Dans ce second article de notre dossier d’investigation sur l’encadrement juridique des opérations militaires françaises au Mali et partenaires au sein de Takuba, nous revenons sur le traité franco-malien de 2014 qui abroge celui de mai 1985 et sur le protocole additif qui fait objet de débat. Le tout appuyé par des explications des spécialistes de questions sécuritaires et de gouvernance.
En juillet 2014, il est signé entre le Mali et la France un « traité de coopération en matière de défense ». Dans l’imaginaire collectif malien, renforcé par certains médias et hommes politiques ou activistes, l’ancien président de la transition, Bah N’Daw, y a apposé sa signature sans avoir pris connaissance de son contenu quand il était encore ministre de la Défense sous Ibrahim Boubacar Kéïta.
Volumineux de 7 pages et composé de quatre grandes parties et 26 articles, ce nouveau traité abroge et remplace celui de mai 1985, en vigueur jusqu’en 2014. Ce traité, suivant ses grandes parties, définit les principes généraux de la coopération en matière de défense, le statut des membres du personnel engagés dans la coopération, les dispositions relatives aux activités organisées dans le cadre du traité et d’autres dispositions finales. Le traité, à son article 6, prévoit la création d’« un comité de suivi co-présidé par un représentant civil ou militaire de chaque Partie ».
Articles 25 et 24 du traité de 2014
A l’article 25, intitulé « Combinaison avec les accords conclus antérieurement dans le domaine de la défense », il est indiqué : « Le présent traité abroge et remplace l’Accord de coopération militaire technique entre le Gouvernement de la République du Mali et le Gouvernement de la République française signé à Bamako le 6 mai 1985 et les accords et arrangements subséquents, comme précisé par la voie d’un accord par échange de lettres entre les Parties établi après l’entrée en vigueur du présent traité. »
Au point 2 de cet article 25 : « L’application du présent traité est sans préjudice de la mise en œuvre d’autres accords conclus entre les Parties, en particulier l’accord sous forme d’échange de lettres signées les 7 et 8 mai 2013. Dans l’hypothèse où des membres du personnel de la Partie française présents sur le territoire malien au titre du présent traité seraient amenés à participer aux opérations visées par l’accord sous forme d’échange de lettres du 7 et 8 mars 2013, la Partie française en informerait la Partie malienne sans délai. Dans un tel cas, les stipulations de ce dernier accord s’appliqueraient, y compris rétroactivement, aux forces françaises, à leurs personnels et à leurs matériels engagés dans lesdites opérations. »
L’article 24 préconise : « Tout différend lié à l’interprétation ou à l’application du présent traité est réglé par voie de consultations au sein du comité de suivi institué par l’article 6 du présent traité ou de négociations par la voie diplomatique entre les Parties. »
Télécharger le traité de coopération en matière de défense qui abroge celui de 1985.
Comprendre le protocole additif Takuba
Près de six ans après la signature du traité de coopération entre le Mali et la France, il sera signé en 2020 un nouvel accord distinct de celui-là et qui s’inscrit en droite ligne de celui portant sur le statut de Serval s’appliquant à Barkhane. Il s’agit du Protocole additif statuant sur les détachements non français de la Force Takuba. Il est signé le 6 et 10 mars 2020 respectivement par l’ambassadeur français au Mali — Joël Mayer, et Tiébilé Dramé — à l’époque ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Le document fait 13 pages (échange sous forme de lettres) et 12 articles.
« Entériné par un échange de lettres en mars 2020,ce protocole prévoit que chaque pays contributeur de Takuba doit conclure un accord spécifique avec le Mali et solliciter l’accord de la France pour intégrer la nouvelle force. Il fixe donc un cadre général, au sein duquel des relations bilatérales doivent être nouées entre le Mali et chaque État contributeur. La conclusion de ces accords bilatéraux est très simple sur la forme : un échange de lettres entre le pays contributeur et le Mali, contenant en annexe le SOFA, puis une notification à la partie française », expliquele chercheur Julien Antouly, doctorant en droit international, dans son récent article intitulé Quels sont les accords qui encadrent les interventions militaires au Mali ?
