Elle devait être une simple alliance de circonstance. Elle est devenue un cauchemar géopolitique pour certains. L’Alliance des États du Sahel — devenue Confédération le 6 juillet 2024 — avance, silencieuse et déterminée. À sa tête, trois hommes que tout oppose sauf la même obsession : rendre au Sahel sa souveraineté. Et cela, visiblement, fait peur.
Au bord du Niger, la chaleur écrase les façades poussiéreuses, mais dans les bureaux feutrés des palais présidentiels des trois États, on s’active. Le général Assimi Goïta, en concertation avec les deux autres chefs d’État du Burkina Faso et du Niger, a décidé de tenir la deuxième session du Collège des Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel (AES), prévue initialement en juillet 2025, en décembre prochain.
L’AES suscite autant de fascination que de crainte
Une décision officielle dictée par « des ajustements logistiques ». En réalité, une manœuvre stratégique. Car à mesure que l’échéance approche, les pressions se font plus lourdes, les attaques plus ciblées, les sabotages plus visibles. En effet, alors que tous les regards restaient rivés sur ces trois pays où devrait se tenir en juillet 2025, le 2e sommet tant attendu, les attaques se sont multipliées au Mali, visant principalement les positions militaires des Forces armées de sécurité (FAMa) dans plusieurs régions du pays.
En avril, une embuscade meurtrière sur l’axe Guiré-Nara et une attaque contre la zone aéroportuaire de Sévaré ont relancé un cycle de violences aux lourdes pertes civiles et militaires. Le mois de juin a vu une escalade spectaculaire avec l’assaut du camp de Boulikessi, plusieurs soldats tués, et des attaques coordonnées à Tombouctou, Ségou, Nioro du Sahel, Kayes et Niono, parfois appuyées par des drones explosifs.
En juillet, les offensives se sont multipliées, traduisant l’extension géographique et la sophistication croissante des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Dans le même contexte, la nuit du 31 mars au 1er avril 2025 a vu un incident diplomatique majeur : un drone militaire malien Akinci, immatriculé TZ_98D, a été abattu par l’Algérie près de Tinzaoutène, dans la région de Kidal. Bamako a dénoncé une « agression délibérée » et saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, accusant Alger de provocation et de complicité avec les groupes terroristes. Alger a justifié son acte par une prétendue violation de son espace aérien, version catégoriquement rejetée par le Mali.
L’AES, cette union inédite entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, suscite autant de fascination que de crainte. Ses ennemis la redoutent, ses alliés la scrutent, ses peuples y croient — farouchement.
Une alliance née dans la douleur
Tout est parti d’un refus. Celui de trois jeunes chefs d’État militaires qui ont dit non à la soumission, non aux injonctions, non aux tutelles extérieures. Le 16 septembre 2023, à Bamako, naissait l’Alliance des États du Sahel, avec la signature de la Charte du Liptako-Gourma. Moins d’un an plus tard, le 6 juillet 2024, à Niamey, l’alliance se transformait en Confédération. Une étape de plus vers la souveraineté assumée et la marche inexorable de ces trois États vers le fédéralisme. Cette transformation, personne ne l’avait vu venir dans certaines puissances occidentales opposées aux politiques intérieures de ces États, et qui ne souhaitaient que leur décadence afin de pouvoir s’accaparer de leurs ressources, comme elles l’ont toujours fait. Toutefois, une telle initiative ne va pas sans des défis à relever que les peuples de ces États doivent comprendre.
Depuis juillet 2024, les réunions se succèdent entre les États de l’AES, les symboles s’empilent. Drapeau commun, hymne, armée confédérale, force conjointe, devise, bientôt une banque confédérale. L’AES, c’est une idée devenue projet, puis projet devenu menace — pour ceux qui, depuis l’extérieur, avaient pris l’habitude de parler au nom du Sahel.
Tiani : « C’est le peuple du Sahel qui conduit la révolution »
Lors de sa dernière visite à Bamako, en septembre 2025, le général Abdourahamane Tiani, chef de l’État nigérien, a pris soin de rappeler à juste titre : « Le peuple du Mali, du Burkina et du Niger conduit une révolution. Une révolution pour la souveraineté, la dignité et la sécurité. »
Dans son intervention, c’est surtout la prochaine opérationnalisation de la force militaire unifiée avec état-major à Niamey, dès cette année, qui a d’abord retenu les attentions. Les premiers bataillons conjoints sont déjà en action, souvent dans l’ombre, sur des théâtres discrets entre les trois frontières. « Nous voulons que tous les problèmes de défense soient pris en charge par cette force confédérale », explique Tiani. L’armée aésienne est désormais une force sans tutelle, évoluant dans les airs comme sur terre, sans avoir besoin d’autorisation venant de l’extérieure. L’intervention du général Tiani a été un séisme géopolitique, notamment du côté des sponsors étatiques du terrorisme, qui ne souhaite que maintenir le chaos contrôlé au sein de ces États.
Le président nigérien confirme également lors de sa mission officielle au Mali la mise en place de la Banque Confédérale d’Investissement et de Développement. Une banque, qui sera officiellement, un instrument financier destiné à financer les projets structurants, mais, officieusement, qui sera une préfiguration monétaire. Certains diplomates y voient déjà la première pierre d’une future monnaie sahélienne, affranchie du franc CFA. En témoignent plusieurs publications sur les réseaux sociaux, provenant d’influenceurs.
