Sous la boue de Manéah, ce ne sont pas seulement quinze vies qui se sont éteintes, mais aussi le reflet d’un État incapable de dompter l’anarchie urbaine qu’il tolère depuis des décennies. Chaque saison des pluies, la Guinée enterre ses morts sous les éboulements et les inondations ; chaque saison, le même désordre, la même fatalité. Jusqu’à quand la montagne accusera-t-elle le silence et l’impuissance des autorités ?
Dans la nuit du 21 août, au pied du mont Kakoulima, la montagne a englouti ses enfants. Quinze morts, dix blessés graves, des familles anéanties en quelques minutes : tel est le bilan provisoire du glissement de terrain qui a frappé la commune de Manéah, en périphérie de Conakry. La pluie, diluvienne, a fait le reste, transformant les flancs malmenés par l’urbanisation sauvage en piège mortel.
Une tragédie annoncée
Ce n’est pas la première fois que la Guinée enterre ses habitants sous la boue et les roches. Chaque saison des pluies, de juin à septembre, apporte son lot de catastrophes. Mais ce drame, survenu dans une banlieue déjà saturée et anarchiquement construite, dit plus que les chiffres froids. Il montre les failles d’un État à faire respecter ses propres règles d’urbanisme. Il rappelle aussi l’extrême vulnérabilité d’une capitale qui grossit de 100 000 âmes chaque année sans infrastructures ni planification.
Dans les heures qui ont suivi le drame, l’armée et la protection civile ont remué la terre meuble avec l’aide des habitants, eux-mêmes guides improvisés vers les zones où l’on pouvait encore espérer retrouver des survivants. Des engins lourds ont été mobilisés, sous l’œil du ministre de l’Urbanisme, Mory Condé, qui déclarait sobrement : « d’importants moyens logistiques ont été déployés ». Le Premier ministre, Amadou Oury Bah, s’est rendu sur place, geste attendu mais nécessaire, preuve que le pouvoir ne pouvait se permettre de rester silencieux devant la colère et la douleur.
Une montagne qui accuse
Le mont Kakoulima, jusque-là protecteur et pourvoyeur d’eau, devient accusateur. C’est son flanc qui a cédé, mais c’est la main de l’homme qui a sapé ses assises. À force de bâtir sans permis, d’occuper les zones inondables, de déboiser les pentes, les habitants ont rendu la catastrophe inévitable. Or ces pratiques, tolérées par la corruption ou l’indifférence, sont le miroir de ce que la Guinée moderne n’a jamais su régler : la collision brutale entre explosion démographique et absence de gouvernance urbaine.
Depuis juin, l’Agence nationale de gestion des urgences et catastrophes humanitaires a recensé une cinquantaine de morts dus aux intempéries. Cinquante ! Comme si l’on s’habituait à compter les cadavres à chaque saison des pluies. La Guinée, pays riche en bauxite, en or et en espoirs, n’a pourtant pas les moyens d’imposer à ses habitants le simple droit de vivre à l’abri des éboulements et des inondations.
De Conakry à Freetown, de Monrovia à Bissau, les mêmes causes produisent les mêmes effets : urbanisation anarchique, absence de politiques de prévention, populations pauvres contraintes de s’installer là où elles ne devraient jamais vivre. L’Afrique de l’Ouest paie cher ses désordres urbains. La terre, elle, ne pardonne pas.
A.D
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