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Crise alimentaire en Afrique : sortir des dépendances, revenir aux fondamentaux

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Sécheresses, instabilité, insécurité et manque de vision politique alimentent la dépendance des pays africains vis-à-vis des importations de céréales, à commencer par le blé. Les répercussions de la guerre entre l’Ukraine et la Russie n’expliquent pas tout. En attendant que l’Afrique reprenne son destin en main, la Russie est en position de force pour imposer ses conditions.

« La région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest fait face à une nouvelle crise alimentaire et nutritionnelle majeure. Environ 38,3 millions de personnes seront sous pression pour la période de juin-août 2022 », alertait le RPCA (Réseau de prévention des crises alimentaires) au printemps dernier. Et elles l’ont été, sous pression. Aux crises habituelles — sécheresse, insécurité — sont venues s’ajouter les conséquences de la guerre en Ukraine et du blocage des exportations de céréales ukrainiennes.

L’Afrique du Nord violemment touchée

Certains pays ont déjà payé le prix fort, à cause de leur trop grande dépendance au blé de la Mer Noire. Surtout en Afrique du Nord. Par exemple, la Tunisie importait 47,7 % de son blé d’Ukraine. Le robinet fermé au printemps dernier a mis Tunis devant un dilemme pour éviter des émeutes de la faim. Au point d’amener le président Kaïs Saïed à lâcher du lest et à s’attirer les bonnes grâces d’Alger en s’alignant sur la position algérienne dans le dossier du Sahara Occidental. L’Égypte elle aussi s’est cassé les dents sur son approvisionnement en céréales, étant largement en tête des pays importateurs de produits agricoles ukrainiens, devant l’Indonésie, le Pakistan, le Bangladesh et le Liban.

Depuis, la tension s’est légèrement relâchée du côté des ports de la Mer Noire : un accord entre Kyiv et Moscou est intervenu le 22 juillet dernier, sous l’égide de la Turquie, afin de laisser sortir les céréales en souffrance dans les silos ukrainiens. Deux mois plus tard, début septembre, le président russe Vladimir Poutine a tapé du poing sur la table, considérant que les cargaisons de céréales exportées durant l’été avaient surtout bénéficié à l’Europe et aux pays riches. Selon le chef du Kremlin, seuls 2 navires sur 87 auraient livré leur cargaison « aux pays pauvres », soit 3 % seulement. Info ou intox ?

Intox, principalement destinée à séduire les pays africains, car les chiffres sont bien différents. Selon le Centre de coordination conjointe (CCC) d’Istanbul qui supervise les exportations ukrainiennes depuis juillet, l’Union européenne a reçu 36 % de ces céréales, la Turquie (20 %) — grand hub céréalier et meunier pour la zone MENA —, la Chine (7 %) et les pays africains (17 %).

La bataille Russie/Ukraine antérieure à la guerre

Mais la guerre en Ukraine n’explique pas tout. Comme le souligne Middle East Eye, « les craintes légitimes des effets de la crise sur l’approvisionnement en céréales de l’Afrique du Nord coïncident avec les perspectives d’une chute de la production de blé russe en 2021-2022, conséquence des mauvaises conditions climatiques, en particulier des étés chauds et secs ». Résultat, pour la saison 2021/2022, la Russie a exporté son plus faible volume total de blé en cinq ans. A contrario, l’Ukraine avait enregistré une « saison record » en 2021. Avant la guerre des armes, l’Ukraine et la Russie se livraient déjà un bras de fer monumental sur le marché des matières premières agricoles. En bloquant l’appareil productif ukrainien, la Russie s’est donc imposée sur le marché pour alimenter ces fameux « pays pauvres ».

Les pays africains, eux, subissaient déjà de plein fouet cette guerre économique entre les deux géants. Selon l’ONU, 25 pays du continent importent plus d’un tiers de leur blé de Russie et d’Ukraine, certains étant même dépendants à 100 % comme la Somalie et le Bénin. Avec les conséquences socio-économiques et les famines que l’on sait, des régions comme l’Afrique de l’Ouest voyant qui plus est leur production céréalière baisser de 20 %.

