Accueil » Blog » A la Une » Sahel : au-delà du djihadisme, la bataille des puissances

Sahel : au-delà du djihadisme, la bataille des puissances

0 comments 105 views 5 minutes read

Au-delà des affrontements armés, le Sahel livre une bataille existentielle : celle de sa souveraineté et de son récit. Derrière le voile du terrorisme, Mikaïlou Cissé, professeur de philosophie au secondaire, décrypte une guerre d’influence où se mêlent intérêts géostratégiques, manipulations idéologiques et luttes internes pour le contrôle des ressources. Entre fracture et résilience, le Mali et ses voisins cherchent à reconquérir non seulement leurs territoires, mais aussi leur dignité républicaine.

Le Sahel est aujourd’hui le théâtre d’une crise profonde qui n’est ni le fruit du hasard ni une fatalité inscrite dans son histoire. Le terrorisme qui s’y déploie depuis plus d’une décennie dépasse largement le cadre d’un phénomène local, spontané ou strictement religieux. Il s’agit d’un outil politique, savamment conçu et entretenu, visant à affaiblir les États, fracturer les sociétés et maintenir cette région stratégique dans un état d’instabilité chronique. L’explosion de violences au Mali, au Nigeria, en Somalie, au Congo ou au Mozambique traduit moins une contagion idéologique qu’un mécanisme géopolitique qui façonne le destin des peuples à leur insu.

La souveraineté, condition première de la victoire sahélienne

Les autorités sahéliennes en ont compris l’enjeu. Le président nigérien Abdouramane Tiani a souligné que la lutte actuelle est « une guerre existentielle », bien au-delà d’un simple affrontement militaire. Il s’agit d’un combat pour que les peuples du Sahel puissent enfin jouir librement de leurs ressources et de leur souveraineté. Au Mali, cette conviction est partagée par la diplomatie et les forces armées. Aucune victoire durable ne sera possible sans une souveraineté pleine et entière — c’est-à-dire un État capable de se défendre, de décider ses stratégies et de diriger son propre destin.

Le terrorisme prospère sur les failles profondes de la gouvernance. Là où les contradictions internes ne sont pas résolues et où les ressources naturelles sont mal exploitées ou captées par des réseaux opaques, la violence s’installe. Elle n’est que rarement un choix idéologique à part entière ; elle devient surtout un marché lucratif pour trafiquants, milices politico-identitaires et entreprises clandestines qui voient dans le chaos une source de prospérité. Sous le masque d’une « guerre sainte », ces groupes défendent avant tout des intérêts économiques, géostratégiques et des agendas qui n’ont rien de religieux.

L’islam instrumentalisé : une trahison spirituelle et culturelle

L’instrumentalisation de l’islam est au cœur de cette stratégie. Les groupes terroristes utilisent un vocabulaire moral et religieux qu’ils ne respectent jamais. Leur prétendue rigueur n’est qu’une façade destinée à intimider et séduire une jeunesse en quête de repères. Les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes : hommes, femmes et enfants pris en otage par une doctrine sans racines locales, étrangère aux traditions sahéliennes. Tombouctou incarne tristement cette contradiction : cité phare de la civilisation islamique, elle a été profanée par des insurgés se réclamant de la foi qu’ils trahissent.

Même la question du voile au Mali illustre ce décalage. Pendant des siècles, les femmes musulmanes du pays ont intégré cette pratique dans un rapport culturel et spirituel authentique, libre de contraintes dogmatiques imposées. Aujourd’hui, des pressions radicales tentent d’imposer un modèle étranger à la réalité sociale locale, ignorant l’histoire et l’enracinement progressif de l’islam au Mali. Cette rupture montre que les groupes armés ne véhiculent aucune tradition, mais une idéologie hostile à la vie même des sociétés qu’ils prétendent défendre.

Le terrorisme, ennemi de la République

Au-delà des dimensions morale et culturelle, le projet terroriste cible prioritairement l’espace rural, pilier de l’économie sahélienne. Partout où avance le terrorisme, c’est la désertification humaine qui s’installe : villages vidés, champs abandonnés, pasteurs forcés à l’exil, marchés fermés. Ce phénomène n’est pas accidentel, mais méthodique : les campagnes deviennent des zones sanctuarisées, hors contrôle étatique, où s’imposent les groupes armés qui prélèvent la dîme, imposent leur loi et recrutent la jeunesse privée d’avenir. En détruisant la ruralité, ils menacent la continuité même de la nation.

Le terrorisme est anti-républicain par essence : il s’attaque à la dignité, aux droits, à l’égalité et au pluralisme — piliers de l’idéal républicain sahélien. Là où la République veut garantir la liberté, il instaure la peur ; là où l’État cherche à rassembler, il divise ; là où les sociétés veulent dialoguer, il impose le silence. Mais ce projet ne survivrait pas sans les acteurs « arépublicains » : entrepreneurs de violence, trafiquants transfrontaliers, intermédiaires économiques, notables déchus, certains responsables locaux ambigus voire des puissances étrangères qui tirent profit du chaos. Ces facilitateurs, qui ne sont pas terroristes de profession, nourrissent et entretiennent le désordre.

Reprendre le contrôle du récit national

Une lutte véritable contre ce fléau ne saurait être superficielle ou ambiguë. Elle doit être sincère avant d’être médiatisée, active plutôt qu’affichée. Les États sahéliens ne demandent pas une simple assistance sécuritaire, mais une reconnaissance claire de leur droit souverain : celui de se défendre, de choisir leurs alliances et de rompre avec des tutelles paternalistes. La souveraineté reste la principale arme contre le terrorisme. Un État qui ne maîtrise pas sa politique sécuritaire perd le contrôle de son territoire, de ses ressources et de son avenir. Sans cela, il est voué à sombrer, comme l’avait prévu la situation malienne avant la mobilisation populaire et militaire remarquablement résiliente.

Dans ce combat, la communication stratégique est cruciale. Donner la parole au chaos, c’est nourrir ce même chaos. Les États doivent reprendre le contrôle du récit national. La victoire contre le terrorisme est autant psychologique que militaire. Elle exige une unité nationale forte, une cohésion des institutions, une mobilisation citoyenne autour des valeurs républicaines, et le renforcement des capacités étatiques, notamment dans les campagnes. La souveraineté ne doit pas rester un simple slogan, mais redevenir une exigence morale et politique concrète.

Le Sahel n’est donc pas condamné à l’instabilité. Ses peuples ont prouvé leur capacité de résistance, de renaissance et leur aspiration profonde à vivre dignement. Le terrorisme, aussi violent soit-il, n’est qu’un épisode transitoire dans l’histoire longue de nations forgées par la lutte, la foi et la culture. Ce qui se joue aujourd’hui au Mali n’est pas seulement une question de sécurité, mais bien une bataille pour la dignité républicaine, la souveraineté politique et la possibilité même de décider librement de leur avenir.

Mikaïlou Cissé 


En savoir plus sur Sahel Tribune

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Veuillez laisser un petit commentaire pour nous encourager dans notre dynamique !