À Abidjan, tout semble déjà joué : le 25 octobre, Alassane Ouattara, 83 ans, part pour un quatrième mandat, adoubé par un Conseil constitutionnel docile et débarrassé de ses rivaux. Une victoire annoncée qui interroge : la Côte d’Ivoire s’offre-t-elle la stabilité, ou s’enferme-t-elle dans une démocratie sans alternance ?
À Abidjan, rien ne change et tout recommence. Le 25 octobre prochain, les électeurs ivoiriens iront voter, ou plutôt se résigneront à déposer un bulletin dont l’issue ne fait guère de doute. Alassane Ouattara, 83 ans, brigadera un quatrième mandat, validé sans sourciller par un Conseil constitutionnel désormais réduit au rôle de chambre d’enregistrement. Comme en 2020, comme en 2015, l’argument est rodé : la continuité, l’expérience, la stabilité. Mais derrière cette façade rassurante, l’air sent de plus en plus le renfermé.
Une opposition décapitée
Laurent Gbagbo, radié pour une condamnation qu’il n’a jamais reconnue. Tidjane Thiam, écarté au nom de sa double nationalité. Deux figures majeures éliminées du jeu politique par un cocktail de manœuvres juridiques et d’arguties administratives. Résultat : un champ de bataille déserté, où s’avancent quelques candidatures marginales – Simone Gbagbo en ombre portée, Jean-Louis Billon en entrepreneur reconverti, Ahoua Don Mello en dissident orphelin. Face à ce paysage désolé, Ouattara est seul en scène. Une victoire assurée, mais sans adversaire. Un sacre, mais sans ferveur.
Treize ans de pouvoir, bientôt seize si tout se déroule comme prévu. Le vieil économiste formé au FMI est devenu ce qu’il avait juré de ne jamais être : un chef d’État accroché au fauteuil, brandissant la Constitution comme un bouclier à géométrie variable. Officiellement, son quatrième mandat est légal. Politiquement, il est une gifle à ceux qui espéraient un souffle nouveau. Le discours de la stabilité masque mal l’usure d’un système qui, à force de verrouiller la scène, étouffe toute alternance et entretient le spectre de nouvelles violences post-électorales.
Un pays sur la corde raide
Car la Côte d’Ivoire n’est pas une île. Le Sahel voisin s’embrase, les djihadistes gagnent du terrain vers le sud, et les frontières du nord sont des passoires. Grand-Bassam en 2016, Kafolo en 2020 : les attaques ne sont pas un souvenir lointain, elles rappellent que l’éléphant ivoirien est vulnérable. Ajoutez à cela un contexte régional bouleversé : le Mali, le Burkina et le Niger, désormais ligués dans la Confédération des États du Sahel, tournent le dos à la CEDEAO et s’arriment à Moscou. Dans ce nouvel échiquier, Abidjan reste la pièce maîtresse de l’influence française et occidentale. Un atout stratégique, mais aussi une cible.
Premier producteur mondial, la Côte d’Ivoire continue de dépendre d’une fève qui ne nourrit plus ses planteurs. Six millions de personnes vivent du cacao, mais plus de la moitié sous le seuil de pauvreté. Sécheresse, qualité en baisse, transformation locale insuffisante : le modèle s’essouffle. Derrière les tours vitrées du Plateau, la jeunesse gronde, entre chômage chronique et inégalités régionales criantes. La croissance à 7 % ne se mange pas à table.
L’ultime paradoxe
Ouattara gagnera, sans doute dès le premier tour. Mais ce sera une victoire par défaut, plus proche d’une confirmation administrative que d’un véritable plébiscite. Le pays, lui, restera suspendu entre deux réalités : vitrine de stabilité pour les investisseurs étrangers, poudrière sociale et politique pour ses propres citoyens. Dans ce contraste se joue l’avenir ivoirien : celui d’un État présenté comme modèle régional mais prisonnier de ses vieux démons, incapable de penser la relève.
En Côte d’Ivoire, la présidentielle d’octobre 2025 n’est pas seulement une élection. C’est un révélateur : celui d’une démocratie qui tourne à vide, d’un pouvoir qui se survit à lui-même et d’un peuple qui, une fois encore, doit voter sans vraiment choisir.
A.D
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.