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Dette, colère sociale et institutions à bout de souffle: la France au bord du gouffre

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Sous tension politique, enlisé dans la dette et miné par une société en colère, l’Hexagone vit en 2025 l’une des crises les plus profondes de son histoire contemporaine. Entre fragilité économique, effondrement institutionnel et perte d’influence en Europe, la France se découvre au bord d’un déclassement irréversible.

L’histoire s’écrit parfois dans le silence d’un désert et la poussière d’un convoi militaire. Ce 16 septembre 2023, à Bamako, Ouagadougou et Niamey, les chefs de l’État décident d’unir leur destin et de signer ce qui, rétrospectivement, apparaîtra comme un acte fondateur : la naissance de l’Alliance des États du Sahel (AES). Officiellement conçue comme un pacte de solidarité militaire et politique, cette confédération est devenue, deux ans plus tard, l’un des principaux catalyseurs de l’affaiblissement structurel de la France en Afrique et, par ricochet, sur la scène mondiale.

La crise française est totale

Bien avant la création de cette alliance, la perte d’influence de la France dans ces pays avait déjà commencé à travers notamment l’éviction de Barkhane et des bases françaises. Une perte qui s’est acceléré avec la perte progressive des gisements stratégiques comme l’uranium nigérien, l’érosion inexorable des parts de marché françaises et la montée en puissance de nouveaux partenaires — Russie et Chine en tête. Des situations qui ont redessiné les équilibres d’une région longtemps considérée comme l’arrière-cour de Paris. L’AES, par son existence même, a transformé le Sahel en laboratoire d’émancipation postcoloniale, révélant aux yeux du monde l’obsolescence d’un système françafricain à bout de souffle.

Car la rupture ne se limite pas à la sphère économique ou militaire. Elle est symbolique et presque civilisationnelle. Pour la première fois depuis l’indépendance, des États sahéliens imposent leur tempo et contraignent la France à réagir, souvent trop tard, toujours en position défensive. L’Hexagone, affaibli à domicile par une dette abyssale et une crise institutionnelle rampante, ne peut plus maintenir ses positions extérieures. Le Sahel est devenu le miroir cruel d’une puissance en déclin, incapable d’empêcher l’inévitable recomposition géopolitique en cours.

On le répète depuis des mois, mais les chiffres, eux, ne mentent pas. Jamais, depuis 1958, la Cinquième République n’avait traversé une telle zone de turbulences. Politique, économique, sociale : la crise française est totale, systémique, et pose une question qui dépasse la seule actualité conjoncturelle — le modèle hexagonal, longtemps célébré pour son équilibre entre État fort, protection sociale et vitalité démocratique, est-il encore viable ?

Les racines d’un mal ancien

Tout commence avec une réalité budgétaire implacable : depuis 1974, aucun budget équilibré. Une trajectoire de dette publique passée de 14 % du PIB il y a un demi-siècle à plus de 113 % aujourd’hui, soit 3 345 milliards d’euros. Les crises successives — 2008, le Covid — n’ont fait qu’accélérer une pente déjà glissante. Mais réduire le mal français à ses chiffres de dette serait réducteur. Car le pays souffre d’un double handicap : une compétitivité industrielle en berne et un système partisan laminé.

Pendant que Berlin s’appuyait sur son Mittelstand pour imposer une industrie à forte valeur ajoutée, Paris s’est contenté d’un « milieu de gamme » peu compétitif. Résultat : déficit commercial chronique et taux d’emploi faible (68 %, contre 77 % outre-Rhin).

Et puis, il y a l’explosion du vieux système politique : PS et LR relégués à des marges microscopiques, et à la place, un triangle infernal — macronistes au centre, RN à droite, LFI à gauche. Tripolarisation brutale, fin du compromis, paralysie institutionnelle.

Économie et société en apnée

Au sommet de cette pyramide vacillante, un président, Emmanuel Macron, qui aura incarné à la perfection l’hybris jupitérienne. Dissolution en juin 2024, faite presque par convenance personnelle, chute successive de cinq Premiers ministres en moins de deux ans, multiplication des 49.3 et des ordonnances… jamais la personnalisation du pouvoir n’avait atteint un tel degré. Le problème de la France, diront certains, se résume à un seul homme : un chef de l’État qui n’écoute rien ni personne et dont l’autorité ne tient plus que par la répression.

Avec une croissance attendue de 0,6 % en 2025 — la plus faible depuis 2012 hors Covid — et une productivité en recul, la France est menacée d’une « stagnation séculaire ». Le chômage des jeunes explose (+8,5 % fin 2024), la pauvreté ne recule pas, et la colère sociale gronde. Le 10 septembre dernier, entre 175 000 et 250 000 manifestants ont défilé sous la bannière « Bloquons tout », énième symptôme d’une société fragmentée, désabusée, qui ne croit plus aux promesses d’un État incapable de réformer autrement qu’à coups de rustines. Après cette mobilisation du mercredi dernier, ce mouvement de contestation veut s’inscrire ses actions dans la durée. Plusieurs actions sont prévues ce samedi 13 et dimanche 14 septembre.

Risques systémiques

Tout y est : dette insoutenable, déficit abyssal, menace de déclassement par les agences de notation, taux d’emprunt supérieurs à ceux de l’Italie. Et surtout une architecture institutionnelle incapable de gérer la tripolarisation. « Crise constitutionnelle », alerte Robert Boyer, du CNRS, qui voit converger crises économiques, sociales, politiques et budgétaires dans un tourbillon dangereux.

À Bruxelles, Paris n’impressionne plus. Pendant que Giorgia Meloni, en Italie, projette une image de solidité, la France devient le « malade de l’Europe ». Affaiblie à l’intérieur, marginalisée à l’extérieur, le pays risque la double peine : perdre sa cohésion et son influence.

Et maintenant ?

À Paris, certains veulent croire à une parenthèse, à un accident de l’histoire que de nouvelles générations d’élites africaines refermeront. Mais il s’agit là d’un malentendu. Ce qui se joue au Sahel, avec l’AES comme étendard, relève moins d’un simple rééquilibrage que d’un basculement durable. La perte de ressources, de marchés et d’influence n’est pas réversible. Elle traduit une dynamique structurelle où la souveraineté africaine avance au rythme où recule la rente géopolitique française.

L’AES aura donc précipité le déclin français en révélant la réalité. Loin d’être l’exception, elle annonce ce que sera demain la relation de l’Afrique avec l’Occident — une relation débarrassée de ses tutelles, ouverte à d’autres horizons, ancrée dans l’idée de dignité retrouvée. Pour la France, l’histoire est peut-être cruelle, mais elle est implacable : le temps des protectorats déguisés est révolu. Le Sahel en aura été l’acte de décès officiel.

Mais rien n’est irrémédiable, mais le temps presse. Réformer, simplifier, innover, redresser les finances, restaurer la compétitivité, repenser les institutions — autant de chantiers herculéens, que Macron n’aura sans doute pas la légitimité pour mener à terme.

La France est à la croisée des chemins : électrochoc salvateur ou prélude à un déclin durable. Une certitude demeure : le modèle actuel, fait d’un État obèse, d’institutions présidentialistes et d’une économie qui s’essouffle, a atteint ses limites.

A.D


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