Home A la Une [Tribune] Crise politique au Sahel : Regards philosophiques sur les retraits de la CEDEAO et la dénonciation de l’Accord d’Alger

[Tribune] Crise politique au Sahel : Regards philosophiques sur les retraits de la CEDEAO et la dénonciation de l’Accord d’Alger

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La décision du Mali de dénoncer l’Accord pour la paix et celle du Burkina Faso, du Niger et du Mali de se retirer de la CEDEAO au cours de la même semaine ont déclenché une crise profonde, marquant un tournant majeur dans la géopolitique de la région sahélienne. Ces évènements soulèvent des questions cruciales sur la nature de la démocratie, la légitimité de l’intervention militaire étrangère et le rôle des organisations régionales.

Les évènements récents soulèvent des questions fondamentales qui nécessitent une réflexion approfondie. Les philosophes, avec leur sagesse intemporelle, offrent des perspectives précieuses pour naviguer dans ces eaux troubles. Dans un monde en perpétuel mouvement, où la liberté individuelle, la souveraineté nationale et la coopération régionale semblent parfois entrer en conflit, la philosophie devient un guide essentiel pour comprendre les enjeux complexes et tracer la voie vers un avenir plus éclairé. 

Comme l’exprimait le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau, « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » La décision des nations sahéliennes de revoir leurs alliances témoigne de la quête perpétuelle de la liberté et de l’autonomie, même au détriment d’accords établis. Cependant, la dénonciation de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger en 2015 soulève des inquiétudes quant à la stabilité régionale, rappelant ainsi la pensée de Thomas Hobbes sur la nécessité du « contrat social » pour prévenir le chaos.

Conflits des intérêts 

Le retrait de la CEDEAO par ces nations souligne les tensions entre l’individualisme national et l’idéal de solidarité régionale. Comme l’a souligné Emmanuel Kant, l’État de paix perpétuelle ne peut être atteint que par« une fédération d’États libres. » Le retrait de ces nations remet en question la viabilité de telles fédérations dans un monde où les intérêts nationaux semblent parfois prévaloir.

D’un autre côté, la décision de ces nations peut être interprétée comme un acte de résistance contre ce qu’Albert Camus aurait qualifié d’« absurde » — une situation où les aspirations nationales entrent en conflit avec les structures supranationales. « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide », disait Camus, soulignant la gravité des décisions qui touchent à l’existence nationale.

Le principal argument qu’on pourrait retenir comme justificatif du départ de ces trois pays est que la CEDEAO a violé leur souveraineté en leur imposant des sanctions après les coups d’État qui ont renversé les régimes civils en place. Ces sanctions, qui comprenaient notamment la fermeture des frontières, la suspension des échanges commerciaux et la mise à l’écart des pays du Conseil des ministres de la CEDEAO, ont été perçues comme une violation de la souveraineté nationale et ont été jugées comme « illégales, illégitimes et inhumaines ».

Ces arguments rejoignent les réflexions de nombreux philosophes sur la nature de la démocratie et de la souveraineté. Pour le philosophe français Jean-Jacques Rousseau, la souveraineté est « le droit de faire les lois ». Ce droit est inaliénable et appartient au peuple. Les dirigeants politiques ne sont que des représentants du peuple et ne peuvent agir que dans le respect de la volonté populaire.

La CEDEAO, quant à elle, est une organisation régionale qui vise à promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest. Cependant, ses actions récentes ont été critiquées pour leur manque de respect de la souveraineté des États membres.

La légitimité de l’intervention militaire étrangère

Un autre argument avancé par les trois pays est que la CEDEAO ne leur a pas apporté l’aide nécessaire pour lutter contre le terrorisme. En effet, la région sahélienne est confrontée depuis plusieurs années à une insurrection djihadiste qui a fait des milliers de morts et déplacé des millions de personnes.

Malgré l’existence d’une multitude de forces militaires étrangères, dont la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), Barkane, Takuba, pour aider le Mali à lutter contre le terrorisme, la crise perdurait au Mali depuis plus d’une décennie. Cela reste de même pour le Burkina Faso et le Niger. Cependant, ces forces sont donc critiquées pour leur manque de résultats.

Les décisions des trois pays rejoignent les réflexions de nombreux philosophes sur la légitimité de l’intervention militaire étrangère. Pour le philosophe allemand Emmanuel Kant, l’intervention militaire étrangère est légitime uniquement si elle vise à protéger les droits humains fondamentaux.

Dans le cas de ces pays sahéliens, il est difficile de dire si l’intervention militaire étrangère est légitime. D’un côté, la situation humanitaire était catastrophique et les droits humains étaient gravement violés. De l’autre côté, l’intervention militaire n’a pas encore permis de mettre fin à l’insurrection djihadiste.

La CEDEAO est une organisation régionale qui joue un rôle important dans la stabilité de la région sahélienne. Cependant, ses actions récentes ont été critiquées pour leur manque de cohérence et leur manque de légitimité.

La coopération régionale 

Les décisions des trois pays incitent à des réflexions sur le rôle des organisations régionales. Pour le philosophe américain John Rawls, les organisations régionales doivent être fondées sur des principes démocratiques et doivent respecter la souveraineté des États membres.

Dans le cas de la CEDEAO, il est clair que les principes démocratiques ne sont pas toujours respectés. Les sanctions imposées aux trois pays après les coups d’État sont un exemple de cette violation des principes démocratiques. Car les chefs d’État qui s’octroient un troisième mandat en toute violation de la Constitution de leur pays n’ont jamais été sanctionnés. Pourtant, les coups d’État sont la conséquence des violations des principes démocratiques. 

La philosophie nous rappelle que l’équilibre entre la liberté individuelle et la nécessité de coopération est un défi constant. Comme l’évoquait Søren Kierkegaard, « La vie ne peut être comprise qu’en regardant en arrière, mais elle ne peut être vécue qu’en regardant en avant. » La dénonciation de l’Accord pour la paix et le retrait de la CEDEAO offrent ainsi une opportunité de réflexion sur la voie à suivre pour ces nations et pour la région dans son ensemble, dans un monde en constante évolution.

Les décisions du Mali et des trois nations sahéliennes appellent à une introspection profonde sur la démocratie, la solidarité régionale et le rôle des organisations internationales. La quête de réponses à ces interrogations philosophiques stimulantes est cruciale pour forger un chemin vers la stabilité et la prospérité dans cette région dynamique, mais tourmentée.

F. Togola 

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