Abdoulaye dit Allaye Koita est le président du mouvement En Avant. Un mouvement créé suite à l’élection législative de 2007 à laquelle il a participé comme candidat indépendant à Mopti. Nous avons eu avec lui un entretien téléphonique, mardi 4 mai 2021, sur la proposition de loi de Magma Gabriel Konaté visant à « accorder une pension de retraite aux anciens présidents de l’Assemblée nationale et de tout autre organe parlementaire ou législatif en République du Mali ». M. Goita est catégorique : ni le contexte, ni le moment ne sied à cette proposition et Magma Gabriel n’est pas encore le mieux indiqué.
Sahel Tribune : comment comprenez-vous la proposition de loi visant à octroyer des pensions de retraite aux anciens présidents de l’Assemblée nationale du Mali ?
Abdoulaye dit Allaye Koita : j’ai appris cette nouvelle avec un grand émoi. Elle m’a beaucoup surpris vu la situation économique que nous vivons depuis bien avant la chute du régime IBK. Comment comprendre qu’une transition qui devrait parler de sécurité et d’organisation des élections se donne le droit de faire des propositions qui n’ont rien à voir avec ces priorités. Que celui qui a été désigné pour défendre les artistes et les hommes de culture se préoccupe plutôt de la retraite des anciens présidents de l’Assemblée nationale. C’est juste inacceptable.
Les anciens présidents de l’Assemblée nationale n’ont-ils pas droit à cette pension ?
Dans un pays comme le Mali, ces présidents bénéficient déjà de la pension parlementaire. Quelqu’un qui a fait cinq ans de mandat à ce poste de président n’a pas besoin d’une telle aide dans un pays pauvre comme le Mali.
J’ai encore été plus surpris aujourd’hui [mardi 4 mai ndlr] de voir Magma Gabriel Konaté, auteur de cette proposition, insulter tous les Maliens en les qualifiant d’égoïstes. Ce discours est encore plus choquant, surtout venant d’un éducateur pour qui on avait d’ailleurs beaucoup d’estime.
Pensez-vous que Magma Gabriel n’est pas le mieux indiqué pour faire cette proposition ?
Tout membre d’une assemblée pareille peut faire des propositions. Mais cela dépend du contexte et du moment. Si on avait quitté cette période transitoire pour se retrouver avec une assemblée élue et que Magma Gabriel se retrouvait élu député, il pouvait bien faire une telle proposition. Mais même là, comme aujourd’hui, s’il représente les hommes de culture, il faut au préalable qu’il défende ces derniers qui vivent dans une grande précarité dont tous les Maliens sont témoins. Donc c’est le contexte, le moment et la personne qui a fait la proposition qui posent problème. Comme je l’ai dit, Magma Gabriel pouvait bien faire cette proposition, mais après avoir fait des propositions pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des artistes maliens.
A quelle proposition pensez-vous par exemple ?
Les artistes maliens tirent le diable par la queue. Ils produisent, mais rarement on achète leurs œuvres. Ils sont confrontés à la piraterie. Pourquoi ne pas penser à octroyer à ces artistes des primes que l’État va reverser au bureau malien des droits d’auteur. On attendait Magma sur ce chantier. Mais la proposition qu’il vient de faire, on n’avait vraiment pas besoin de cela là où nous sommes.
Les raisons avancées pour faire cette proposition, épargner aux anciens présidents de l’AN la précarité après leur fonction, ne sont-elles pas suffisantes ?
C’est une manière d’insulter l’intelligence des Maliens. De l’indépendance à nos jours, aucun ancien président de l’Assemblée nationale n’a vécu dans la misère. J’ai personnellement vu Aliou Nouhoum Diallo, qui est le premier président de l’Assemblée nationale de l’ère démocratique, mais il ne vit pas dans la misère. Dioncounda Traoré vit-il dans la précarité ? Ibrahim Boubacar Kéïta vit-il dans la précarité ? Younouss Touré vit-il dans la précarité ?
Magma a juste commis une erreur. Il est important qu’il se ressaisisse. Au lieu d’insulter les Maliens, il devrait plutôt demander pardon tout en abandonnant cette proposition de loi inopportune.
Que pensez-vous de cette transition ?
En toute honnêteté, il est très difficile d’aider cette équipe. Les autorités transitoires se sont entourées de personnes qui ne sont pas en mesure de relever les nombreux défis du pays. Pourtant, elles ont écarté toutes les personnes qui étaient capables de faire bouger les lignes. Le pouvoir en place doit se faire accompagner par l’opposition et la société civile.
Au lieu de cela, quand la transition est arrivée, elle a écarté l’opposition qui était dans le M5-RFP. Elle a également écarté le pouvoir qui était en place. C’est seulement les quelques personnes du M5-RFP qui criaient sans avoir aucune foi de ce qu’ils faisaient ou disaient, auxquelles elle s’est accrochée. Il est difficile de diriger un pays de la sorte. Je ne le souhaite pas, mais il sera très difficile que cette transition réussisse.
Pensez-vous aussi à l’ébullition du front social ?
La crise sécuritaire, depuis l’installation des autorités de la transition, s’est empirée. Avec le projet de découpage territorial, elles sont en train de mettre l’huile sur le feu. Des régions sont créées et ne sont pas encore tout à fait opérationnelles. Le découpage administratif n’est pas au complet.
Dans un tel contexte, on se précipite aux élections. Au centre du pays, on ne parle même pas encore de découpage administratif puisque la crise sécuritaire constitue la préoccupation majeure dans cette zone.
Que proposeriez-vous ?
Avec la communauté internationale, on a le dos au mur. Il faut aller aux élections. Le chronogramme a été publié. Mais je trouve qu’il sera impossible de tenir des élections législatives dans ce contexte. Il faut conclure d’abord ce découpage administratif avant d’aller à ces élections législatives, communales, etc.
Pour que la communauté internationale nous voit dans la légalité, on peut aller à l’élection présidentielle. Cette élection se tiendra dans les zones où ce sera possible. Ce président légalement élu se chargera de l’organisation du reste des élections. Exceptionnellement aussi et sans toucher à certains points sensibles de la décentralisation, je pense qu’on peut également tenir les élections référendaires en faisant fi de l’article 118 de la constitution.
Réalisée par Fousseni Togola
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