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Billet. Quand la seringue devient une menace : le combat impossible de la vaccination au Sahel

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Entre l’hostilité des djihadistes et le verrouillage des régimes militaires, la vaccination au Sahel devient une bataille où la vie des enfants se joue entre dogmes et calculs politiques.

Dans le grand cimetière des illusions humanitaires, le Sahel occupe une place de choix. Ici, la vie d’un enfant n’a souvent d’autre valeur que celle que veulent bien lui accorder les hommes en armes. Les djihadistes voient dans la seringue du vaccinateur un cheval de Troie occidental. La population est ainsi prise en otage et condamnée à vivre sous le joug de la fièvre, des épidémies et de la peur.

Le paradoxe est cruel. À Bamako, à Ouagadougou, à Niamey, on promet la souveraineté, on fustige l’ingérence étrangère, on clame que l’Afrique doit se prendre en main. Mais pendant ce temps, les dispensaires ferment, les stocks de vaccins pourrissent dans des entrepôts inaccessibles, et les campagnes de santé publique sont reléguées au rang de vœux pieux.

Les djihadistes et la seringue du diable

Dans leur croisade contre tout ce qui porte l’empreinte de l’Occident, les groupes djihadistes du Sahel ont fait de la vaccination une cible prioritaire. La seringue, à leurs yeux, est une arme insidieuse, un outil de corruption des âmes et des corps. On l’accuse de stériliser les enfants, de diffuser des maladies, d’être un poison culturel injecté par les infidèles. Dans certaines zones sous leur contrôle, interdire les vaccins est devenu un acte de résistance idéologique.

Et pourtant, l’histoire récente montre que ces idéologues savent aussi composer avec la réalité. Quand la rougeole ou la polio frappent trop fort, quand les cadavres d’enfants s’amoncellent dans les cases, certains chefs de guerre ferment les yeux et laissent passer les agents de santé. Un pragmatisme morbide, où la vie ne pèse jamais plus lourd que la survie du groupe.

Les militaires et l’obsession du contrôle

Mais le plus grand paradoxe, c’est que ceux qui prétendent restaurer l’autorité de l’État sur ces territoires abandonnés se révèlent être, eux aussi, des freins à la vaccination. Depuis la prise du pouvoir par les juntes au Mali, au Burkina Faso et au Niger, l’espace humanitaire s’est réduit comme peau de chagrin. Sous couvert de lutte contre l’ingérence, les ONG sont entravées, surveillées, parfois même expulsées. Accéder aux populations vulnérables est devenu un défi bureaucratique autant que logistique.

La conséquence ? Une explosion du nombre d’enfants non vaccinés. En 2023, au Mali, au Tchad et au Soudan, les taux de couverture vaccinale se sont effondrés, ouvrant la voie à une résurgence des maladies oubliées. Polio, diphtérie, coqueluche : des fléaux qu’on croyait éradiqués font leur grand retour, rappelant aux nouvelles autorités que l’on ne gouverne pas seulement avec des discours martiaux et des promesses de grandeur.

Le prix du refus

La guerre contre les vaccins est une guerre contre soi-même. Un pays qui laisse mourir ses enfants d’épidémies évitables se condamne à l’échec. Car derrière ces chiffres de mortalité infantile, il y a un enjeu bien plus vaste : celui de la confiance entre un État et son peuple. Lorsqu’un parent ne peut plus faire vacciner son enfant parce que les routes sont minées, parce qu’un chef de guerre le lui interdit, ce parent apprend une chose essentielle : il est seul.

Alors que faire ? Il n’y a pas de solution miracle, mais il y a une certitude : refuser l’aide internationale, entraver les ONG, sacrifier la santé publique sur l’autel de la souveraineté ne feront que précipiter la région dans l’abîme. Si les régimes militaires du Sahel veulent réellement restaurer leur légitimité, ils doivent commencer par garantir l’accès aux soins et à la vaccination, au lieu de voir dans chaque seringue un complot étranger. Au Mali, à travers ses œuvres sociales, le président de la transition, le général Assimi Goïta, contribue largement à combler le vide laissé par les ONG humanitaires en matière de fourniture de soin de santé. 

Car l’ennemi, ici, ce n’est pas l’Occident. Ce n’est pas non plus la coopération humanitaire. L’ennemi, c’est la maladie, la mort évitable, et l’aveuglement politique qui les laisse prospérer.

Si le Sahel veut un avenir, il devra choisir entre les balles et les vaccins.

A.D


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