Home Actu Stabilisation au Sahel : Entretien avec Blerta Cela, directrice de la Facilité régionale de stabilisation du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)

Stabilisation au Sahel : Entretien avec Blerta Cela, directrice de la Facilité régionale de stabilisation du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)

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Dans un entretien exclusif avec Sahel Tribune, Blerta Cela, directrice de la Facilité régionale de stabilisation du PNUD, dévoile les coulisses d’un projet novateur. Lancé en 2019 dans le bassin du lac Tchad et étendu en 2021 à la région du Liptako Gourma, ce programme ambitieux s’attaque aux racines de l’instabilité. Soutenu par des partenaires internationaux et locaux, il vise à instaurer la paix, à réduire les risques de violence et à stimuler un développement durable dans des zones de conflit souvent négligées.

Tel un phare guidant les navires dans la nuit tumultueuse de l’océan, la Facilité régionale de stabilisation du PNUD brille d’espoir dans les ténèbres de l’instabilité au Sahel. Dirigée par Blerta Cela, cette initiative éclaire le chemin vers la paix et le développement dans le bassin du lac Tchad et la région du Liptako Gourma, offrant un phare d’espoir pour les populations naviguant à travers les flots agités de la violence et du conflit.

Sahel Tribune : Quelle est l’ampleur des défis climatiques et sécuritaires auxquels le Sahel est confronté selon vous ?

Blerta Cela : Les défis climatiques et sécuritaires auxquels le Sahel est confronté sont d’une ampleur considérable, entravant sa prospérité et sa paix. L’insécurité résultant de conflits armés, de l’instabilité politique, du terrorisme et de la criminalité organisée affaiblissent l’accès aux services de base et aux moyens de subsistance, ainsi que la capacité de protéger les droits humains des populations. Par ailleurs, les répercussions du climat sur les moyens de subsistance des populations principalement rurales dans le Sahel, associées à la croissance démographique, entraînent des tensions et amplifient les risques de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles productives. 

Dans les pays du Sahel, une vaste région semi-aride entre le désert du Sahara au nord et les savanes tropicales au sud, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient. Les inondations et les sécheresses induites par la hausse des températures, 1,5 fois plus rapide que la moyenne mondiale, perturbent les activités agricoles et d’élevage, menaçant ses millions d’habitants, en particulier les femmes et les filles qui en dépendent fortement. Selon un rapport de la Banque mondiale on estime que le changement climatique entraînera le déplacement interne d’environ 216 millions de personnes d’ici 2050. Par exemple, les fortes pluies de ces dernières années au Niger ont eu des conséquences désastreuses tant sur le plan humain que matériel dans les 8 régions du pays. En 2022, le Tchad a connu ses plus importantes précipitations des 30 dernières années, causant des dommages considérables sur plus de 465 000 hectares de terres agricoles.

Des femmes agriculteurs.
Des agriculteurs de Mokolo dans la région de l’Extrême-Nord au Cameroun reçoivent des formations sur le compostage, une technique de fertilisation agro-écologique. Facilité.

Quelles sont les dynamiques de conflit que l’on observe dans le Sahel ?

Les groupes armés prospèrent là où la présence de l’État est insuffisante, recrutant notamment des jeunes marginalisés des communautés rurales avec des incitations économiques et alimentaires en échange de leur loyauté. Comme les dernières données ACLED nous le montrent, 2023 a été une fois de plus marquée par des violences records dans le Sahel central, englobant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. 

En 2023, les violences contre les civils se sont poursuivies dans le nord-est et le nord-ouest du Nigeria, s’intensifiant au cours des derniers mois, causant plusieurs victimes et provoquant des déplacements forcés supplémentaires. En septembre 2023, plus de 363 000 Nigérians avaient fui le nord-ouest et le nord-est du pays pour se réfugier au Cameroun, au Tchad ou au Niger. 

L’ampleur des violences s’ajoutant aux catastrophes naturelles a poussé au déplacement plus de 5,6 millions de personnes dans le Sahel. Ces enfants, ces femmes et hommes sont dans l’obligation de fuir pour survivre et recommencer leur vie. Les communautés d’accueil font tout ce qu’elles peuvent, mais cette situation exerce une pression supplémentaire sur les ressources souvent rares et cause parfois des tensions comme au sud-est du Nigeria où les éleveurs nomades Fulani migrants et les agriculteurs Yoruba autochtones font face à des conflits, entraînant à leur tour des confrontations plus larges entre migrants et communautés d’accueil. 

Comment les communautés locales, et notamment les femmes, sont-elles impliquées dans les initiatives de stabilisation et de résilience dans la région ?

