Le 14 janvier 2022, plus de deux millions de Maliens se sont déversés dans les rues, à Bamako et dans les capitales régionales pour contester les sanctions de la CEDEAO, qualifiées « injustes », « illégales » et « inhumaines », contre le Mali. Un embargo infligé après un bras de fer sérieusement tendu entre le Mali et l’organisation sous-régionale autour du délai de la transition.
Pour magnifier cette date de la grande mobilisation du peuple malien, le gouvernement de la transition a institué le 14 janvier comme « Journée nationale de la souveraineté retrouvée », attachée désormais à trois principes essentiels pilotant les autorités de la transition dans l’orientation de l’action publique. À savoir : le respect de la souveraineté du Mali, le respect des choix stratégiques et des choix de partenaires opérés par le Mali et la prise en compte des intérêts vitaux du Peuple malien dans les décisions prises.
Pour mieux élucider les Maliens sur ces trois principes essentiels qui définissent désormais la gestion de l’action publique au Mali, nous avons eu un entretien avec Ibrahima Harane Diallo, journaliste, politologue, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises et conflits au Sahel (Sahelian peace study center) et chercheur associé à Timbuktu Institut.
Sahel Kunafoni : comment comprenez-vous la souveraineté ?
Ibrahima H Diallo : la souveraineté est une expression juridique, qui suppose que l’autorité politique d’un État ne relève pas d’un autre sur le plan interne et d’un pouvoir sur le plan international dans la prise de ses décisions, dans la gestion de son territoire. Cette expression a été très populaire en Afrique, notamment en Afrique, au sud du Sahara. N’oublions pas que l’Afrique a été un continent sous la domination occidentale, notamment européenne (France, Angleterre, Italie et Espagne) en moindre mesure.
Pour le cas du Mali, cela suppose que l’État est désormais en mesure de prendre ses propres décisions sans être contraint par un quelconque pouvoir à l’interne. Sur le plan international, il ne soumet ses décisions prises à l’appréciation d’aucun pouvoir extérieur, dans la gestion de son territoire.
Une simple mobilisation contre les sanctions de l’organisation sous-régionale peut-elle être à l’origine d’une quelconque souveraineté retrouvée ?
Non, je ne pense pas que la mobilisation en tant que telle puisse être à l’origine d’une souveraineté retrouvée. Avant le 14 janvier 2022, le Mali était souverain. Car le pouvoir qui était là avant la transition, le régime de feu Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), n’était pas soumis à un pouvoir interne ou international dans la prise de ses décisions.
Il faut faire la différence entre la collaboration et la soumission. Il y’avait des liens diplomatiques de coopération internationale, soit bilatérale ou multilatérale. Bilatérale, si c’est entre deux États ; multilatérale, si c’est entre plusieurs États, ou au sein d’un organisme régional, sous-régional ou international, comme le cas des Nations Unies.
Toutefois, il convient de noter que cette mobilisation a été une bonne chose. Elle a été une occasion pour les Maliens, dans leur grande majorité, de témoigner leur soutien au pouvoir en place. Généralement, durant les périodes difficiles de l’existence d’une nation, les populations font cette expression de soutien. À ce titre, la journée du 14 janvier a été une journée historique parce qu’elle a permis au peuple malien de s’exprimer librement en termes de soutien ou pas à la transition.
Étant aujourd’hui dans un monde très globalisé et en pleine mutation, pouvons-nous imposer aux autres le respect de sa souveraineté vis-à-vis ?
Bien sûr qu’on peut le faire dans un système globalisé. En se référant à la définition de l’expression, on se rend compte qu’il est bien possible d’imposer le respect de sa souveraineté aux autres. Dans le cadre du système international globalisé, l’État peut accepter librement de laisser une partie de sa souveraineté au profit d’une valeur hautement supérieure et qui intéresse l’ensemble des États au sein du système. Cette volonté délibérée par l’État de laisser une partie de sa souveraineté ne peut pas être analysée comme étant une perte de cette souveraineté ou une difficulté à imposer quoi que ce soit.
On peut décider de délaisser une souveraineté au profit d’un intérêt collectif, comme c’est le cas dans la constitution malienne du 25 février 1992. Dans cette loi fondamentale, le Mali est prêt à perdre une partie de sa souveraineté au profit du panafricanisme.
Comment analysez-vous les trois principes essentiels qui guident les autorités de la transition dans l’orientation de l’action publique ?
J’ai beaucoup apprécié ces trois décisions à savoir, la souveraineté du pays, les intérêts stratégiques de l’État, les intérêts vitaux de la population. C’est vraiment des principes assez importants. Tout État sérieux doit être gouverné sur la base de ces principes parce que le politique n’a pas sa raison d’être s’il ne tient pas compte du bonheur du peuple. Donc le respect des choix stratégiques et des intérêts vitaux des Maliens s’inscrit dans cette logique. Ces principes sont à encourager et à saluer. Après ce pouvoir transitoire, les régimes à venir doivent normalement travailler avec ces principes.
Selon vous les choix stratégiques et les choix de partenaires du Mali étaient-ils remis en cause ou influencés par une force extérieure ?
Je ne pense pas que ce point ait été remis en cause dans le passé. Le précédent régime avait des principes qui régissaient des relations internationales. Il avait coopéré avec les États voisins, avec les pays étrangers, comme la France à travers l’opération Serval, ensuite Barkhane. Il a également coopéré avec les Américains, les opérations militaires dans le nord.
Ces principes n’étaient pas influencés dans une très grande mesure. Mais dans les détails, certains peuvent voir que ces principes avaient été remis en cause. La présence des forces onusiennes et de la force française sur le territoire malien aurait été un obstacle aux prises de décision des autorités, à l’époque, pour aller, seul, faire des opérations sans au préalable recevoir l’ordre de l’équipe qui avait la gestion du système aérien. Dans les détails, il y’avait fréquemment ce genre de situation dans le cadre militaire que beaucoup peuvent concevoir comme une influence sur nos choix stratégiques. Mais je trouve que c’était une volonté délibérée de coopération de ce régime.
Propos recueillis et retranscrits par Mohamed Camara
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