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L’expérience malienne dans la gestion de la pandémie du Covid-19

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Boubacar Haidara, Université Bordeaux Montaigne

Alors que la pandémie s’était déjà largement répandue à travers le monde, y compris dans des pays voisins du Mali (Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire) qui affichaient des niveaux de propagation importants, celui-ci en est (officiellement) resté longtemps épargné ; une situation qui, loin d’être satisfaisante, laissait perplexe beaucoup de Maliens et d’observateurs : les services de santé maliens étaient-ils suffisamment équipés pour pouvoir détecter le Covid-19 chez les patients suspects ?

Un élément particulier a semblé expliquer la raison pour laquelle les autorités maliennes ont tardé à rendre publics les premiers cas de contamination : malgré les nombreuses demandes de report exprimées par une partie de la classe politique et des organisations de la société civile – eu égard à la fois aux contextes sécuritaire et sanitaire – le président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) a personnellement décidé du maintien des élections législatives, dont le premier tour s’est tenu le 29 mars 2020 et le second tour le 19 avril.

De nombreux Maliens ont estimé que les cas de contamination, bien réels, ont été passés sous silence par les autorités dans l’unique but que les législatives se tiennent. Ce type de propos a circulé partout au Mali à travers les réseaux sociaux. Finalement, les deux premiers cas de contamination au Covid-19 furent officiellement déclarés le 25 mars 2020, à seulement quatre jours du scrutin. À compter de ce jour, le nombre quotidien de personnes testées positives au Covid-19 n’a cessé de grimper. Le 18 mai 2020, le nombre de cas s’élève à 874 dont 52 décès et 512 guérisons.

Un système de santé défaillant et des choix politiques inopportuns

Au début de la crise, le Mali ne comptait que dix respirateurs artificiels, et une soixantaine venaient d’être commandés. En plus de ces capacités de réponse fortement limitées en termes économiques et de structures sanitaires adéquates, l’État a lui-même semblé contribuer, à travers ses choix politiques, à instaurer un climat favorable à une propagation du virus.

Au 19 avril 2020, date de la tenue du second tour des législatives, le bilan de la pandémie était de 224 cas de contaminations, dont 14 décès, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de maintenir le scrutin. Une décision que bon nombre d’observateurs ont jugée totalement incompréhensible, les opérations électorales étant comme chacun sait des séquences propices à la propagation du virus. D’ailleurs, au même moment, les conseils des ministres se tiennent en vidéoconférence, ce qui montre que le pouvoir est bien conscient de la nécessité de limiter au maximum les regroupements. Ajoutons que durant les deux tours du scrutin, nous avons nous-mêmes pu remarquer que le dispositif sanitaire minimal (gel hydroalcoolique, dispositif de lavage des mains) a manqué dans de nombreux bureaux de vote de la capitale Bamako.

Dans son discours du 10 avril 2020, le président justifie le maintien du scrutin en affirmant qu’il ne faudrait surtout pas qu’une crise institutionnelle vienne s’ajouter à la crise sanitaire déjà en cours – d’où l’importance, selon lui, d’organiser le second tour des législatives. À ceux qui exigent le report, il répond que l’élection est une exigence issue du « dialogue national inclusif » et que nul ne saurait aller à l’encontre de la volonté exprimée par les Maliens.

La mise en place de mesures parfois incohérentes

Le 25 mars 2020, dans sa première allocution télévisée depuis le début de la crise sanitaire, IBK annonce une série de mesures parmi lesquelles l’instauration d’un couvre-feu nocturne entre 21h00 et 5h00 et l’interdiction de tout rassemblement de plus de 50 personnes. La fermeture des mosquées, lieu de promiscuité par excellence, ne fut pas décidée. La mesure (fortement souhaitable) n’aurait vraisemblablement pas été cohérente avec le maintien des législatives aux yeux des acteurs islamiques qui s’y seraient sans doute opposés. Les mosquées de Bamako continuent d’observer la même affluence qu’en temps ordinaire.

En revanche, les autorités annoncent la fermeture du grand marché de Bamako à partir de 16h00. Or une partie des commerçants spécialisés dans la vente de fruits et légumes frais commencent leurs activités l’après-midi, et sont totalement dépendants de celles-ci. En tout état de cause, les associations de commerçants s’y sont fermement opposées en conditionnant l’application de la décision à la mise en place préalable de mesures compensatoires. Face à ces exigences, l’État a sursis à son application.

Certaines mesures prises en Occident ont été totalement ou partiellement répliquées dans certains pays africains, alors que les réalités socioéconomiques sont bien différentes. Un constat que le président béninois, Patrice Talon, contrairement à d’autres, a bien intégré.

La grande majorité des Maliens sont employés dans le secteur informel, avec des systèmes de protection sociale quasi inexistants, sans régime d’assurance chômage par exemple. Le couvre-feu a mis fin à beaucoup d’activités génératrices de revenus, sans qu’aucune mesure compensatoire réelle ne soit proposée par l’État.

