C’est une lapalissade de dire que les relations entre le Mali et la France ne sont plus au beau fixe. Nous vous proposons des éléments de lecture permettant de comprendre, en partie, cette crise diplomatique entre Bamako et Paris.
Qui croire ? Qui ne pas croire ? Qui a commencé ? Qui n’a pas commencé ? Ce sont entre autres des questions de récréation qu’on entend poser à coup de tweets, de publications Facebook et de déclarations inamicales officielles. Pendant ce temps, l’on oublie les vraies questions qui méritent, à mon avis, d’être posées. Comment comprendre ces brouilles diplomatiques entre Bamako et Paris ? Comment faire pour sortir de cette crise diplomatique déjà consommée entre les deux parties ?
Avant toute réflexion, il est nécessaire de rappeler d’abord certains faits récents. Contre toute attente, l’ancien président de la transition Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane ont été mis « hors de leurs prérogatives ». C’est l’expression employée dans la déclaration de l’alors vice-président, lue le 25 mai 2021 à la télévision nationale malienne. Ce qui a mis fin aux rumeurs qui circulaient quelques heures plutôt sur les réseaux sociaux.
Expression tristement célèbre
Il fallait s’attendre aux réactions et condamnations de principe, du moins pour les rédactions. Parmi celles qui ont fait le plus de sensation, l’on a en mémoire celle venue de Macron depuis Bruxelles. Le président français l’a qualifié en ces termes : « un coup d’État dans le coup d’État, inacceptable ». L’expression est devenue tristement célèbre. Paris ne s’arrêtera pas : la ministre Florence Parly va annoncer début juin, dans la foulée, la suspension temporaire des opérations militaires conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa). Le nouveau Bamako n’y répondra pas sur le coup, même si l’on peut affirmer, à partir de ce que l’on sait, que cette décision n’a pas eu d’impacts notables sur le terrain. Avant la reprise officielle annoncée un mois après.
De leur côté, les militaires devaient mettre le paquet pour tenter de convaincre en premier lieu l’opinion nationale. Comment justifier ce nouveau coup de force militaire ? C’est la question que laisse voir le communiqué. Il était reproché à Bah N’Daw beaucoup de choses, notamment « de dysfonctionnement et de blocage » dans la conduite de la transition. Aux premières heures, cette thèse a eu du mal à passer, peut-être encore. La preuve : dans l’après-midi du 26 mai 2021, les militaires ont animé un point de presse pour tenter d’expliquer les raisons qui ont conduit à ce nouveau coup de force dans une transition déjà démarrée. D’autant plus que des sondages d’opinion ont révélé plus tard que la majorité des Maliens sondés était favorable à la gestion du trio Bah N’Daw – Assimi Goïta – Moctar Ouane.
Décision de la Cour constitutionnelle
Dans la foulée, du moins, dans cette situation confuse, la Cour constitutionnelle du Mali a déclaré Assimi Goïta président de la transition. Cela, à travers un arrêté sur la vacance du pouvoir le 28 mai 2021. Ainsi le deuxième coup de force, survenu en moins d’un an, est entériné, du point de vue institutionnel. Ce qui a suscité, à l’époque, de nombreuses réactions dans le milieu des juristes, y compris sur les réseaux sociaux et dans le débat public qui était lui-même dominé par le seul juridisme.
Malgré tout, le colonel Goïta sera investi, le 7 juin 2021, président de la transition devant la Cour suprême. Il reste à trouver un Premier ministre qui peut être accepté au niveau de l’opinion publique. Il déclara que la primature reviendra au M5-RFP, le mouvement contestateur qui a précipité la chute du régime IBK et qui a beaucoup critiqué la gestion de Bah N’Daw. Le porte-parole de leur comité stratégique, Choguel Kokalla Maïga, sera pressenti et confirmé Premier ministre. Le 11 juin 2021, un nouveau gouvernement de 28 ministres, dont trois ministres délégués, est formé.
La sémantique est importante
Pourquoi toute cette littérature, se demandent sans doute nos lecteurs. Les faits sont têtus, dit-on. L’opinion est devenue inaudible et nocive. Avec Choguel à la primature, les discours officiels vont foncièrement changer de tonalité. On va jouer sur la fibre patriotique et souverainiste, avec à l’appui un discours accusateur ou agressif. Comme celui prononcé à la tribune des Nations unies où il reproche à la France « une espèce d’abandon en plein vol ». La métaphore est bonne pour un sujet de dissertation. Pas peut-être dans le discours standard diplomatique basé sur la courtoisie. https://youtu.be/d-0Y-VAo07A
Paris continuera également de se montrer « discourtois » vis-à-vis de Bamako. A leurs yeux, il s’agit toujours de la « junte » et ils sont « illégitimes » (Le Drian). La sémantique est importante. Le choix des mots l’est encore plus. Sur ce plan, d’aucuns peuvent reprocher une certaine arrogance à Macron dans certains de ses propos concernant les pays africains. Liste non exhaustive : le Sommet de Pau pour lequel il a convoqué les chefs d’Etat du G5 Sahel pour, déclarait-il, « clarifier leurs positions » et ses déclarations sur le défi démographique en Afrique, il considère « 7 à 8 » enfants par femme comme étant un problème civilisationnel (2017).
Guerre informationnelle
Auparavant, ce « discours paternaliste » de Macron passait plus ou moins malgré les nombreuses indignations suscitées de part et d’autre. Avec la transition, dirigée par le colonel Assimi Goïta et son Premier ministre Choguel K. Maïga, qui est à la recherche de légitimité, celui-ci ne passe plus. C’est le moins qu’on puisse dire à ce stade du rapport dégradant entre Bamako et Paris : l’Ambassadeur français Joël Meyer rappelé, dénonciation par Bamako des accords militaires liant le Mali à la France… Guerre informationnelle autour du « vrai faux charnier » découvert à Gossi.
Au-delà de la détérioration des rapports entre ces deux pays, jusqu’à récemment partenaires stratégiques, la transition malienne est parvenue à se donner une certaine légitimité sur la scène nationale. Malgré qu’il y ait encore des critiques notables ou du silence radio chez certains par peur d’être inquiétés ou traités d’apatrides sur la toile malienne. Au niveau sous-régional et international, elle souffre toujours et beaucoup même, surtout avec cette histoire de Wagner et la question d’un chronogramme électoral sur une durée raisonnable. Sauf peut-être du côté de Kremlin.
Dans leurs rapports, Bamako et Paris sont désormais à un point très complexe, voire de non-retour, à moins qu’ils ne décident de revoir leurs copies : revenir à la raison pour se parler de façon responsable et amicale.
Sagaïdou Bilal
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