, 3 autres à Boni. Des chiffres qui ne disent pas tout, mais qui traduisent une détermination.
La géopolitique change, l’ennemi reste
L’une des tragédies les plus poignantes de cette guerre reste l’utilisation massive d’enfants soldats. Ils ont 12, parfois 8 ans. Ils sont éclaireurs, mules, boucliers humains. À Boni, l’armée le confirme : les enfants sont là, aux avant-postes. La lutte devient alors plus difficile encore. Peut-on tirer sur un enfant armé ? Doit-on hésiter ? La guerre impose ses propres dilemmes moraux.
Depuis la rupture avec la France, Bamako a refait ses alliances. Moscou, dans l’ombre, fournit formation et matériel. Sur le terrain, les FAMa avancent. L’ancien partenaire militaire est parti, mais les opérations se poursuivent. Et plus encore : elles s’intensifient. À Gao, à Gossi, dans le Gourma, le message est clair : le retrait des anciens partenaires n’a pas affaibli la volonté de reconquête. En novembre 2023, l’armée malienne foule le sol kidalois après plus d’une décennie d’occupation terroristes, malgré la présence d’une horde de partenaires militaires.
Le nerf de la guerre : gagner les cœurs
Car l’enjeu dépasse les chiffres et les cartographies. Il s’agit de reconquérir non seulement le territoire, mais la confiance. Chaque enfant sauvé, chaque école rouverte, chaque village sécurisé devient un bastion de la légitimité de l’État. La nouvelle doctrine l’a compris : il faut lier le fusil à la charrue, l’opération militaire à la justice sociale.
Le Mali d’Assimi Goïta, dans ses lignes de front et ses marges disputées, avance. Lentement. Douloureusement. Mais avance. Entre l’éclipse de l’ancien monde et l’incertitude du nouveau, les FAMa sont devenues le socle. L’armée, hier outil de l’État, est devenue l’État lui-même en territoire contesté. La souveraineté malienne ne se négocie plus : elle se conquiert, opération après opération.
A.D
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