Les sourcils de certains anciens partenaires des États du Sahel commencent à froncer parce qu’ils voient que le Sahel est en train d’écrire sa propre économie.
Traoré : l’énigme de « l’albinos noir »
Trois ans après le renversement politique intervenu à Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré a pris aout au feu de la scène médiatique. Devant dix journalistes burkinabè, en septembre dernier, il s’est livré, comme à son habitude, sans prompteur ni langue de bois. « Est-ce que nous allons gagner cette guerre ? Nous ne pouvons que la gagner », lance-t-il, le regard fixe.
Puis, dans un sourire énigmatique, il annonce l’apparition d’un « monstre » dans l’espace AES : « Bientôt, vous verrez apparaître un albinos noir. » Phrase mystérieuse, à la fois prophétique et provocatrice, qui laisse les observateurs perplexes. Est-ce un code ? Une allégorie ? Une référence interne à une opération en préparation ? Personne, jusqu’ici, ne peut donner des explications précises à cette déclaration. Mais beaucoup estiment qu’il s’agirait d’une grande annonce pour le prochain sommet, annoncé pour se tenir à Bamako, en décembre prochain.
Dans le style Traoré, l’ésotérisme est souvent un message à double détente : un mot pour galvaniser, un autre pour inquiéter. Mais à Ouagadougou aussi bien que dans l’espace AES, le ton reste confiant. La victoire n’est plus une hypothèse, c’est une question de calendrier.
Goïta : le pivot silencieux
À Bamako, le général Assimi Goïta joue le rôle de chef d’orchestre. Moins loquace que ses homologues, il avance ses pions dans le calme d’un stratège. Sous sa présidence, le Mali est devenu la plaque tournante du projet confédéral. C’est là que se tiendra le sommet de décembre, celui que beaucoup redoutent. Car c’est à Bamako que doivent être annoncées des décisions historiques — parmi elles, la mise en marche formelle des institutions confédérales et, selon certaines sources, un projet de déclaration de souveraineté économique et monétaire.
Autant dire que certains acteurs extérieurs ont tout intérêt à ce que le sommet n’ait pas lieu. Et comme une coïncidence, les attaques terroristes aussi bien que des tentatives de déstabilisation se sont encore multipliées au Mali depuis quelques mois déjà. Entre août et octobre 2025, le Mali a été confronté à une nouvelle vague d’attaques terroristes, ciblant principalement les forces armées dans le centre, l’ouest.
En octobre, la menace s’est maintenue, les terroristes recourant de plus en plus à des drones explosifs. Dans ce climat de tension extrême, le gouvernement de transition a déjoué, dès le 1er août, une tentative de déstabilisation orchestrée par un réseau mêlant militaire, civil et un ressortissant français, Vizilier Yann, un agent du renseignement français.
Selon le général de division Daoud Aly Mohammedine, plusieurs officiers maliens, dont les généraux Abass Dembélé et Nema Sagara, ont été impliqués dans ce complot visant à « briser la dynamique de refondation du Mali avec l’aide d’États étrangers ». Le président de la Transition, le général Assimi Goïta, a pris le 7 octobre une série de décrets prononçant la radiation de plusieurs des officiers impliqués dans ce complot des rangs des Forces armées maliennes, dans le cadre d’une « mesure disciplinaire » visant à maintenir la rigueur et la discipline au sein de l’armée.
Ces tentatives de sabotage se poursuivent encore à travers le soutien aux groupes armés terroristes, qui tentent désespérément d’imposer sur le pays un blocus économique en s’en prenant aux camions-citernes qui acheminent le carburant.
Les observateurs avertis s’accordent donc pour dire qu’il s’agit d’une stratégie d’asphyxie avec comme objectif d’empêcher la tenue de ce sommet et par ricochet remettre les pays de l’AES à genou afin de reprendre le pillage de leurs ressources. Car, empêcher la Confédération d’avancer, c’est maintenir le Sahel dans son éternel provisoire.
La Confédération en sous-marin
Dans cet espace, rien ne fuite. Les documents stratégiques circulent à peine. Les réunions se tiennent dans un silence monacal. L’AES avance en sous-marin. C’est aussi cela sa force. Le secret est devenu sa meilleure arme. Cette opacité alimente toutes les spéculations : monnaie unique, réseau logistique intégré, stratégie de défense régionale, voire diplomatie parallèle.
Les grandes capitales, autrefois partenaires peu sincères et fiables, s’agitent. On parle de « bloc sahélien », d’« autarcie stratégique », de « rupture silencieuse ». Ce qui est sûr, c’est que l’AES dérange — parce qu’elle casse les codes. Parce qu’elle ne demande plus la permission d’exister. Parce qu’elle parle d’égal à égal avec les puissances qui, hier encore, se posaient en tuteurs.
À Niamey, Ouagadougou et Bamako, les drapeaux se lèvent, les hymnes s’accordent, les mots « indépendance » et « souveraineté » reprennent sens. Dans les rues, les jeunes y croient, les anciens s’interrogent, les chancelleries s’inquiètent. Mais pour les trois chefs d’État, l’heure n’est plus aux justifications.
« Avec le peuple comme guide, le succès est au bout du chemin », a conclu Tiani, à Bamako. Cette phrase résume l’état d’esprit d’une Confédération qui avance dans la tempête, sûre de sa cause, certaine de son destin. L’AES fait peur — mais elle fait surtout espérer. Parce qu’au cœur du Sahel, un mot longtemps confisqué retrouve enfin sa place : la souveraineté.
A.D
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.