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Sahel: Quand les tableaux noirs deviennent des champs de bataille

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Sous un soleil de plomb et la poussière rouge du Sahel, une autre guerre se joue loin des fronts : celle de l’éducation perdue. Dans de vastes zones du Mali, du Niger et du Burkina Faso, les écoles restent closes, les pupitres vides, les enfants livrés à la survie. Privés de savoir, ils deviennent la proie facile de la misère et de la violence. À l’heure où les armes dictent la loi, la véritable bataille du Sahel pourrait bien se jouer dans les classes désertées : celle pour l’avenir d’une génération condamnée à grandir sans école.

Dans l’espace AES, une crise discrète mais décisive se joue à bas bruit, loin des champs de bataille et des colonnes armées. Elle n’a ni le fracas des fronts ni la brutalité des attaques, mais ses conséquences risquent d’être plus profondes que celles des armes. Cette crise, c’est la fermeture prolongée des écoles — une tragédie silencieuse qui, dans certaines régions du Sahel, dure depuis des années. Là où l’école s’éteint, c’est toute la charpente sociale, culturelle et morale qui se fissure.

Les enfants, premières victimes du chaos sahélien

Le Sahel demeure aujourd’hui l’un des épicentres du terrorisme mondial, concentrant plus de la moitié des décès liés à la violence extrémiste à l’échelle internationale. Dans cette région sous tension, les enfants sont les premières victimes : déplacés, traumatisés, privés d’instruction et d’avenir. Dans de nombreux villages, les salles de classe sont désertées depuis longtemps. Les enseignants ont fui les menaces, les bâtiments sont abandonnés, les pupitres recouverts de poussière. Pour des milliers d’enfants, l’année scolaire n’existe plus que comme un souvenir lointain.

Le triple silence : familles, État et société

Privés de classe, les enfants deviennent main-d’œuvre : ils gardent le bétail, puisent l’eau, travaillent aux champs, vendent au marché. Ce n’est pas un choix, mais une nécessité imposée par la survie. On dit souvent qu’ils sont « occupés pour éviter l’oisiveté », mais cette occupation a un coût invisible : celui de leur enfance perdue. À la campagne, quand les adultes s’absentent, les enfants assument des tâches d’adultes, grandissant trop vite dans un monde sans repères éducatifs.

Beaucoup sont confiés à l’enseignement coranique ambulant — une tradition respectée, certes, mais parfois dévoyée. Certains maîtres perpétuent la vocation spirituelle, d’autres exploitent les enfants comme source de revenu. Entre piété et précarité, l’enfance s’y dissout.

Livrés à eux-mêmes, exposés à la faim, aux abus, aux maladies, ces enfants survivent dans les rues des grandes villes. Ce drame prospère sur un triple silence : celui des familles, impuissantes ; celui d’un État débordé ; celui d’une société résignée. Peu à peu, l’anormal devient ordinaire. Et dans ce vide éducatif et affectif, les groupes armés s’engouffrent.

Des enfants sans école aux jeunes combattants

Les enfants déscolarisés deviennent les recrues naturelles des milices et des groupes terroristes. Non par conviction, mais par absence d’alternative. Leurs rangs sont remplis d’adolescents sans repères, d’anciens talibés détournés de leur vocation religieuse, d’enfants des rues happés par la promesse d’un repas ou d’un semblant de fraternité. Ce cycle infernal nourrit une spirale de violence qui se perpétue de génération en génération.

Les attaques, les déplacements forcés, l’insécurité ont produit des milliers d’orphelins. Certains errent, d’autres vivent dans des familles d’accueil improvisées. Sans cadre ni affection stable, ils deviennent les proies d’abus, d’exploitation domestique, ou de recrutement par des groupes armés. C’est une génération qui grandit dans l’absence — absence de sécurité, d’éducation, d’amour.

La crise éducative sahélienne n’est pas seulement administrative : elle est morale, culturelle et civilisationnelle. Les familles, acculées par la pauvreté, font des choix de survie. L’État, garant du droit à l’éducation, doit maintenir l’école ouverte même dans l’adversité. La société doit rompre le silence et considérer chaque enfant vulnérable comme un signal d’alarme collectif. Les leaders communautaires et religieux, enfin, ont le devoir de protéger l’enfance et de préserver les valeurs éducatives originelles de l’islam et des traditions africaines.

Protéger l’école, c’est défendre la souveraineté

L’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage du lire, écrire et compter. C’est un espace de transmission du sens, de la conscience, du vivre-ensemble. Quand elle disparaît, c’est l’âme du pays qui s’étiole. Le Sahel se trouve aujourd’hui à un tournant historique : choisira-t-il de perdre une génération dans la violence et l’ignorance, ou de protéger ses enfants pour bâtir un avenir stable ?

Un peuple se juge à la façon dont il protège son enfance. Dans le Sahel, préserver l’école, c’est résister. Les armes peuvent repousser l’ennemi un temps ; seule l’éducation peut vaincre durablement l’obscurité. Protéger l’école, c’est protéger la souveraineté — et donc, sauver l’avenir du Sahel.

Mikaïlou Cissé


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