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[Interview] 2024 au sahel : regards critiques d’Ibrahima Harane Diallo

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Ibrahima Harane Diallo, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises et conflits, partage son analyse approfondie de la situation socio-politique au Sahel dans une interview exclusive accordée à Sahel Kunafoni. Il met en lumière les faiblesses institutionnelles des régimes de transition, les reculs des libertés d’expression, et les tendances communes dans les actions politiques des pays du Sahel. En évoquant les visions pour 2024, il souligne la continuité des initiatives politiques malgré les défis majeurs. Les priorités politiques, économiques et sociales des pays en transition, ainsi que l’avenir de l’Alliance des États du Sahel, sont également abordées. Concernant le message du Président de la Transition au Mali sur le retour à l’ordre constitutionnel en 2024, Ibrahima Harane Diallo exprime des réserves, mettant en avant des préoccupations liées à la sécurité, au calendrier, et à la concrétisation des actions annoncées.

Sahel Kunafoni : quelle lecture faites-vous de la situation socio-politique, en termes de bilan, des pays du Sahel ?

Ibrahima Harane Diallo : Il est important de rappeler que la situation sociopolitique dans les états du Sahel, notamment ceux de l’AES, tels que le Mali, le Niger ou encore le Burkina Faso, présente pratiquement les mêmes caractéristiques et les mêmes indicateurs. Il y a un certain mimétisme en termes d’actions politiques posées par les gouvernements de ces pays.

La situation politique est caractérisée d’abord par l’intervention des militaires dans l’arène politique, dans le système politique, qui se sont donnés comme priorité de remettre en cause tout le cadre politique et stratégique entre ces pays et la France.

D’autres structures occidentales, comme les opérations militaires Takuba, la francophonie, ont également été touchées par cette vision, ainsi que des organisations régionales au niveau de l’Union européenne. Ces situations politiques se caractérisent aussi, dans certains pays du Sahel, par la remise en cause des cadres de coopération diplomatique. 

Ces régimes politiques se caractérisent également par une certaine faiblesse d’exercices institutionnels, par la simple raison que ce sont des régimes de transition qui ne sont pas dotés, par exemple, d’assemblées législatives ou parlementaires légales. Il faut noter que ce sont quand même des organes législatifs qui se sont mis en place avec la bénédiction de ces militaires. Ce qui fait que ces structures ne parviennent pas à jouer réellement leur rôle en matière de contrôle des actions gouvernementales ou encore en matière de remise en cause de ces actions. Cet aspect constitue une variable qui a donné une sorte de carte blanche à l’exécutif en matière d’action et de conduite. 

Que reprochez-vous encore à ces régimes ?

On note également un recul des libertés, notamment des libertés d’expression. Il suffit d’analyser tout simplement, de prendre en compte de nombreuses arrestations, notamment des journalistes ou encore des leaders politiques dans ces pays. Certains qui ont fini par choisir le chemin de l’exil. 

De plus en plus, des initiatives se prennent en termes de rappel au retour à l’ordre constitutionnel. Au Mali aussi bien qu’au Burkina Faso, déjà, des initiatives politiques se prennent de plus en plus dans ce sens. D’ailleurs, le Burkina Faso fait face de plus en plus à des coups d’État manqués depuis l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir. Ce sont des signes qui montrent aujourd’hui qu’une partie importante des acteurs sociopolitiques de ces pays aspirent à un retour à l’ordre constitutionnel. 

En définitive, ces situations politiques, ces cadres politiques incarnent le renouveau en termes d’orientation, en termes de stratégie. Cependant, la question qu’on se pose est de savoir jusqu’où ira ce renouveau, cette dynamique. Ce renouveau résistera-t-il aux pressions ou encore aux initiatives de contestation du front politique au niveau de ces pays ? 