Dans nos programmes de stabilisation dans le Liptako Gourma et le Lac Tchad, l’expertise des communautés locales est cruciale. Au cœur des initiatives se trouvent les comités locaux de stabilisation, composés d’autorités locales, de représentants des groupes de jeunes et de femmes, de leaders traditionnels entre autres. Ces comités jouent un rôle essentiel tout au long des projets en garantissant que nos actions prennent en compte les préoccupations de toute la communauté, notamment lors de la sélection des communautés cibles, la mise en œuvre et le suivi des activités. 

Réunion d'un Comité de stabilisation.
Réunion d’un Comité local de Stabilisation au Mali. Facilité.

De plus, ils jouent un rôle essentiel dans la formulation de propositions pour relever les défis locaux, surveiller les installations communautaires et faciliter l’engagement des populations dans l’élaboration de plans d’action territoriaux. La participation des femmes est essentielle pour renforcer le leadership féminin, comme l’illustre l’expérience de Yagana Ibrahim à Banki, dans l’État du Borno au Nigeria. Avant de s’impliquer avec les autres femmes de sa communauté, cette mère de famille dit qu’elles se sentaient incapables de faire entendre leurs préoccupations. Mais maintenant, depuis qu’elles sont dans le comité de stabilisation, elles ont retrouvé confiance et se sentent plus à l’aise de signaler les problèmes rencontrés aux autorités locales.

Ces comités de stabilisation mettent en avant les questions concernant les femmes et les jeunes et veillent à trouver des solutions équitables répondant à leurs besoins. Au Tchad, deux comités locaux de stabilisation sont dirigés par des femmes, ce qui est très encourageant.

Pourriez-vous nous donner des exemples concrets d’initiatives soutenus par la Facilité régionale de Stabilisation dans le Sahel ?

Dans le Liptako Gourma et le bassin du Lac Tchad, la Facilité régionale de Stabilisation est le fruit d’une collaboration entre les gouvernements nationaux et locaux, les organisations communautaires, les groupes de femmes et de jeunes, ainsi que les institutions régionales telles que la Commission du bassin du Lac Tchad et l’Autorité du Liptako-Gourma, avec le soutien crucial de donateurs internationaux. Ces partenariats sont essentiels pour obtenir des résultats significatifs sur le terrain. 

Nos efforts se focalisent sur le rétablissement de la sécurité et de la justice, le renforcement des services sociaux essentiels, la création d’opportunités de moyens de subsistance durables, ainsi que le renforcement de la coopération transfrontalière, favorisant la paix et la cohésion sociale. À ce jour, la Facilité régionale de Stabilisation dans le Liptako Gourma et le bassin du Lac Tchad a touché plus de 1 660 000 personnes, dont 66% des femmes, dans 33 localités du bassin du lac Tchad et 28 localités du Liptako-Gourma qui étaient et sont toujours fortement affectées par des conflits violents. Nos initiatives visent à renforcer l’accès aux services essentiels et à fournir aux communautés touchées par les conflits les outils nécessaires pour garantir leurs moyens de subsistance immédiats, et sur le moyen terme, améliorer leurs conditions socio-économiques. 

En octobre 2022, grâce aux efforts du programme de la stabilisation, le village de Ngarannam dans l’État de Borno, dans le nord-est du Nigéria, ravagé par des conflits violents depuis 2015, a pu être complètement réhabilité et offrir des conditions de sécurité suffisantes pour accueillir plus de 5 000 habitants qui sont revenus volontairement. Cette réouverture a été rendue possible grâce à la mise en place d’infrastructures sociales et économiques, de mesures de sécurité et d’opportunités de moyens de subsistance soutenues par d’importants efforts nationaux, appuyés par la stabilisation. Chaque maison, place de marché et école a été construite avec la contribution de la communauté, garantissant la prise en compte de leurs besoins, notamment ceux spécifiques aux femmes et aux filles. 

Une école réhabilitée à Ngarannam
Une école réhabilitée à Ngarannam, au Nord Est du Nigeria. Facilité.

À travers les deux régions, nous avons formé plus de 5 000 membres des forces de sécurité, dont 500 femmes, aux droits de l’homme et à la prévention des violences basées sur le genre. La Facilité a réhabilité et reconstruit près de 300 infrastructures de services sociaux de base, tels que les centres de santé et les écoles, ainsi que 5 773 logements permanents pour permettre aux communautés de reconstruire leur vie en toute sérénité. Nos investissements dans les services et les infrastructures posent les bases d’un retour sûr, volontaire et digne pour les populations déplacées, avec plus de 435 000 personnes ayant pu regagner leur foyer depuis le début du programme.

