En ordonnant le déploiement immédiat d’une force régionale pour soutenir le président Patrice Talon après la tentative de coup d’État du 7 décembre 2025, la CEDEAO veut éviter qu’un nouveau domino ne tombe dans la région. Mais derrière cette démonstration de fermeté se joue une autre bataille : celle de la survie du dernier régime civil encore debout dans une Afrique de l’Ouest gagnée par la tentation des ruptures militaires. À Cotonou, le vent du Sahel a soufflé — et même s’il a été contenu, il a révélé l’essoufflement d’un modèle démocratique à bout de souffle.
La riposte a été immédiate. Moins de vingt-quatre heures après la tentative de changement de pouvoir manquée contre le président Patrice Talon, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a sorti la carte de la fermeté. Dans un communiqué publié ce dimanche soir à Abuja, l’organisation régionale a ordonné le déploiement « immédiat » d’éléments de la Force en attente sur le territoire béninois, afin de soutenir le gouvernement et de préserver « l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale » du pays.
Selon le texte signé par la Commission de la CEDEAO, la décision découle de l’article 25(e) du protocole de 1999, relatif au mécanisme de prévention et de maintien de la paix. Après consultations entre les chefs d’État et de gouvernement, Abuja a donc activé la clause de défense collective, transformant le Bénin en nouvelle ligne rouge du dispositif sécuritaire ouest-africain.
Une coalition sous bannière nigériane
La force régionale sera composée de troupes venues du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et de la Sierra Leone — les quatre piliers militaires du dispositif CEDEAO. Ce contingent, qui pourrait être déployé « dans les prochaines heures », aura pour mission de sécuriser Cotonou, les infrastructures stratégiques et les institutions républicaines, tandis que l’armée béninoise poursuit ses opérations contre les auteurs de la tentative de changement de régime retranchés dans la zone portuaire.
En clair, Abuja ne veut pas d’un nouveau « cas malien » au cœur du Golfe de Guinée. Depuis le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO en janvier 2024, l’organisation voit dans le Bénin un dernier bastion du modèle civil et libéral qu’elle entend préserver à tout prix.
Une réaction de survie régionale
Derrière la rhétorique juridique et protocolaire, cette décision traduit une peur : celle d’une contagion qui a déjà gagné la moitié du continent. Le spectre d’un basculement du Bénin dans le camp des pouvoirs militaires du Sahel hante les chancelleries d’Abuja, d’Accra, d’Abidjan, voire de la France. Le président nigérian Bola Tinubu, actuel président en exercice de la CEDEAO, l’a d’ailleurs martelé : « Le Bénin ne tombera pas. »
Mais cette posture de fermeté a un revers. Dans les rues de Cotonou et sur les réseaux sociaux ouest-africains, certains dénoncent une « militarisation de la diplomatie » et un deux-poids-deux-mesures criant. Là où la CEDEAO s’est montrée impuissante face au cas de la Guinée Bisseau, elle déploie aujourd’hui des troupes pour sauver un président affaibli par la fin de son mandat et la fragmentation de son propre camp.
Talon, l’ultime rempart ou le symbole d’un système à bout de souffle ?
L’ironie est cruelle. Patrice Talon, chantre autoproclamé de la « Rupture », se retrouve désormais protégé par la vieille garde régionale qu’il avait pourtant défiée sur plusieurs dossiers économiques et institutionnels. À Abuja, à Accra comme à Abidjan, on défend un allié. À Cotonou, beaucoup y voient plutôt la consolidation d’un régime de plus en plus verrouillé, où la succession s’est transformée en bombe à retardement.
La CEDEAO veut croire qu’elle défend la démocratie. Mais en s’érigeant en gendarme d’un ordre vacillant, elle protège avant tout un modèle à bout de souffle — celui des démocraties verrouillées post-conférences nationales, où les urnes n’ont plus la force d’apaiser, et où les casernes finissent toujours par s’inviter au débat politique.
A.D
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