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Kant : « Consolation adressée à une mère » après la mort de son fils

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En 1760, un des anciens étudiants de Kant est décédé prématurément. Affligé par cette mort, son professeur adresse une lettre de consolation à la mère de ce jeune homme. Dans cette correspondance, Kant exprime ses pensées sur la mort prématurée.

« J’ai la profonde douleur d’annoncer le décès de mon fils Idrissa dit Idi à l’âge de 37 ans en ce samedi à 1 heure du matin », annonçait l’ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubeye Maïga, le 20 février 2021, sur sa page Facebook. C’est une épreuve difficile pour tout parent de voir mourir son enfant tout jeune, l’enterrer lui-même. Beaucoup sont les parents qui souhaitent partir avant leurs enfants, permettre à ceux-ci d’avoir la chance et l’honneur de les enterrer.

Tout comme Idi ou beaucoup d’autres jeunes gens, cette chance n’a pas été pour Jean-Frédéric De Funk. Cette chance d’organiser les funérailles de sa mère Agnès Élisabeth — veuve du capitaine de cavalerie de Funk, née De Dorthösen, héritière des biens de Kaywen et de Kahren en Courlande. Au contraire, c’est celle-ci qui a eu la lourde épreuve d’assister à la mort prématurée de son fils. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Kant, professeur de philosophie à l’académie de Königsberg, écrivit en 1760 une lettre de consolation à la mère de Jean-Frédéric De Funk.

« Cette lettre, qui remonte à l’année 1760, est vraiment une méditation philosophique, et par la noblesse des idées qu’elle exprime, par la haute moralité qu’elle respire, par le ton religieux qui y règne, elle méritait de figurer parmi les œuvres morales de Kant. », commentait en juillet 1855 Jules Barni, spécialiste et traducteur français des œuvres de Kant. Il ajoute : « On sentira, en la lisant, que chez ce grand philosophe le génie n’avait point étouffé le cœur. »

« Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger »

Pour le philosophe de Königsberg, la plupart des hommes passent leur temps à courir derrière les plaisirs de la vie. Et cela « sans se donner la peine de prendre garde aux bascules qui font tomber l’un après l’autre, à côté d’eux, leurs compagnons dans l’abîme, dont l’infini est la mesure, et qui finira par les engloutir eux-mêmes au milieu de leur course impérieuse ».

Ainsi cite Kant un ancien poète, sans le nommer, qui, pour Emmanuel, dresse « un trait touchant du tableau de la vie humaine, en représentant l’homme qui vient de naître ». A en croire ce poète, l’enfant commence par remplir « l’air de ses cris », lesquels sont plaintifs comme toute personne qui vient d’entrer dans un monde à problèmes. Ensuite, grandi ou devenu homme, il joint deux arts l’un à l’autre : à celui de se rendre malheureux, il ajoute « celui de se le cacher lui-même ». Et Kant de conclure que malgré que la mort soit de tous les maux celui auquel l’homme a le plus peur, il semble ne pas toujours tirer des leçons avec les décès des autres, sauf si certaines de ses relations éveillent son attention.

Et qu’en est-il de la guerre quand elle arrache presque tout ? Selon Kant, la guerre ouvre la voie à toutes calamités pour l’espèce humaine. Quelque chose à laquelle certains se montrent indifférents, même s’ils en sont directement touchés.

« Mais quand, dans le calme et la paix de vie civile, ceux qui nous touchent de près ou que nous aimons, et qui, ayant devant eux autant ou plus d’espérances que nous-mêmes […], ces personnes […] sont emportées au milieu du cours de leurs efforts […], alors il faut bien que la sensibilité se réveillent chez ceux qui cherchent à l’endormir au sein des distractions. »

Ce sont là quelques pensées graves éveillées en Kant suite à la mort prématurée de Jean, digne fils de madame Agnès Élisabeth. Car, affirme-t-il : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Rêve face à la mort

Nul n’échappe à la mort, reconnaît-on. L’homme se fait le schéma de sa vie sur terre, planifie son avenir, travaille à la réalisation de son destin — du moins, son destin qu’il se fait dans son imagination. Quand la mort frappe à sa porte, tout tombe à l’eau. Il ne sera plus de « ce monde fantastique ». Et ses envies et désirs partiront avec lui. Avec lui dans sa tombe, au cimetière. Kant rappelle cela à madame A. Élisabeth. Il la console avec cette réflexion, ces réflexions.

« Lorsque, de ce monde fantastique qu’il se crée à lui-même par son imagination et où il habite si volontiers, l’homme est ramené par son intelligence dans celui où la Providence l’a réellement placé, il est déconcerté par l’étonnante contradiction qu’il y rencontre et qui renverse complètement ses plans, en lui proposant une énigme indéchiffrable. »

Cette énigme indéchirable ici est la mort, laquelle dépasse le domaine de la raison pratique, le monde des phénomènes. Il est, avec Dieu et l’âme, du monde du noumène, sur lequel l’entendement humain ne peut que spéculer. Avec cette mort et la maladie, il arrive qu’on ne puisse pas jouir pleinement de sa jeunesse, une jeunesse des espérances. C’est en cela que Kant avance que « la Providence » (Dieu) peut nous procurer tous les biens de la vie et, par la suite, ne pas nous permettre d’en toujours profiter.

« L’homme qui a reçu en partage de l’habileté, du mérite, de la richesse n’est pas toujours celui auquel la Providence a accordé la plus large part des biens de la vie, et elle ne lui permet pas toujours de jouir du fruit de tous ces avantages ».

Seul le Sage est de tous celui qui « dirige surtout son attention sur la grande destinée qui l’attend au-delà de la tombe ». Il vit pour cela. Il n’oublie pas ce à quoi il est destiné, la mission que Dieu lui a confiée ici-bas. C’est une obligation pour lui de suivre cela afin d’avoir accès au poste que Dieu lui a réservé auprès de lui. C’est en ce sens qu’il fait tout avec sagesse et raison.

Pour Kant : « Un jeune homme plein d’espérances est mort, et combien de bonheur brisé ne croyons-nous pas avoir à regretter dans une perte si prématurée ? Mais dans le livre du destin peut-être en est-il tout autrement. »

Sagaidou Bilal Maîga

Source: Le sage Malien en herbe


KANT, Emmanuel, Œuvres philosophiques complètes, sous la direction de Magalie Schwartzerg, Arvensa Editions, 2020, 7123 p. ISBN : 979102730814 ( Consolation adressée à une mère, pp. 223-233).

Pour ne pas étouffer le texte avec les indications des numéros de page des passages cités, le blogueur a choisi de se contenter de citer ici la référence complète de l’ouvrage et l’emplacement de Consolation adressée à une mère dans celui-ci.

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