Au-delà du discours souverainiste et patriotique, il est important de rappeler l’intégration des leaders syndicaux dans le système institutionnel, ce qui a contribué à apaiser le front social. Cependant, jusqu’où ces stratégies vont résister à l’épreuve du temps. C’est la principale question qui se pose.

Alors quelles visions pour l’année 2024 ?

Il est certain que les régimes transitoires maintiendront leur dynamique actuelle, sans prévoir d’évolution particulière ou significative. Les initiatives politiques et stratégiques seront poursuivies dans la voie déjà enclenchée, malgré les défis considérables auxquels ils font face. Une inquiétude subsiste cependant quant à la pression croissante du front politique. 

À la longue, l’année 2024 sera caractérisée par des actions politiques visant à renforcer le cadre régional, notamment l’Alliance des États du Sahel (AES). Des rencontres stratégiques entre les Premiers ministres des pays de cette Alliance, comme celle récemment tenue à Niamey, indiquent que des initiatives importantes seront prises pour renforcer cet outil au niveau régional. 

Il est également prévu de renforcer les piliers des transitions en cours, avec une observation croissante d’une moindre volonté des régimes transitoires de quitter le pouvoir en faveur de l’organisation d’élections. Ainsi, des actions politiques et stratégiques visant à consolider leur maintien au pouvoir devraient être intensifiées tout au long de l’année 2024.

Quelles doivent être les priorités politiques, économiques et sociales de ces pays ?

Pour les régimes de transition, la priorité doit être principalement les aspects politiques. Il faut souligner que les transitions ne devraient pas perdurer, car les grandes questions sociales et économiques nécessitent des gouvernements légaux et démocratiques avec des institutions légitimes. La priorité politique principale devrait être le retour à l’ordre constitutionnel, comme récemment souligné par le Président malien de la transition dans son message à la nation. Toutes les initiatives et tous les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif doivent être mis en œuvre. Les transitions de 4-5 ans sont déjà trop longues.

Au-delà des questions politiques, une autre priorité pour l’année 2024 est le renouveau diplomatique dans les pays du Sahel. La diplomatie actuelle des régimes de transition est axée sur la contestation et la protestation. Il est impératif de passer d’une diplomatie de crise à une diplomatie de développement. L’idée est de renforcer le cadre de coopération économique, tant avec les pays voisins qu’au niveau régional et international. Les difficultés économiques actuelles nécessitent une coopération accrue sur le plan régional et international pour trouver des solutions durables aux défis économiques rencontrés par ces pays.

Quel avenir pour l’Alliance des États du Sahel (AES) ?

Concernant l’avenir de l’AES, l’Observatoire avait des réserves sur le choix de créer une nouvelle organisation de défense et de sécurité au lieu de capitaliser sur les acquis du G5 Sahel. Plus d’un an après la signature du pacte Kaki, les résultats concrets sur le terrain sont limités, et les actions restent essentiellement politiques et diplomatiques. 

Des inquiétudes subsistent quant à la capacité de l’AES à fonctionner efficacement, notamment en raison des difficultés économiques auxquelles les États membres font face. Les dispositions de la charte de l’AES, telles que l’exclusivité des contributions financières des pays membres et la prise de décision à l’unanimité, pourraient entraver son efficacité.

Au Mali, le Président de la Transition rassure de la poursuite des efforts en 2024 pour un retour apaisé et sécurisé à l’ordre constitutionnel. Comment avez-vous reçu cette assurance ?

Par rapport au message du Président concernant le retour à l’ordre constitutionnel, il n’a pas surpris, mais des inquiétudes subsistent. Les termes utilisés, « retour sécurisé et apaisé », manquent de clarté quant au niveau de sécurité requis et au coût associé. Les actions prévues, telles que la mise en œuvre d’un cadre de dialogue, suscitent des questions sur la durée et les moyens nécessaires. La prudence est de mise, et l’assurance du Président doit être évaluée en fonction des actions concrètes entreprises par la transition.

Propos recueillis et retranscrits par Bakary Fomba 

Source: Sahel Kunafoni

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