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Covid-19 en Afrique : les chiffres reflètent-ils la réalité ?

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Jean-François Etard, Institut de recherche pour le développement (IRD); Abdoulaye Touré, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC); Cheikh Tidiane Ndour, Université Cheikh Anta Diop de Dakar; Leon Tshilolo, Université de Lubumbashi; Philippe Katchunga Bianga, Université Officielle de Bukavu; Samba Sow, University of Maryland et Yap Boum, Mbarara University of Science and Technology

Comme le soulignait le 12 juin dernier Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique, s’il a fallu 98 jours pour atteindre la barre des 100 000 cas sur le continent africain, seuls 18 ont été nécessaires pour franchir celle des 200 000. À l’heure où nous écrivons ces lignes, 828 214 cas et 17 509 décès y ont été détectés.

Cela ne représente qu’une part infime des cas et décès mondiaux. En d’autres termes, alors que la pandémie a déjà fait des ravages en Europe et en Amérique, le continent africain, lui, reste moins touché qu’annoncé – alors que l’impact économique, les difficultés nutritionnelles et la baisse de la couverture vaccinale provoqués par l’épidémie sont d’ores et déjà très notables.

Plusieurs réponses

Pourquoi le continent africain semble-t-il relativement épargné ?

C’est la question que beaucoup se posent, et plusieurs explications ont été avancées.


À lire aussi : Covid-19 en Afrique : « la flambée épidémique que l’on craignait ne s’est pas encore produite »


Tout d’abord, l’expérience acquise dans la gestion d’épidémies antérieures, et en particulier de la maladie à virus Ebola avec la mobilisation des soignants formés, la réactivation d’infrastructures existantes, de centres de traitement ou de détection.

Ensuite, la jeunesse de la population irait de pair avec des formes asymptomatiques de la maladie.

Enfin, la prévalence des comorbidités serait plus faible qu’en Europe et plusieurs facteurs protégeraient la population : par exemple, des prédispositions génétiques, la rencontre fréquente avec d’autres virus (hypothèse de l’immunité croisée).

Certains éléments laissent cependant craindre une évolution moins favorable. En effet, l’accès au diagnostic, renforcé dès le début de la crise, reste sous contraintes logistiques ou d’approvisionnement en tests à l’échelle du continent. Les chiffres disponibles ne montrent donc que la partie émergée de l’iceberg.

Par ailleurs, on sait que les comorbidités comme l’obésité, le diabète et l’hypertension artérielle sont en pleine expansion chez les adultes en Afrique.

De plus, il semble que le nombre de cas notifiés soit à la hausse dans de nombreux pays tout en restant sur un plateau élevé dans d’autres, avec un nombre de reproduction entre 1 et 1,5.

Enfin, en République démocratique du Congo comme au Mali, au Gabon, au Cameroun et au Sénégal, des témoignages de soignants et d’acteurs de la riposte au Covid-19 font état de transferts de patients vers des structures extra-hospitalières, et d’une augmentation de la transmission communautaire et du nombre d’appels au SAMU (Service d’aide médicale urgente).

D’autres témoignages sont certes plus rassurants, notamment sur la situation dans les hôpitaux, mais la peur de la contagion retarde la prise en charge de situations cliniques engageant le pronostic vital, en particulier les urgences obstétricales.

La mobilisation des équipes médicales face à l’épidémie de Covid-19 a ainsi un impact négatif sur la prise en charge d’autres pathologies et sur les soins en général, comme on a pu le voir avec l’épidémie d’Ebola. Enfin, l’OMS a déjà alerté sur des difficultés d’accès aux denrées alimentaires susceptibles de conduire à une augmentation de la malnutrition. Autant dire qu’in fine, le véritable impact de la pandémie en Afrique est mal connu.

Au-delà des chiffres…

L’analyse des données des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies est intéressante à maints égards. Notre analyse (voir la figure ci-dessous) confirme que plus on teste, plus on compte de cas bien évidemment, et que l’incidence cumulée des cas notifiés de Covid-19 est directement proportionnelle au pourcentage de la population testée.

Dans le détail, on voit ainsi qu’en Afrique du Sud (numéro 41 sur la figure), où l’incidence est très forte, le taux de testing est élevé, alors qu’en Tanzanie et au Burundi (numéros 44 et 6), c’est l’inverse. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Ghana (numéros 38, 11, 7 et 20), quant à eux, se trouvent dans une situation intermédiaire. À proportion testée identique, les écarts d’incidence cumulée traduisent des situations épidémiologiques contrastées et/ou des recommandations de dépistage variables. La situation du testing et, par conséquent, l’incidence cumulée du Covid-19, apparaît donc très hétérogène.

Incidence cumulée du Covid-19 en Afrique selon le pourcentage de la population testée au 8 juillet 2020. Chaque point numéroté correspond à l’un des 49 pays listés dans le fichier de données téléchargeable ci-après. Africa CDC, Author provided

On observe ensuite que la proportion des décès parmi les malades (CFR, ou Case Fatality Rate) est d’autant plus faible que de nombreux tests sont effectués. Et ce qui est frappant, c’est l’hétérogénéité de cette létalité d’un pays à l’autre (voir la figure ci-dessous) lorsque peu de tests sont réalisés, reflétant des indications de diagnostic et des capacités de prise en charge variables.

Létalité de la Covid-19 rapportée en Afrique, selon le pourcentage de la population testée au 8 juillet 2020. Chaque point numéroté correspond à un des 49 pays listés dans le fichier de données téléchargeable ci-après. Africa CDC, Author provided

On note également, dans bien des pays, que le nombre de cas quotidiennement notifiés n’augmente pas comme il l’a fait sur les autres continents en début d’épidémie : une stabilité que l’on peut légitimement attribuer au plafonnement du nombre de cas pouvant être confirmés chaque jour, du fait de capacités diagnostiques limitées ou de tests dont l’indication est ciblée (formes symptomatiques).

