Kani Sissoko est une photographe spécialisée à la photographie d’art, avec une expérience de près d’une décennie. Elle s’exprime sur ses vécus, les faits sociaux, notamment l’autonomisation des femmes, l’univers secret des femmes, le mariage forcé et tant d’autres sujets, qui l’ont propulsé aujourd’hui au sommet du 9e art malien.
Les projecteurs viennent de se braquer sur la 13e édition des Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie, le 8 décembre dernier, au musée national de Bamako.
« L’œil de Bamako »
Un événement majeur du 9e art malien, africain et mondial. Jusqu’en février 2023, les admirateurs de la photographie pourraient ainsi vivre au rythme des clichés, qui redonnent à la capitale malienne, sa légendaire renommée : ville de la photographie.
Très loin des époques de « l’œil de Bamako », le pionnier Malick Sidibé, sur sa bicyclette, immortalisa les euphories de l’indépendance. C’est le temps des « yéyés », « twist et des 45 tours ». Ces images respirent l’insouciance.
Portant toujours en bandoulière son joli bijou (appareil photo), Kani Sissoko fait partie de ces jeunes dames de la nouvelle génération de la photographie qui hisse le drapeau malien au firmament de la photographie mondiale.
Un outil de pouvoir d’expression
Toujours souriante, avec son visage ovale, Kani fait de la photographie un moyen un moyen pour raconter ses peines, angoisses, soucis. Grâce au 9e art, cette jeune essaie de peindre également les perspectives d’un monde meilleur pour les femmes dans un pays patriarcal. Le tout dans des images qui parlent en douceur.
« La photographie est pour moi, un outil d’exprimer sur des faits sociaux, de raconter mes propres histoires à travers les images. Et de défendre mes idéales », explique Kani Sissoko.
Le Mali a connu la photographie sous l’administration coloniale, plus précisément à la fin du 19e siècle. Depuis cette date jusqu’à l’orée des années 60, la photographie, tout comme le cinéma demeure « sous contrôle français », dans beaucoup de territoires africains, encore sous domination française. Une manière d’éviter de nuire aux intérêts de la France, la puissance colonisatrice.
C’est à partir des veilles des indépendances que la demande en photographie devient forte, essentiellement en portrait d’identité. Cela coïncide avec une période où les consultations électorales au suffrage universel s’enchaînent, suite à la promulgation de la loi-cadre Defferre en 1956.
« La photo ne peut nourrir personne »
Tout juste après les indépendances, notamment au Mali, les portraits et les œuvres des grands pionniers de cet art ont contribué à étaler l’histoire des euphories des populations notamment celles du Mali. Elle a permis d’immortaliser les balles de nuit dans les premiers « Night-club » de la capitale malienne, d’une jeunesse urbanisée.
La photographie malienne a parcouru le monde grâce au talent des inoxydables, Malick Sidibé, Alioune Bâ et Seydou Keïta, désignés par le monde de l’art comme les pères de la photographie africaine. Les héritiers ne se comptent plus du bout des doigts.
Diplômée de l’Institut national des Arts de Bamako, Kani Sissoko a débuté son stage au musée national, auprès du talentueux feu Alioune Bâ. « Nous étions huit étudiants envoyés par l’INA pour effectuer le stage en audiovisuel au Musée », précise-t-elle. C’est dans ce somptueux lieu, où tiennent chaque deux ans « les Rencontres de Bamako », qu’elle tombe sous la passion de la photographie, dans un pays où la place de la femme demeure le foyer. « On me répétait incessamment : la photo ne peut nourrir personne », évoque-t-elle en souriant.
L’œil du photographe
C’était mal connaître Kani, qui a aujourd’hui dans son compteur une vingtaine d’expositions à travers le monde, notamment au Mali, en Côte d’Ivoire, en France, en Allemagne, en Italie… Elle a également travaillé avec des Organisations non-gouvernementale canadienne, italienne, française et allemande. Celle qui se bat pour l’émancipation et l’autonomisation des femmes dans ses œuvres a exposé avec les grands renoms de la photographie malienne et internationale.
Elle travaille dans la structure Yamarou photo. Une organisation dans la promotion de la photographie au Mali à travers des projets citoyens et de formation à de jeunes aspirants photographes. « Kani est une star de la photographie malienne, elle est connue partout dans le monde. Mais c’est triste de voir que jusqu’à présent cet art est moins considéré au Mali », déplore Seydou Camara, le promoteur de Yamarou photo.
