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Kidal : le jour où le Mali a relevé la tête

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Kidal, verrou symbolique du Nord malien et sanctuaire des rébellions touarègues depuis plus d’une décennie, est retombée le 14 novembre 2023 sous contrôle de l’armée malienne. Une victoire militaire autant qu’un acte politique fondateur pour Bamako, qui y voit la preuve éclatante de sa souveraineté retrouvée après des années d’humiliation et de tutelle internationale. Mais derrière l’image forte d’un État qui relève la tête, se profilent déjà les défis plus discrets — et plus exigeants — de la stabilisation, de la gouvernance locale et de la recomposition du jeu sahélien.

Il y a des dates qui, dans l’histoire tourmentée d’un pays, fonctionnent comme des bornes kilométriques. Le 14 novembre 2023 est de celles-là. Ce jour-là, à 1 600 kilomètres de Bamako, la ville mythique de Kidal, irritant fétiche des chancelleries, sanctuaire touareg, totem des rébellions successives, retombait — enfin — dans l’escarcelle de l’État malien. Et ce n’est pas seulement une victoire militaire. C’est un acte politique, une revanche historique, presque une psychanalyse nationale.

Car, pendant plus de dix ans, Kidal fut davantage qu’une anomalie administrative : un angle mort de souveraineté, une parenthèse humiliante dans la conscience malienne. Pour les présidents qui se sont succédé, elle était ce caillou dans la botte. On savait qu’il fallait le retirer, mais on reculait toujours l’instant. Le général Assimi Goïta, fin stratège, lui, n’a pas reculé, et l’a affronté. 

La revanche d’un État qu’on disait défait

Depuis 2012, le grand échiquier sahélien avait transformé Kidal en laboratoire de toutes les illusions : promesses d’autonomie sous perfusion d’ONG, médiations interminables, MINUSMA transformée en puissance tutélaire et un Accord d’Alger que chacun, en privé, jugeait d’une naïveté confondante — les séparatistes y trouvaient une légitimité, Bamako un piège, et les parrains internationaux du terrorisme une illusion de stabilité.

En 2023, les militaires maliens, redressés, reéquipés, réentraînés, cèdent à une impatience que beaucoup jugeaient légitime. Alghabass Ag Intallah, président de la CMA, avait averti début février 2023 les médiateurs internationaux accourus à Kidal — « Sans l’accord, nous sommes azawadiens ». Une phrase qui agit comme une provocation ultime. 

Cette déclaration intervenait un mois après le retrait des mouvements qu’il dirige des pourparlers consacrés à l’application de l’accord de paix. Le général Goïta y répond non par un discours, mais par une décision : la demande de retrait de la MINUSMA. Ce fut le début de la fin d’une décennie de mise sous tutelle molle.

L’offensive : modernisation express et nouveaux partenaires

L’armée malienne de 2023 n’a plus grand-chose à voir avec celle, décharnée, qui s’était effondrée en 2012. Les TB2 turcs, les hélicoptères russes, les blindés chinois VN22, les conseillers étrangers — oui — mais aussi une doctrine revisitée, une chaîne de commandement resserrée et un moral rendu à zéro — composent les ingrédients de cette réincarnation militaire.

Le Mali, désormais membre fondateur de la Confédération des États du Sahel (AES), créée le 6 juillet 2025, s’inscrit enfin dans une géopolitique régionale assumée, débarrassée des hypocrisies diplomatiques. Le Burkina Faso et le Niger, en soutien politique constant, adossent la reconquête du nord à un socle d’intégration militaire naissante.

Les frappes de drones, d’une précision nouvelle, ouvrent la route de Kidal. Le CSP-PSD, habitué autrefois à des armées mal équipées et à des mandats internationaux timorés, découvre soudain une FAMa modernisée, mobile, dure au combat, sûre d’elle. Le 14 novembre, les rebelles se replient. Kidal redevient malienne et le drapeau national y flotte de nouveau. Les administrations publiques sont de retour et un gouverneur y est nommé en la personne du général El Hadj Ag Gamou. 

La victoire et ce qu’elle révèle : une nation debout

Pour les autorités maliennes de la Transition — mais aussi pour une majorité silencieuse —, la scène est dense de symbolisme. Des habitants saluent les soldats, d’autres observent, méfiants, mais soulagés. L’État réinstalle les services de base, rouvre les marchés, remet les écoles en marche.

À Bamako, c’est un sentiment profond — presque intime — de réparation historique.
Kidal n’était pas simplement une ville perdue, c’était un honneur retrouvé. Mais sans rappeler que les victoires militaires, sont rarement la fin de l’histoire.

Le JNIM, appuyé par les sponsors étrangers du terrorisme, jamais vraiment éradiqué, entame une guerre d’attrition économique, jusqu’à la tentative désespérée d’imposer un blocus du carburant sur la capitale à la suite de l’interdiction de vente du carburant dans certaines conditions, dans certaines zones rurales. Les reconfigurations touarègues — CSP-DPA puis FLA — montrent que la question identitaire, politique et territoriale ne disparaît pas encore totalement parce que les sponsors étatiques étrangers sont entrés dans la danse avec l’intention de saboter les efforts des autorités maliennes de la transition.

Quant à la présence russe, elle nourrit autant la montée en puissance opérationnelle que des controverses, dont Bamako se passerait volontiers. Enfin, les réformes institutionnelles sous la transition — dissolution de l’accord d’Alger, adoption d’une Charte nationale pour la paix et la réconciliation, adoption d’une nouvelle constitution par référendum, ainsi que les Assises nationales de la refondation — posent les jalons d’une refondation, mais n’ont pas encore absorbé la complexité du « fait touareg ».

Kidal, point de départ plus que point d’arrivée

Les autorités maliennes de la Transition, depuis 2020, ont construit un récit : celui d’un Mali reconquis, affranchi des puissances étrangères, maître de son destin.

La reprise de Kidal a rendu au Mali quelque chose qu’on ne mesure pas dans un rapport militaire : la dignité. Elle a refermé une plaie ouverte depuis 2012. Elle a prouvé qu’un pays que l’on disait brisé peut se relever.

Mais elle a aussi ouvert un cycle nouveau — celui de la consolidation, du dialogue repensé, de la souveraineté assumée. Le général Assimi Goïta a remporté la bataille symbolique. Reste à gagner la paix durable. 

A.D


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