L’ancien Premier ministre, chantre autoproclamé de la souveraineté et pourfendeur des élites corrompues, a été placé sous mandat de dépôt pour « atteinte aux biens publics ». Derrière les envolées patriotiques, un masque tombe : celui d’un tribun qui dénonçait chez les autres ce qu’il pratiquait lui-même.
Le rideau est tombé, et cette fois ce n’est pas Choguel Kokalla Maïga qui en tire les ficelles. Mardi 19 août 2025, la Cour Suprême a officialisé ce que Bamako murmurait depuis des jours : l’ancien Premier ministre de la Transition est désormais sous mandat de dépôt. Officiellement inculpé pour « atteinte aux biens publics », « faux et usage de faux », « blanchiment d’argent » et « complicité« , il rejoint la longue liste des politiciens maliens que la justice finit par rattraper.
Le communiqué qui accable
Le communiqué n°001/PG-CSM, signé du procureur général Mamoudou Timbo, est d’une clarté glaçante. Les faits reprochés concernent « plusieurs milliards de francs CFA » et portent sur la gestion du budget de la Primature entre 2021 et 2024, ainsi que sur des contrats de marchés conclus dans le cadre d’une convention de partenariat avec l’AGTIER.
Choguel n’est pas seul dans la tourmente : des fonctionnaires et opérateurs économiques sont également visés. Mais dans cette affaire, c’est bien son nom, symbole d’une Transition qu’il a contribué à incarner, qui focalise l’attention. L’homme qui fustigeait l’Occident et se posait en garant de l’intégrité nationale est aujourd’hui accusé de dérives dignes de ceux qu’il dénonçait.
Le paradoxe d’un discours et d’une pratique
Choguel Maïga aimait se présenter comme l’homme des principes, le tribun inflexible qui dénonçait tour à tour les dérives des régimes passés, l’ingérence occidentale et les compromissions de ses adversaires. Mais voilà que son nom se retrouve associé aux mêmes maux qu’il prétendait combattre : gestion douteuse des deniers publics, favoritisme, manque de transparence. Ceux qui l’érigeaient en modèle découvrent aujourd’hui un paradoxe cruel : l’apôtre de la souveraineté nationale éclaboussé par des soupçons de prédation.
L’ironie n’échappera à personne. Chef du M5-RFP, Choguel avait incarné la contestation acharnée contre Ibrahim Boubacar Keïta avant d’embrasser, avec un zèle soudain, la Transition militaire née des changements de pouvoir intervenus en 2020 et 2021. Premier ministre improvisé, il s’était mué en porte-parole d’un souverainisme enflammé, n’hésitant pas à vitupérer contre la France, la CEDEAO ou les « ennemis de l’intérieur ». Ses discours martiaux faisaient vibrer les foules, mais sa pratique du pouvoir ressemblait trop souvent à celle qu’il dénonçait : exclusion des contradicteurs, gestion opaque et culte de la personnalité.
Le verbe haut, mais des actes faibles
Face aux juges, Choguel s’est voulu stoïque : « Un homme politique doit s’attendre à tout, y compris à la prison et à la mort », a-t-il lâché. Une posture de martyr qui en dit long sur son habileté à retourner les situations à son avantage. Mais derrière la rhétorique, une évidence : s’il est aujourd’hui sous les verrous, ce n’est pas pour ses idées souverainistes mais pour la manière dont il aurait géré les fonds publics. Ses partisans dénoncent une cabale. Ses détracteurs y voient la confirmation d’un secret de polichinelle : Choguel n’a jamais incarné l’intégrité qu’il revendiquait.
Son ancien directeur de cabinet, le professeur Issiaka Ahmadou Singaré, 80 ans, poursuivi dans le même dossier, mais laissé en liberté, fait figure de fusible. Choguel, lui, paie au prix fort ses contradictions. Hier donneur de leçons, aujourd’hui détenu, il illustre à merveille cette génération de politiciens maliens prompts à invoquer la souveraineté, mais incapables d’appliquer à eux-mêmes les exigences de rigueur qu’ils imposent aux autres.
Un avertissement politique
Au-delà de l’homme, à travers ce mandat de dépôt, la Transition montre qu’aucun « grand faucon » n’est intouchable. Après avoir bâti sa légende sur des envolées verbales contre l’Occident et sur un « patriotisme de façade », Choguel Maïga se retrouve à nu, réduit à ce qu’il a toujours fui : un justiciable ordinaire.
Et si ses mots résonnent encore dans certains cercles militants, sa mise en détention rappelle à tous qu’au Mali, l’heure des illusions est passée. L’homme des discours flamboyants s’est fait rattraper par la réalité la plus triviale : celle des comptes à rendre.
A.D
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