En quoi les investissements dans les énergies renouvelables et l’accès à l’eau potable contribuent-ils à renforcer la sécurité des populations vulnérables, en particulier des femmes et des filles ?

Le Sahel est l’une des régions du monde les plus touchées par l’insécurité hydrique principalement en raison de l’accélération de l’évapotranspiration liée aux changements climatiques en cours. Les défis d’accès à l’eau sont l’un des facteurs les plus récurrents de conflits dans le Sahel, notamment en relation avec l’agriculture et le pastoralisme. Cependant, la région abrite l’un des plus grands aquifères du continent africain, offrant ainsi un potentiel hydrique considérable, en plus des opportunités déjà bien établies en matière d’énergie solaire.

L’accès à l’eau et à l’énergie renouvelable est l’un des piliers de développement des moyens de subsistance et de prévention des conflits que la Facilité de stabilisation s’est engagée à mettre en œuvre. Ces investissements ont un impact positif dans la région, se manifestant notamment par la construction et la réhabilitation des points d’eau ainsi que l’installation de lampadaires à énergie solaire.

Installation de lampadaires à énergie solaire au Niger
Installation de lampadaires à énergie solaire au Niger, région de Diffa. Facilité.

Ces initiatives renforcent la sécurité des populations vulnérables en réduisant les risques de maladies hydriques, en offrant des opportunités économiques par le biais de l’irrigation agricole et de l’élevage, et en améliorant la sécurité personnelle, particulièrement pour les femmes et les filles, en limitant les déplacements longs et dangereux pour chercher de l’eau.

Par exemple, au Burkina Faso, un bassin d’une capacité de 5 250 m3 a été construit à Seytenga pour répondre aux besoins en eau de la communauté. Parallèlement, 341 lampadaires solaires ont été installés dans 56 lieux publics à Seytenga, Falagountou, Bogandé et Gourcy, améliorant ainsi la sécurité et l’accessibilité dans ces zones. De plus, 15 puits ont été construits pour un usage communautaire et agropastoral, accompagnés de latrines publiques et familiales. Des travaux d’infrastructure comprenant la construction de 5 km de réseaux d’assainissement et de drainage des eaux pluviales ont également été réalisés. 

Installation de lampadaires à énergie solaire au Mali,
Installation de lampadaires à énergie solaire au Mali, région de Bandiagara. Facilité.

Quant au Mali, à Bandiagara, la Facilité a installé 698 lampadaires solaires couvrant 5 communes. L’objectif principal était d’éclairer des zones clés telles que les centres de santé, les logements sociaux et les routes principales pour renforcer la sécurité et l’accessibilité. De plus, 5 plateformes multifonctionnelles, alimentées par des panneaux solaires, ont été mises en place pour améliorer l’accès aux moyens de subsistance des populations dans différentes communes, favorisant ainsi le développement économique local.

Quelles sont les perspectives pour renforcer la résilience et promouvoir une paix durable dans le Sahel, en tenant compte des défis liés au changement climatique et à la sécurité ?

Une compréhension approfondie des enjeux du climat, de l’instabilité et des violences et de leurs interconnexions permettra de proposer des solutions plus intégrées et mieux adaptées. La stabilisation s’inscrit dans cette dynamique qui vise à aborder plusieurs dimensions du problème de l’instabilité au Sahel et à développer un ensemble de solutions pour répondre de manière efficace et durable aux défis rencontrés. Des solutions disparates ne suffisent plus à relever les défis d’un Sahel volatile, incertain et complexe.

Dans cette optique, la Facilité Régionale de Stabilisation vise à renforcer encore davantage l’adaptation au changement climatique, pour que les communautés puissent être mieux préparées et capables de faire face aux impacts négatifs du changement climatique. Cela nécessite le développement de stratégies adaptées pour atténuer les effets des sécheresses, des inondations et des vagues de chaleur, ainsi que pour s’adapter à ces nouvelles conditions environnementales et réduire les risques de tensions au sein des communautés.

Nous mettrons tout en œuvre pour maintenir une approche résolument inclusive, plaçant les communautés au cœur de notre action. Nous veillerons à ce que nos initiatives intègrent pleinement les besoins et perspectives des femmes et des jeunes, activement impliqués dans les programmes. Nous mettrons davantage l’accent sur une approche intégrée, car les défis climatiques et sécuritaires auxquels font face les communautés du Sahel sont multidimensionnels et transfrontaliers. 

Enfin, pour concrétiser nos ambitions et maximiser notre impact durable auprès des populations du Sahel, une collaboration étroite avec d’autres acteurs de l’action humanitaire, du développement et de la consolidation de la paix est indispensable.

Réalisée par Oumarou Fomba 


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