Cependant, l’introduction au Cameroun de la stratégie « Track Test and Treat » (introduction de tests de diagnostic rapides) va dans le sens opposé. Cette stratégie a permis d’effectuer des tests nettement plus nombreux dans dix régions affectées et une augmentation importante des cas a été observée dès leur mise en place début mai. Ces constats illustrent la grande hétérogénéité de la pandémie en Afrique.

En somme, qu’il s’agisse des cas quotidiennement notifiés, de l’incidence cumulée, ou de la proportion des décès, les chiffres officiels ne peuvent pas refléter à eux seuls la diffusion réelle de la pandémie, tout comme aux États-Unis où les cas pourraient être dix fois plus nombreux que ce que les statistiques indiquent.

D’autres actions sont nécessaires

Pour l’heure, les tests ne sont préconisés que pour les cas suspects, les personnes avec qui ceux-ci ont été en contact, et le personnel soignant. Or pour mieux apprécier l’ampleur de l’épidémie, il conviendrait d’élargir massivement l’accès aux tests virologiques ou de mettre en place des algorithmes intégrant des tests antigéniques et sérologiques, comme au Cameroun.

On pourrait aussi mener des enquêtes épidémiologiques en population générale ou au sein de groupes particuliers (soignants, institutions fermées, enfants, hébergement dense…) utilisant des tests sérologiques validés : c’est ce qui a été réalisé en avril/mai à Genève, où les chercheurs ont constaté que pour chaque cas notifié il y avait eu 11 personnes infectées.

C’est aussi ce qui est en cours au Mali à travers des protocoles d’enquêtes sérologiques transversales et en série, en milieux urbain et rural, dans la population générale, chez les enfants, les femmes enceintes et les travailleurs de la santé. Aussi, les actions doivent être encouragées et poursuivies dans le domaine de la surveillance active, du dépistage précoce, de la gestion des cas, de l’isolation, de la recherche des contacts, de la distanciation physique et des essais thérapeutiques et vaccinaux dans le contexte africain. Il faut encourager les pays et équipes africaines de recherche impliquées dans la gestion de la pandémie à travailler en réseau, en collaboration avec les partenaires, notamment l’OMS et le CDC-Afrique de l’Union africaine.

Autre action à préconiser : évaluer le respect des mesures barrières par la population. À Bukavu et Kinshasa (comme nous l’expliquons dans un article à paraître dans Tropical Medicine and Health), en République démocratique du Congo, dans cinq quartiers (trois rues servant de référence pour chacun d’eux) et chaque mercredi, du 17 juin au 8 juillet 2020, il a été constaté que le masque est très peu utilisé, en dépit des recommandations officielles.

Femme se promenant masquée dans les rues de Bukavu, avec des passants en arrière-plan.
Dans les rues de Bukavu comme ailleurs, les masques sont encore trop rarement portés. Gloire Kalunduzi Baraka/Projet Dashboard, Author provided

À l’évidence, de telles observations, ajoutées aux tests virologiques et sérologiques, pourraient aider les pouvoirs publics à ajuster leur réponse à l’épidémie.

Au bilan, constatant les nombreuses inconnues qui demeurent quant à la réalité de l’épidémie africaine, ses déterminants et ses conséquences, et soucieux d’en prendre la mesure pour ajuster la riposte, nous recommandons :

  • un accroissement des capacités diagnostiques et l’intégration de tests antigéniques et sérologiques validés dans les algorithmes nationaux ;
  • l’ajout d’indicateurs de l’observance des mesures de prévention et d’indicateurs hospitaliers aux tableaux de bord de suivi ;
  • une réorientation des modalités de réponse à l’épidémie afin d’assurer une continuité des services de santé courants préventifs et curatifs ;
  • l’inclusion des communautés dans la co-construction des messages/informations sur les mesures barrières ;
  • une recherche coordonnée intégrant diversité disciplinaire et thématique (prévention, diagnostic, clinique, thérapeutique, conséquences humaines, sociétales et économiques) afin de comprendre et d’éclairer les décisions de santé publique, de faire taire rumeurs et désinformation.

Les auteurs de cet article remercient pour leur contribution René Ecochard (Université Lyon 1, France) ; Benjamin Longo-Mbenza (Faculté de Médecine, Université de Kinshasa, République démocratique du Congo) ; Youssouf Traoré (Président de la Société malienne de gynécologie-obstétrique et membre du Comité national de crise pour la lutte contre la Covid-19, Bamako, Mali).

Jean-François Etard, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Abdoulaye Touré, Professeur agrégé en santé publique, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC); Cheikh Tidiane Ndour, Professeur d’infectiologie, chef de la Division sida et infections sexuellement transmissibles au ministère de la Santé et de l’action sociale (Dlsi), Université Cheikh Anta Diop de Dakar; Leon Tshilolo, Professeur, Université Officielle de Mbujimayi, Université de Lubumbashi; Philippe Katchunga Bianga, Professeur – membre de la Commission scientifique du comité multisectoriel de coordination de la riposte contre la pandémie à coronavirus au Sud-Kivu, Université Officielle de Bukavu; Samba Sow, Professeur, Directeur général du Centre pour le développement des vaccins du Mali (CVD-Mali), University of Maryland et Yap Boum, Professor in the faculty of Medicine, Mbarara University of Science and Technology

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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