L’ONU ne cesse de tirer la sonnette d’alarme face à cet « ouragan de famines » qui pourrait toucher de nombreux pays en 2023, dont le Burkina Faso, l’Égypte, la République démocratique du Congo, la Libye, la Somalie ou encore le Soudan. Le Programme alimentaire mondial (PAM) souligne également l’impact de l’augmentation des prix (+70 % pour l’huile, +30 % pour le riz, +67 % pour la farine de blé) et alerte sur des pays en situation critique comme la République centrafricaine, victime d’un conflit armé interne prolongé, d’une insécurité persistante et de la détérioration de la sécurité alimentaire, comme le précise Tomson Phiri, porte-parole du PAM : « Au-delà de ces chocs, il existe des facteurs structurels tels que la forte croissance démographique, la pauvreté généralisée, le sous-emploi et la dégradation de la base de ressources agroécologiques qui contribuent à une détérioration progressive des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire. » Et la proximité du pays avec la Russie, très présente sur la scène sécuritaire et politique centrafricaine, ne semble en aucun cas arranger les choses : le pays est au bord de l’effondrement.

Moscou alimente la dépendance alimentaire des pays africains

Dans ce contexte de bras de fer international, l’Afrique s’est retrouvée dans le collimateur commercial de Moscou : en août dernier, le ministère de l’Agriculture russe a énoncé sa stratégie visant neuf pays du continent, comme l’Angola, le Cameroun ou le Ghana : « Le continent africain est une zone intéressante et prometteuse pour le développement des exportations alimentaires russes, a expliqué Dmitry Krasnov du Centre fédéral pour le développement des exportations agroalimentaires. Toutefois, il est important de tenir compte d’un certain nombre de facteurs tels que l’instabilité politique dans certains pays ou encore la réglementation des prix d’un certain nombre de marchandises afin de déterminer les pays prioritaires et de cibler les produits. » Une stratégie qui ne relève donc d’aucune forme d’altruisme, mais s’inscrit davantage dans ce qui s’apparenterait presque à un chantage d’État à État, la Russie monnayant son appui alimentaire contre des votes à l’Onu : mi-octobre, dans le cadre de la condamnation des annexions russes de quatre régions ukrainiennes, 22 pays africains se sont abstenus, 9 ont voté contre : l’Algérie, le Burundi, le Congo, la République centrafricaine, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Gabon, le Mali et le Zimbabwe. Un hasard ? Pas vraiment : la diplomatie des matières premières — chère au président Poutine — fonctionne à plein régime, pour le gaz comme pour le blé. Certains États africains n’ont tout simplement pas le choix et cèdent à la pression.

L’exemple du Mali est significatif : pourtant producteur de blé et de fonio, le pays a dû se résoudre à s’aligner et à importer du blé russe au début de l’été 2022, ainsi que des fertilisants. Selon Alousséni Sanou, ministre de l’Économie et des Finances du Mali, en visite à Moscou, « le commerce mondial est totalement perturbé. Le prix du blé, entre janvier 2021 et mai 2022 a presque été multiplié par cinq. Le Mali importe environ 47 000 tonnes de blé chaque mois. L’approvisionnement des pays n’est plus assuré, ce qui fait qu’aujourd’hui, chaque pays doit chercher à s’ajuster et à équilibrer ses comptes ».

Dans ce contexte de crise, c’est donc la Russie qui tire son épingle du jeu. Car derrière l’apparente posture de souveraineté affichée par le ministre affirmant : « Il faut échanger d’État à État, afin d’obtenir des prix sur le blé. C’est ce que nous avons obtenu grâce à des accords pour engager rapidement l’approvisionnement à partir de la Russie ». Une relation d’égal à égal semble hautement hypothétique, tant le Mali dépend dorénavant pour tout, sécurité, relations diplomatiques et, donc, alimentation, du nouvel allié exclusif dont la junte l’a affublé.

Et à la crise de l’approvisionnement en blé vient à présent s’ajouter celle de l’approvisionnement en maïs et en riz, venu d’Asie. Pour sortir de ces multiples dépendances, les pays africains devraient revenir à leurs fondamentaux : la production de cultures vivrières locales comme le mil, le fonio, le manioc et le sorgho. Et investir massivement dans l’appareil de production agricole, plutôt que de payer grassement des bateaux venus des ports russes ou asiatiques.

Fatim Ouattara

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