Dans une déclaration lue à la télévision nationale à Niamey, mercredi soir, au nom d’un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), des militaires ont déclaré avoir renversé le régime du président du Niger Mohamed Bazoum. Ibrahima Harane Diallo est chercheur à l’Observatoire sur la Prévention et la Gestion des Crises au Sahel/Chercheur associé à Timbuktu Institute. Dans cette tribune, il nous livre sa lecture sur l’irruption des militaires dans le champ.
Définitivement l’évolution des contextes institutionnels en Afrique occidentale montre que les lois, fussent-elles, constitutionnelles ont montré leurs limites en matière de fixation de rôles et rapports politiques et institutionnels dans de nombreux États. En effet, on tend, de plus en plus, vers une banalisation de coups de force en Afrique qui s’illustre par une certaine facilité en matière d’interruption de l’ordre constitutionnel national de la part des militaires. Ce qui caractérise, paradoxalement, ces différents coups de force de la dernière décennie, c’est qu’ils sont orchestrés contre des régimes, démocratiquement, élus et dans bien nombre de cas à une majorité confortable voire absolue.
Limites dans les mécanismes juridiques et politiques de contrôle de l’armée
Il est, pourtant, consigné dans, quasiment, toutes les constitutions de ces régimes démocratiques qui ont succédé à la vague de coups d’État contre les régimes autoritaires des années quatre-vingt-dix que les coups d’État constituent un crime imprescriptible contre les peuples. Redoutant ainsi un scénario de retour des militaires dans le jeu politique, les forces démocratiques africaines, d’alors, avaient pris le soin de prévenir toute velléité militaire de confusion des rôles et de rapports institutionnels et politiques.
Cependant, trente ans après, les réalités du présent montrent que ces données juridiques en des dispositions constitutionnelles et pénales semblent atteindre leurs limites ne constituant plus un mécanisme dissuasif pertinent, comme prévu, à l’irruption des militaires dans le champ politique. A l’analyse des difficultés liées à l’opérationnalité des mécanismes juridiques du contrôle de l’armée par les élites politiques, un certain nombre d’hypothèses sont à explorer. Il s’agit, notamment, du pacte social entre gouvernants et gouvernés ; la culture politique et le contexte géopolitique et stratégique mondial.
Creuser du côté de la culture politique et institutionnelle
C’est, justement, au regard de ces limites observées dans les mécanismes juridiques et politiques de contrôle de l’armée par les élites politiques que certains dirigeants des organismes régionaux en Afrique avaient tenté, en termes de piste, de théoriser et même d’expérimenter une intervention militaire en vue de la protection et du rétablissement de l’ordre constitutionnel dans des pays où cet ordre serait menacé ou interrompu. Cette option parait, toutefois, moins évidente sur le plan méthodologique et en matière d’efficacité souhaitée. Elle pourrait, en outre, être source d’expansion du désordre et même d’internationalisation de la crise interne. En définitive, les lois ne peuvent plus être des solutions viables et fiables fussent-elles constitutionnelles ou internationales. Il faudrait creuser du côté de la culture, de la culture politique et institutionnelle qui pourraient se traduire par une meilleure formation des militaires sur les valeurs républicaines et la sacralité de ces valeurs démocratiques basées sur le strict respect de rôles et rapports avec les autres organes politiques et orientées vers la défense de l’intégrité territoriale et la protection des hommes et des biens doublée d’une meilleure gouvernance politique et institutionnelle.
Le célèbre politologue américain Francis Fukuyama avait affirmé, avec justesse, en 1992, « la fin de l’histoire et le dernier homme » dans le contexte du triomphe de la démocratie qui s’est illustré par la chute du mur de Berlin, l’éclatement de l’Union des républiques socialistes soviétiques et la consécration de la superpuissance américaine. Pourtant les réalités politiques et institutionnelles récentes décrivent que l’histoire ne semble pas prendre fin, en tout cas, en Afrique confrontée à des interférences militaires et stratégiques qui bouleversent son cours et le dernier homme encore à la croisée de chemins à la recherche de sa stabilité, de son originalité et de sa gloire.
Ibrahima Harane Diallo, journaliste-Politologue, Chercheur à l’Observatoire sur la Prévention et la Gestion des Crises au Sahel/Chercheur associé à Timbuktu Institute
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