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A Mopti, sur les cendres froides du malheur des veuves et orphelins déplacés

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Sur les sites spontanés de Medina-coura et Barbé II abritant des centaines de déplacés internes, à Mopti, nombreux sont les veuves et les orphelins qui manquent pratiquement de tout. Reportage.

Il était 16 heures, ce jour-là, quand nous nous sommes rendus à Tibo. C’est un sous-quartier de Medina-coura, en périphérie à environ cinq km de Mopti. A Tibo, se trouve un site spontané accueillant des personnes déplacées internes.

Des cases construites en paillettes, des arbres, des points d’eau potable et quelques têtes de bovins. Non encore clôturé, cet endroit ne passe pas inaperçu, notamment pour les usagers de la route principale, encore en chantier, reliant Mopti ville et Medina-coura.

Parmi les personnes ayant trouvé refuge sur cet espace, figurent des veuves et orphelins. C’est le cas de Pindou Diakité, âgée de 30 ans, teint clair et mère de deux enfants. Après la mort de son mari, Amadou, elle a quitté Sio, localité près de Sofouroulaye, à une vingtaine de km de Mopti. Par qui ? Elle pointe un doigt accusateur à l’encontre des éléments de groupes qualifiés de terroristes opérant dans la zone. Depuis trois ans, elle habite dans ce camp. « Je vis ici [à Tibo] chez des proches avec mes deux enfants âgés de 11 et 5 ans », fait remarquer la veuve Pindou, en fulfulde.

Depuis que les régions du centre (Ségou, Mopti) sont devenues un foyer d’instabilité, les populations fuient les violences liées notamment aux conflits locaux et l’activisme des groupes qualifiés de terroristes. Elles viennent se mettre à l’abri sur des sites dans les grandes villes comme Sikasso, Ségou, Bamako et Mopti.

Au niveau de la Direction régionale du développement social et l’économie solidaire de Mopti, à Sévaré, il est difficile d’avoir des chiffres exacts sur le nombre total des veuves et orphelins, parmi les personnes déplacées internes. A ce jour, il n’existe pas de données sur leur nombre total — à part le cas des veuves vivant sur les sites officiels s’élevant à 38 personnes. Il n’y a pas non plus d’actions spécifiques en leur faveur. Cependant, à en croire Mme Sylla Fadimata Maïga, gestionnaire de sites au niveau de la Direction régionale, « à chaque fois qu’on fait des distributions, on les priorise ».

La division protection sociale de la Direction régionale de développement social et de l’économie solidaire estime à 39 le nombre de sites accueillant les déplacés internes, dont 12 sites de regroupement. Ce qui couvre, en tout, vingt-sept mille cent vingt-cinq ménages pour un total de sept-cent soixante-trois mille quatre cent quatre-vingt-seize individus.

Un site parmi d’autres

Dans le camp de Tibo, le cas de Pindou Diakité n’est pas isolé. D’autres veuves, plus d’une dizaine, sont venues majoritairement de villages situés dans la région de Bandiagara. Ou encore de localités du cercle de Djenné. Elles sont toutes principalement confrontées, avec leurs enfants, à des problèmes de nourriture. Les enfants ne sont pas encore inscrits à l’école, pas plus que des documents d’état civil n’ont été établis pour eux, selon le responsable du site.

« J’ai besoin de nourriture et d’argent pour pouvoir prendre soin de moi et de mes enfants », confie Pindou qui affirme n’avoir jamais reçu d’aide autre que celle de ses proches. La seule activité génératrice de revenus que certaines mènent pour subvenir à leurs besoins, tant bien que mal, est la vente de lait.

Dans la commune de Mopti, Tibo est un site parmi d’autres abritant des déplacés internes. A quelques km de Sévaré, près du poste de contrôle, se trouve le site de Barbe II. Contrairement à Tibo, la vue de ce site est moins troublante.