Pour mémoire, les pays contributeurs européens de la Task Force Takuba sont initialement : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, la France, la Norvège, la Lituanie, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suède. Elle est placée, comme le prévoient les dispositions du protocole additif, sous le commandement de la Force Barkhane. Donc de la France, qui a voulu et facilité sa mise en place, sur demande évidemment de la République du Mali sous l’ex-président Ibrahim Boubacar Kéïta — poussé à la démission forcée, le 18 août 2020, avant de décéder le 16 janvier dernier à Bamako.
Retrait des forces spéciales danoises
Depuis quelques jours, ce protocole additif est invoqué de part et d’autre. Dans un communiqué lu à la télévision nationale (ORTM1), le 24 janvier, le gouvernement de la transition malienne dit avoir « constaté avec étonnement le déploiement sur son territoire d’un contingent des forces spéciales danoises au sein de la Force Takuba ». Le communiqué ajoute que « ce déploiement est intervenu sans son consentement et sans respect du protocole additif applicable aux partenaires d’opérations européennes devant intervenir au Mali dans le cadre de la Force Takuba… ».
Par conséquent, le gouvernement de la transition a exigé le départ immédiat du contingent des forces spéciales danoises du sol malien. Au lendemain de ce communiqué, le ministre danois des Affaires étrangères a réagi en présentant des éléments factuels connus des initiés : en rappelant que son pays est au Mali sur invitation de l’État malien et sur des bases légales. Cette réaction a donné lieu à un deuxième communiqué de la part du gouvernement, qui a insisté toujours sur leur retrait. Le Danemark a fini par céder face à Bamako.
En plus de la lecture du Protocole additif dont nous avons une copie en version électronique (PDF), nous avons approché des chercheurs et spécialistes des questions sécuritaires et de gouvernance pour mieux comprendre. Surtout que le document fait aujourd’hui l’objet d’interprétations controverses et politiques. Nos interlocuteurs admettent tous que l’intervention danoise est effectuée sur des bases légales.
« La cible, ce n’est pas le Danemark, mais la France »
Nous apprenons avec eux que le Mali n’a pas d’accords bilatéraux particuliers avec la plupart des pays contributeurs de la Force Takuba — comme le Danemark — en dehors de ce protocole additif signé entre les parties concernées. A croire nos interlocuteurs, c’est en réalité ce que Bamako cherche à obtenir : signer un traité de coopération particulière avec chacun de ces pays comme le traité franco-malien de 2014 ou celui de 2019 entre le Mali et la Russie. Et cela sans passer par un intermédiaire ou envoyer une notification à une autre tierce partie.
« On peut avoir un traité de coopération militaire entre le Mali et le Danemark qui peut porter uniquement sur une contribution au sein de Takuba et qui peut être [également] élargi dans d’autres domaines d’intervention comme la formation, l’achat d’équipements ou encore de transfert de technologies. Mais il n’y a pas ce type d’accords entre les deux pays », nous explique un ancien conseiller spécial dans un département stratégique de l’État malien.
S’ils trouvent les objectifs de Bamako fondés ou légitimes, nos interlocuteurs remettent tous en question la manière par laquelle il tente de se faire entendre. Ils préconisent la voie diplomatique « non agressive » pour gérer tous différends entre les parties comme les dispositions des différents accords le prévoient d’ailleurs, à travers notamment les rencontres de haut niveau. Paris et Bamako intensifient les joutes verbales sous forme « des missiles » lancés sur une distance à vol d’oiseau de 4 143 kilomètres.
« La cible, ce n’est pas le Danemark, mais la France dans un contexte où le président français a pris la présidence de l’Union européenne. Dans un contexte où l’un des enjeux majeurs de la présidence française au sein de l’UE est ce qu’ils appellent voie de défense (une approche qui consiste à collectiviser la défense pour défendre les intérêts et valeurs partout où cela est nécessaire) », nous confiait dans son bureau un interlocuteur.
Sagaïdou Bilal
Cet article est réalisé dans le cadre du projet Kenekanko de l’Observatoire citoyen contre l’impunité et pour la redevabilité — OCCIPRE, un consortium d’Amnesty International Mali, Free Press Unlimited et Tuwindi (en partenariat avec la Délégation de l’Union européenne au Mali). Nous avons requis l’anonymat pour nos interlocuteurs.
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