Aujourd’hui au Mali, avec la révolution de la technologie, la photographie perd de plus en plus de l’attrait. Les smartphones ont presque remplacé les appareils à clics. Mais, selon Kani, « c’est des choses très différentes ». Les appareils photo sont pour les professionnels et « qui sait comment traiter, faire des portraits et des photos reportages. Il faut être formé et bien inspiré ».
Après son stage au côté de feu Alioune Bâ au musée national de Bamako, Kani est rentrée dans l’univers de la photographie en 2014. Sur ses démarches artistiques, elle explique : « L’œil du photographe est sensible aux différents faits sociaux qui l’entourent. Il doit à cet effet être le porte flambeau de la société à laquelle on ne peut nullement l’arracher, puisqu’il y est lié par les moyens de son art ».
La condition de la femme
Selon les précisions de la jeune photographe, il lui est quelques fois arrivé de prendre une pause et d’observer autour d’elle, en pleine marche. « Quand je vois des tas d’ordures dans la rue, ça me désole et mon instinct me pousse à appuyer sur le déclencheur. Chaque photo prise est un témoignage vivant qu’on garde soigneusement et qu’on partage des fois avec son entourage », indique Kani.
Elle fait et expose des œuvres comme « Quand les murs parlent ». Selon elle, « cette série souligne le lien qui existe entre les femmes et le mur, dans notre société. Depuis la nuit des temps, on parle des questions comme l’émancipation, l’autonomisation, les violences physiques comme psychologiques…, mais on ne montre généralement pas, la source de ces questions ou problèmes. La question de la condition des femmes dans nos sociétés est en fait profonde. ».
D’après Kani, « depuis le bas âge on inculque religieusement à la femme que son mari est comme son deuxième dieu. Que son salut ici et à l’au-delà dépend du degré de soumission et d’obéissance qu’elle aura envers son homme. De plus, que cette soumission serait pour les enfants la condition d’un meilleur avenir. Comme si la réussite, la vie et même le destin de la femme se résumeraient à un mariage dans laquelle elle doit tout accepter sans murmures ».
« Worotan »
Sa seconde œuvre est sa propre histoire mise en images. Une histoire sur ses vécus, l’immixtion de ses parents dans ses choix et sur sa vie. Une série qui s’intitule « Worotan ».
« Après avoir été sous l’emprise des parents durant ma jeunesse, toutes les décisions importantes me concernant appartenaient à mes parents. Ma scolarisation, mon excision et toutes les charges étaient gérées par mon père et ma mère ». Au fil du temps, une nouvelle porte s’ouvre pour la jeune Kany. Une porte que les sages nomment : la porte de la patience et la tolérance.
« Après avoir reçu les conseils des sages, une autre inquiétude s’est réveillée en moi. La chanson du célèbre chanteur Djélimady SISSOKO N° 2 a été une illustration des conseils à travers son titre “Worotan Be Mousso Ké djon yé” qui signifie que les 10 colas rendent la femme esclave (faisant allusion au Mariage) », explique Kani , qui n’a de cesse analyser cette affirmation.
Selon la jeune photographe, « dans notre tradition, une femme mariée doit obéir et accepter la volonté de son mari et de ses parents. Elle doit être une aiguille qui renforce les liens de la famille conjugale et non une lame, synonyme de division ». Notre héroïne de la photographie malienne continue d’égrener les maux de la société malienne en ce qui concerne surtout la condition de lafemme , qui « doit accepter le comportement de son mari, et les coups de sa belle-famille en s’armant de patience et de soumission. Son mari a le droit, selon les us et les coutumes, de se marier à 4 femmes ». Kani souhaiterait « entendre une autre forme de discours notamment celui de l’amour, de complicité, de protection et de respect ». Elle estime que « Woro tan » doit devenir plutôt le symbole de l’union, de l’amour et non de la privation de la liberté.
L’amour et la passion
Les œuvres de la photographe sont nombreuses. On y compte également la série « La folie nocturne », qui parle de la rupture d’une relation amoureuse, du chagrin et des mélancolies que cela installe. Aussi, faut-il noter « Décharge », qui évoque la protection de l’environnement au Mali, et « La Racine », qui démontre l’influence jusqu’à présent de la géomancie, jets de Cauris et toutes ces choses mystiques émanant des religions purement africaines.
Kani Sissoko, avec ce parcours prometteur dans la photographie, encourage « les jeunes à d’abord aimer la photographie avant de se lancer dedans. C’est un art basé sur l’amour et la passion. Il ne faut pas rentrer dedans pour juste avoir de l’argent. Je les invite aussi à se former davantage ».
Mohamed Camara
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