De Maiduguri à Bamako, les groupes armés ont compris qu’un État s’étouffe plus sûrement par la soif d’essence que sous le feu des armes. Face à la pénurie, chaque gouvernement africain invente sa riposte : entre escortes, innovations locales et quête d’une souveraineté énergétique retrouvée.
En juin 2025, depuis Moscou, le président de la Transition, le général d’armée Assimi Goïta, avertissait : « La guerre que nous menons est une épreuve de longue haleine. Elle ne se gagnera ni en un an, ni en deux… mais il faut tenir bon. »
Quand la guerre se mène à la pompe
Un an plus tôt, à Sikasso, il avait détaillé les nouvelles formes de menace : le terrorisme armé, le terrorisme communicationnel et le terrorisme économique. C’est ce dernier qui, aujourd’hui, frappe au cœur du Mali, à travers l’instrumentalisation de la pénurie d’essence.
Les longues files devant les stations-service de Bamako et de certaines capitales régionales ne sont plus le simple signe d’un dérèglement logistique. Elles traduisent une guerre silencieuse où le carburant devient une arme stratégique. Depuis plusieurs semaines, les convois reliant les ports d’approvisionnement au centre du pays subissent des attaques répétées. Résultat : blocus partiel, flambée des prix, et tentatives de déstabilisation.
Mais le peuple malien ne s’y trompe pas. Il sait que derrière ces manœuvres se cachent les parrains étatiques étrangers du terrorisme, nostalgiques d’un ordre ancien. Et face à cette guerre hybride, l’État malien s’appuie sur les principes de la nouvelle Constitution : respect de la souveraineté, choix du peuple et défense de ses intérêts vitaux.
Le précédent nigérian : Boko Haram et la guerre des réservoirs
Au nord du Nigeria, Boko Haram a très tôt compris que le carburant est la sève de l’État moderne. Dès 2015, le groupe interceptait les camions-citernes, volait le pétrole et le revendait au marché noir. Interpol le rappelle : « Le financement terroriste s’appuie sur la fraude, le rapt, le commerce illicite de pétrole, de charbon ou d’or. »
Les conséquences furent désastreuses : hôpitaux paralysés, forces armées immobilisées, économie locale asphyxiée. Abuja répondit par la militarisation des routes, l’escorte des convois et la coopération avec le Tchad et le Niger. Le pétrole devint, littéralement, l’or noir du conflit.
En Centrafrique, le carburant comme instrument de chantage
À Bangui, en 2021, les rebelles de la CPC bloquaient les corridors venant du Cameroun. La capitale suffoquait : plus d’essence, plus d’électricité, plus de transport.
Le président Touadéra réagit en confiant la sécurisation des convois aux forces russes de Wagner. Brutale, mais efficace, cette stratégie fit du carburant un symbole de souveraineté retrouvée. Elle permit à Bangui de diversifier ses approvisionnements et de rompre sa dépendance vis-à-vis de Douala.
Somalie, Yémen : l’énergie comme levier de domination
En Somalie, les milices d’Al-Shabaab taxent le diesel, financent leurs opérations et étranglent Mogadiscio. Au Yémen, la coalition saoudienne a transformé le pétrole en arme de siège, privant des millions d’habitants d’électricité et de soins.
Face à ce blocus, les Houthis ont réinventé leur économie : véhicules au gaz, cuiseurs solaires, réseaux parallèles d’approvisionnement. L’énergie, là encore, devient un instrument de pouvoir politique.
Le cas malien : entre sabotage et résistance
Au Mali, cette guerre invisible prend une tournure géopolitique. Les groupes armés, soutenus par des puissances étrangères hostiles à la Confédération des États du Sahel (AES), née en juillet 2024, contrôlent certains corridors, sabotent les routes et visent à épuiser la Transition.
Bamako a choisi la riposte souveraine : ouverture de corridors alternatifs, sécurisation militaire des transports essentiels, constitution de stocks stratégiques et investissement dans les énergies locales — notamment le solaire.
La logique est de transformer la pénurie en tremplin vers la souveraineté énergétique. Comme l’a si bien dit le président devant la communauté malienne en Russie, « il faut savoir transformer les défis en opportunité ». C’est pourquoi cette crise pourrait voir émerger au Mali, dans le secteur du transport notamment, de nouvelles initiatives pour que plus jamais de telles situations ne se reproduisent.
L’Afrique, laboratoire d’une guerre énergétique mondiale
Derrière ces crises locales, c’est une recomposition mondiale de l’énergie qui s’opère. Les grandes puissances, au nom de la transition « verte », imposent leurs standards et leurs dépendances. Pendant que les États-Unis exportent leur gaz liquéfié, l’Europe pousse ses biocarburants, et la Chine contrôle 77 % de la production mondiale de batteries.
Mais sur le continent, un autre récit s’écrit. Des mini-raffineries nigérianes aux corridors sahéliens, en passant par les fermes solaires du Soudan, l’Afrique expérimente sa propre autonomie énergétique. Une lente marche vers l’indépendance — arrachée, plus que concédée.
Car au fond, cette guerre du carburant raconte la même histoire : celle d’un continent qui apprend, dans la douleur, que l’autonomie énergétique précède l’autonomie politique.
Désormais, chaque litre d’essence n’est plus seulement une ressource, c’est un symbole de souveraineté. On tient un peuple par ses réservoirs mieux que par ses chaînes. Au Mali, cette phrase n’a jamais sonné aussi juste.
A.D
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