On y voit des maisons construites en ciment ou encore en chantier, des cases couvertes de bâches UNHCR [Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés]. Dans le décor également : des panneaux solaires, des antennes paraboliques, un puits au milieu de la concession, près d’une maison de type RHU [Refuges House Unit ou encore unité de logement pour les réfugiés], un hangar aménagé pour servir de parking à moto, deux autres faisant respectivement office de mosquée et de lieu d’échanges des hommes, des moutons attachés à quelques endroits, des poubelles ainsi que d’autres kits sanitaires comme ceux de lavage de mains.

« Cela fait trois ans, que j’ai quitté mon village pour venir ici. Avec l’aide de mes proches, j’ai acquis ce terrain sur fonds propre », nous apprend Issa Dicko, responsable du site et marabout parlant plusieurs langues comme le fulfulde, le dogoso, le sonrhaï, le bamanankan et un français approximatif. « Je suis le premier à occuper cet espace. Nous avons tout abandonné et sommes venus nous y installer pour sauver nos vies », a ajouté celui qui héberge, selon ses propres chiffres, 262 ménages ayant fui les violences.

« Mon mari n’a pas pu surmonter cet épisode douloureux »

Aïssata Adjango et Kadidia Iro Hogon font partie de ces 262 ménages. Aïssata est originaire du village de Sélikanda, dans la commune de Sokoura (Bankass). Pour sauver leurs vies, son mari et elle ont été contraints de rallier Sévaré avec leurs six petits-enfants. A ses dires, ils ont tout laissé derrière eux au village.

« Nous avons reçu un ultimatum de quitter le village. Nous sommes ici à l’abri des attaques. Nous avons laissé nos maisons, nos champs et tous nos biens là-bas », raconte Aïssata, 60 ans, assise sur une natte en plastique sous le hangar, la voix émue.

« Quand nous sommes venus ici, en raison de la situation difficile dans laquelle nous nous sommes retrouvés, mon mari n’a pas pu surmonter cet épisode douloureux. », a-t-elle ajouté, en larmes. Leurs six enfants ont tous migrés vers la Côte d’Ivoire laissant ainsi Aïssata toute seule avec ses petits-enfants inscrits dans une école franco-arabe de Barbé II.

Pour M. Mahamadou Talata Maïga, chargé des cours de psychologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB), perdre un parent proche, surtout en ce qui concerne les veuves et orphelins déplacés, n’est jamais facile au sein d’une famille. Du point de vue psychologique, il y a, selon ses explications, le risque de traumatisme qui va les suivre pendant longtemps. Ce qui n’est pas sans conséquences : la détresse, la dépression, le sentiment d’abandon et celui de culpabilité pour certains. « Psychologiquement parlant, tous ces sentiments conjugués [mettent] effectivement ces populations mal à l’aise », explique M. Mahamadou Talata Maïga, qui estime que le premier niveau de prise en charge psycho-sociale est d’abord au niveau communautaire.

Maison de réfugiés dans un camp de la région de Mopti
Une maison de type RHU, refuges house unit ou unité de logement pour les réfugiés, construite par l’UNHCR [Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés] sur le site de Barbé II. ©Sagaidou Bilal/Sahel Tribune.

« Nous vivons ensemble en symbiose et en solidarité vu les difficultés qui nous ont réunis », témoigne un déplacé. Malgré les efforts du gouvernement malien, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) ainsi que d’autres ONG œuvrant dans l’humanitaire, le besoin alimentaire et financier se fait beaucoup sentir chez plus d’une veuve. Beaucoup sont sans activités génératrices de revenus.

« Nous avons eu différentes aides de la part du gouvernement malien, des ONG, fait savoir Issa Dicko, le responsable du site Barbe II. Mais nous souffrons, car nous manquons de tout. Nous avons des besoins sur le plan alimentaire, sanitaire et éducatif. »

Selon les chiffres du gouvernement malien et ses partenaires, Mopti est géographiquement la localité où se trouve le plus de personnes dans le besoin : 1,6 millions d’individus.

Dans le centre du Mali, fortement touché par la crise sécuritaire sans précédent que traverse le pays depuis 2012, les besoins, surtout alimentaires et financiers, sont quasi-permanents chez les personnes déplacées internes. Surtout au niveau des veuves, qui traversent des réalités socio-économiques assez dures après la perte de leurs conjoints.

Sagaïdou Bilal


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