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[Tribune] Sur les chemins du désespoir

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Un drame humain se joue en continu depuis des années dans le monde et particulièrement au Sahel et à ce jour les réponses apportées sont pour le moins inappropriées et assurément inefficaces.

Partout au Sahel, le nombre de candidats à l’émigration ne cesse de croitre, et les drames se multiplient sous le regard quasi impuissant du monde et particulièrement de ceux qui nous dirigent. Alors que la quasi-totalité des pays dans le monde adhérent à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’existence de « marché aux migrants » et la pratique

tendant à devenir récurrente consistant à « jeter » aux confins du désert sans eau ni nourriture des êtres humains désespérés constituent le summum de l’horreur et la négation des immenses progrès accomplis depuis maintenant des siècles par l’homme.

Des chiffres 

Quelques chiffres et faits actuels sur ce scandale de notre siècle et qui interpelle chacun de nous et plus fortement encore chacun de nos dirigeants : 

  • Près de 290 enfants ont péri au cours du 1er semestre 2023 en essayant de traverser la méditerranée, un chiffre deux fois plus élevé qu’en 2022 et près de 12 000 enfants ont fait la traversée ;
  • Près de 120 000 personnes ont débarqué depuis début 2023 en Europe via la Méditerranée, soit environ 24 personnes chaque heure de janvier à juillet 2023.
  • Près de 1800 personnes sont mortes ou portées disparues depuis janvier 2023
  • Pour les candidats à la migration partant du Sahel, les pays du Maghreb que sont le Maroc, la Tunisie et la Libye deviennent des verrous de plus en plus risqués et de plus en plus meurtriers comme en témoignent les tragédies survenues ces dernières années (23 migrants tués au Maroc en 2022, des migrantes régulièrement violées en Libye et certains systématiquement torturés, juin 2023 plus de 24 migrants ont perdu la vie dans le désert en Tunisie et des centaines de migrants illégaux ont été expulsés puis abandonnés dans le désert…)
  • Enfin, les nouveaux marchés aux esclaves, que nous croyons enfouis dans les ténèbres du passé, continuent à exister dans ce monde du 21e siècle.

Un pacte non contraignant juridiquement

Depuis 2018, a été signé le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières par 162 pays dans le monde dans lequel figure la coopération pour éviter les décès au cours des trajets migratoires et sauver des vies en mer et ailleurs, le renforcement de la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains et la lutte contre la migration irrégulière.

C’est une avancée même si le pacte n’est pas juridiquement contraignant.

En dépit de cette tragédie humaine, les voix des organisations régionales, continentales africaines se font peu entendre et les voix des pays sont encore plus faibles. Sommes-nous donc condamnés à être d’éternelles victimes de par le monde ?

Sans aucun doute, ces types de migrants sont de ceux dont la voix porte le moins dans le monde malgré une médiatisation sans précédent de ces dernières années. Un silence assourdissant troublé par quelques indignations d’ONG, des alertes médiatiques et des rapports bien documentés, règne pourtant dans la sphère dirigeante. Il ne faut alors guère s’étonner de la forte indifférence des peuples aux beaux concepts et belles théories sur les droits de l’homme, la démocratie et tous ces beaux espoirs parsemés tout au long de l’histoire, mais qui sonnent si creux aux oreilles de la majorité des populations.

Adoption de mesures fortes

Il convient dès lors que des mesures fortes soient prises par nos pays, par les organisations régionales et sous régionales, par les pays de transit et d’« accueil ».

Au niveau national, on pourrait commencer par des mesures de prévention à travers une campagne de communication et d’information plus vigoureuse, continue et fondée sur des exemples vécus et documentés à l’endroit des potentiels candidats à la migration par des moyens les plus utilisés et les plus accessibles sur les risques de la migration : des périls divers et variés des routes de la migration aux faux espoirs suscités par les pays d’accueil, de l’exploitation de l’espoir de la jeunesse par les vendeurs de morts aux drames humains quotidiens vécus dans les pays de transit.

La seconde mesure devrait viser le renforcement significatif des services en charge de la lutte contre ce type de migration et le renforcement du dispositif juridique pour sévir encore plus sévèrement contre la longue liste des intermédiaires sévissant sur ces chemins du désespoir.

La troisième mesure, de loin la plus difficile, mais la plus incontournable est d’ériger ces zones d’émigration à l’instar des zones qui attirent le plus de candidats au terrorisme comme zones prioritaires de développement. La solution à long terme contre ce fléau passe incontestablement par l’Économie par la mise en œuvre de grands projets structurants à même de changer la donne sur le terrain avec comme préalable évidemment la stabilité politique. Il s’agira outre l’accroissement de l’effort national en terme budgétaire, de mieux orienter et cadrer ces multiples projets de développement des pays occidentaux dont l’objectif ultime est de freiner l’émigration de notre jeunesse.

La quatrième mesure d’ordre diplomatique est de développer un lien avec les pays de transit, essentiellement les pays du Maghreb, un partenariat sur la question de la migration qui prendrait en compte nos préoccupations réciproques et les modalités de notre collaboration y compris dans les cas ou nos ressortissants seraient pris dans les filets des services de sécurité

de ces pays. L’autre volet de cette offensive diplomatique viserait à rendre juridiquement contraignant le pacte mondial sur les migrations par un effort de lobbying conjugué des pays du sahel.

Une coopération trilatérale au lieu de bilatérale

Dans le même ordre d’idées, il appartient aux pays de faire entendre leur voix au sein des organisations régionales et africaines pour que cette question de la migration et des drames qu’elle charrie soit au cœur des préoccupations de ces institutions.

Enfin, il conviendrait que l’on sorte du tête-à-tête pays de transit et pays d’accueil et que la coopération soit désormais trilatérale au lieu d’être bilatérale. Comme on dit dans notre pays, il est temps qu’on arrête de raser la tête d’une personne en son absence. Ce changement d’orientation est davantage du ressort de la CEDEAO voire de l’Union africaine que des pays pris isolément.

La politique de l’autruche pratiquée actuellement par toutes les parties doit cesser, un problème enfoui ne disparait pas, il grossit et sa résolution se complexifie avec son ampleur.

Le Sahel qui peine à contrôler ses routes et cette dynamique migratoire meurtrière et se retrouve trop souvent à venir ramasser ses morts, le Maghreb qui récolte les appuis des partenaires européens et passe par pertes et profits ses liens géographiques et historiques avec les pays au sud du Sahara, l’Europe qui, au final, accepte que la fin justifie les moyens et considère ces drames humains comme des dégâts collatéraux d’une stratégie d’arrêt de la migration irrégulière.

Cette tragédie n’est qu’une prémisse de ce qui se démontre chaque jour dans notre monde d’aujourd’hui : gagner ensemble ou périr ensemble.

Ces faits quasi quotidiens se poursuivent sous nos yeux et cette fois, personne ne pourra dire « Nous ne savions pas ». Quelqu’un disait que le degré de civilisation d’un peuple se mesure à la façon dont il traite les plus faibles. Après des milliers de siècles d’histoire et de leçons tirées, tâchons d’être à la hauteur de notre espoir de civilisation !

Moussa MARA

www.moussamara.com


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