Comme les autres pays du monde, les États africains doivent, en prenant des mesures visant à contenir l’épidémie, parvenir à un certain équilibre entre le risque sanitaire et les risques socio-économiques. Ce qui exige un accompagnement par des mesures économiques, fiscales et sociales immédiates. Les dibiteries, les boulangeries, les bars, les restaurants, les cafés, les boîtes de nuit, les nombreux commerces de proximité, etc. sont contraints de cesser toute activité car certains exercent exclusivement le soir. Pourtant, les questions du loyer des locaux et des rémunérations des employés des entreprises concernées restent entières, dans la mesure où l’État ne leur a apporté aucune aide en ce sens. Comme le dit justement l’intellectuel ivoirien Franck Hermann Ekra, les Africains se retrouvent confrontés à un paradoxe temporel car ils subissent de plein fouet les conséquences économiques de la crise avant ses effets sanitaires.

La pertinence du couvre-feu apparaissait fortement discutable dans un pays basé sur une économie populaire où une partie des gens vivent d’activités informelles et qui s’exercent le soir. La situation économique est très difficile pour beaucoup de Maliens, et risquait de devenir explosive si la gestion de la crise n’était pas rapidement réorientée. Comme on a désormais l’habitude d’entendre au Mali, « il vaudrait peut-être mieux mourir du coronavirus que de faim ». C’est dire à quel point il est difficile pour un pays comme le Mali de gérer cette crise sanitaire. Face aux multiples manifestations qui ont eu lieu un peu partout dans le pays, le gouvernement décida finalement de la levée du couvre-feu le 8 mai 2020. En revanche, il ne s’est pas prononcé sur les raisons de sa levée, ni sur l’utilité et le bilan.

Les autorités auraient pu se focaliser sur l’application par les populations des mesures d’hygiène et de sécurité sanitaire « pour éviter le risque d’affamer les populations fragiles ». En effet, le Mali rencontre de sérieuses difficultés dans la mise en œuvre des règles de distanciation sociale et autres mesures visant à limiter les contagions. Il suffit de parcourir les rues de Bamako pour constater que les mesures barrières sont loin d’être adoptées par tous.

Dans son allocution télévisée du 10 avril 2020, sa troisième depuis le début de la crise, le président Kéita a annoncé plusieurs mesures sociales censées venir en aide aux populations. Parmi les plus concrètes, on notera la gratuité, pour les mois d’avril et mai, de l’électricité et de l’eau pour les consommateurs relevant du tarif dit social.

Concernant l’électricité, relèvent du tarif social les consommateurs dont la consommation mensuelle se situe entre 0 et 50 kWh. Le tarif du kWh étant fixé à 59 francs CFA pour cette tranche, la gratuité annoncée par IBK s’élève au maximum à 2 950 francs CFA (4,5 euros). Quant à l’eau, la gratuité concerne les consommateurs ne dépassant pas 10 mètres cubes d’eau par mois, pour un montant total de 1 130 francs CFA (1,72 euro), à raison de 113 francs CFA le mètre cube d’eau. Outre le fait qu’il s’agit de mesures visiblement dérisoires, de nombreux Maliens s’en trouvent privés alors qu’ils auraient pu y avoir droit. C’est le cas de ceux qui vivent au sein de familles élargies, généralement composées de plusieurs foyers. Même s’il s’agit de familles pauvres, les charges combinées (un seul compteur d’eau et d’électricité pour toute la famille), et qui pèsent généralement sur un seul individu, les privent d’emblée de l’aide de l’État.

Que peut-on espérer de l’après-Covid-19 pour le Mali ?

Après la crise du Covid-19, « le monde ne sera plus jamais le même » et le Mali ne sera pas épargné par le changement. Le délabrement du système de santé malien est surtout le fait d’une corruption endémique qui voit les deniers publics être accaparés par une minorité. Par exemple, plus de 700 milliards de francs CFA (1,13 milliard d’euros) ont été détournés entre 2005 et 2017, selon un rapport élaboré en novembre 2018 par le Canada au nom des bailleurs internationaux du Mali. Selon un autre rapport du bureau du vérificateur général, 153 milliards de franc CFA (plus de 233 millions d’euros) ont été détournés seulement en l’espace de deux ans, entre 2013 et 2014.

Les services publics en général, et l’hôpital tout particulièrement, ont été totalement délaissés. L’une des raisons en est que la classe dirigeante ne s’y soigne presque jamais. Au moindre pépin, elle préfère se rendre dans des hôpitaux du Maghreb ou d’Europe pour bénéficier des meilleurs soins. D’une part, la crise sanitaire souligne les inégalités car les plus précaires n’ont d’autre choix que de continuer à travailler, en prenant le risque de s’exposer au virus. Mais d’autre part, pour ces pays africains qui se sont illustrés par la corruption, la crise du Covid-19 vient instaurer une forme de justice sociale dans la mesure ou le tourisme médical, à cause de la fermeture des frontières, est suspendu. Au Mali, on n’a jamais ressenti l’utilité d’un hôpital digne autant que maintenant car avec la crise actuelle, que l’on soit pauvre ou riche, tout le monde est désormais soigné sur place. Cette situation pourrait susciter une prise de conscience de l’utilité d’une réorganisation profonde du système de santé à travers des investissements massifs en vue de son amélioration. On peut donc supposer que le Mali, après cette pandémie, pourrait devenir plus égalitaire, au moins sur le plan de la santé.

Boubacar Haidara, Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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