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Côte d’Ivoire :  quatrième mandat de Ouattara, entre légalité constitutionnelle et risques d’instabilité

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L’annonce par le président ivoirien Alassane Ouattara de sa candidature à un quatrième mandat lors de l’élection présidentielle d’octobre 2025 marque un tournant à la fois politique, institutionnel et symbolique pour la Côte d’Ivoire. Si le chef de l’État invoque la légalité de sa démarche en se fondant sur la réforme constitutionnelle de 2016, cette décision ravive de profondes inquiétudes sur la résilience démocratique du pays, la cohésion sociale et les implications sécuritaires et économiques, dans un contexte régional déjà extrêmement volatil.

L’argument de la remise à zéro des mandats consécutifs grâce à la Constitution de 2016 a déjà été mobilisé lors de la présidentielle de 2020, suscitant de vives controverses. À l’époque, cette lecture du droit constitutionnel avait été jugée cynique par une large frange de l’opposition, qui y voyait une manœuvre pour pérenniser un pouvoir personnel. Le retour de ce même raisonnement en 2025, pour justifier une nouvelle candidature, ne fait qu’accentuer le malaise. Si le texte fondamental autorise effectivement cette possibilité, la répétition d’un tel acte électoral soulève des questions sur la culture démocratique en Côte d’Ivoire, où l’alternance politique reste perçue comme un exercice à géométrie variable.

La situation est d’autant plus préoccupante que plusieurs figures de l’opposition, notamment l’ancien président Laurent Gbagbo ou encore Tidjane Thiam, ont été disqualifiées du processus électoral, réduisant de manière significative l’offre politique face à un président sortant disposant de tous les leviers de l’appareil d’État. Ce déséquilibre alimente un climat de défiance généralisée, qui risque d’attiser les tensions au fil de la campagne.

Une paix fragile face aux risques sécuritaires

Si la Côte d’Ivoire bénéficie aujourd’hui d’une relative stabilité institutionnelle, les cicatrices des crises passées ne sont pas complètement refermées. Le souvenir des violences post-électorales de 2010-2011, comme celles survenues en 2020, est encore vivace. La probabilité de tensions pendant la campagne électorale reste élevée, surtout si l’opposition ou une partie de la société civile estime que les règles du jeu ne sont pas équitables.

Sur le plan sécuritaire, le pays est également confronté à une menace jihadiste persistante dans ses régions septentrionales. Depuis l’attaque de Kafolo, la pression exercée par les groupes terroristes affiliés à AQMI et au JNIM s’est intensifiée. Les autorités ivoiriennes ont certes renforcé les capacités de surveillance et de riposte, mais le risque d’attaques ciblées ou d’infiltration dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Mali reste réel. Dans un tel contexte, une instabilité politique intérieure viendrait accentuer la vulnérabilité du pays, créant un terrain favorable à une déstabilisation plus large.

Une locomotive économique en équilibre instable

Sur le plan économique, la Côte d’Ivoire affiche l’un des taux de croissance les plus dynamiques de la sous-région, avec une projection de +6 % pour l’année 2025. Cette performance repose notamment sur la diversification des investissements, la stabilité monétaire assurée par l’ancrage au franc CFA et le développement des infrastructures. Toutefois, cette dynamique reste conditionnée à un climat politique apaisé et prévisible.

Toute dérive autoritaire, toute crise de légitimité électorale ou tout épisode de violence urbaine pourrait remettre en cause les engagements des bailleurs et faire fuir certains investisseurs. En tant que pilier économique de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire joue un rôle central dans les échanges régionaux. Une instabilité prolongée à Abidjan pourrait ainsi provoquer un effet domino sur les économies voisines, notamment celles déjà fragilisées comme le Mali ou le Burkina Faso.

Entre continuité institutionnelle et urgence démocratique

La candidature d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat incarne un paradoxe ivoirien, celui d’une légalité constitutionnelle invoquée dans un contexte de faible légitimité perçue. Si le président ivoirien entend garantir la continuité et la stabilité, cette démarche pourrait, à l’inverse, raviver les tensions, exacerber les divisions politiques et compromettre les acquis économiques.

L’enjeu pour la Côte d’Ivoire ne se résume pas à une simple élection, mais à la capacité du pays à affirmer sa maturité démocratique et à instaurer un jeu politique plus inclusif, condition essentielle pour préserver la paix sociale et consolider son rôle de leader régional.

Ibrahim Kalifa Djitteye


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