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Planète Z : Ils ont vingt ans et ils n’attendront plus

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De Katmandou à Casablanca, de Manille à Antananarivo, une même génération se lève. Connectée, lucide, en colère, la Gen Z descend dans la rue pour dénoncer un monde corrompu, injuste et à bout de souffle. Enquête sur une révolte planétaire.

Ils n’ont pas les codes des partis, mais ceux de TikTok. Pas de chefs charismatiques, mais des hashtags viraux. Pas de livre rouge, mais un drapeau pirate tiré d’un manga japonais. Ils s’appellent Luffy, Fatima, Anasse, Aina. Ils ont 17, 22, parfois 28 ans. Et ils sont partout. À Rabat, Katmandou, Dacca, Antananarivo, Paris ou Manille, une même génération se lève, à mains nues, contre un monde qu’elle ne reconnaît plus.

La Gen Z entre en scène. Et elle ne demande pas la permission.

Maroc : deux morts, mille raisons de se lever

Le signal est venu du sud, dans la ville de Leqliaa, le 1er octobre. Deux manifestants tués par balles devant une gendarmerie attaquée. Première effusion de sang d’un mouvement qui, en quelques jours, a enflammé le pays. À l’appel du collectif Gen Z 212, né sur les réseaux, des milliers de jeunes défilent contre l’injustice sociale, la corruption, la misère.

À Bernoussi, quartier populaire de Casablanca, la marche est calme, mais les pancartes sont sans détour : « Nous voulons une vie digne ». À Rabat, la police arrête. À Casablanca, elle encadre. Le pouvoir oscille. Les manifestants, eux, avancent.

Fatima, 64 ans, regarde passer les jeunes : « Ce sont nos enfants. Ils crient ce que nous avons tu. » Une génération brise le silence.

Népal : 48 heures pour faire tomber un gouvernement

À Katmandou, le pouvoir a vacillé comme un château de cartes. Un simple décret : blocage de 26 réseaux sociaux. Une étincelle. En deux jours, le gouvernement népalais de Khadga Prasad Sharma Oli tombe, balayé par des jeunes massés devant les ministères, brandissant le drapeau de One Piece. Luffy en tête de cortège, icône d’une génération qui ne veut plus obéir, mais choisir.

Le mot-dièse #NepoKids — référence aux enfants des élites étalant leur luxe sur Instagram — a tout déclenché. Dans un pays où 20 % des 15-25 ans sont sans emploi, la colère a été foudroyante. Elle ne demande pas d’idéologie. Juste des comptes.

Madagascar : la jeunesse entraîne les syndicats

À Antananarivo, le scénario s’écrit en temps réel. La Gen Z malgache, d’abord seule, a été rejointe le 1er octobre par la Solidarité syndicale, principale plateforme de travailleurs de l’île. Enseignants, douaniers, soignants : tous réclament la fin du règne d’Andry Rajoelina, « président absent, autoritaire et inapte à répondre à la crise ».

Le collectif jeune réclame eau, électricité, écoles ouvertes, et des hôpitaux qui fonctionnent. Les adultes parlent salaires gelés, droits syndicaux bafoués. Mais tous scandent la même chose : « On ne vit plus. On survit. »

France : le malaise social sous le vernis de la République

Pendant ce temps, en France, 300 000 personnes battent le pavé pour réclamer plus de justice sociale. Ce n’est pas une explosion, c’est une lente dépression. Le Premier ministre Lecornu promet des baisses d’impôts mais rien sur les retraites, rien sur la précarité des jeunes, rien sur l’impôt sur la fortune. La jeunesse française, surdiplômée, sous-payée, ne manifeste plus en masse. Elle quitte, elle zappe, elle fuit.

Elle n’attaque pas les gendarmeries, mais elle déserte les urnes. Et vote extrême. Ou se replie.

Une génération mondiale, unifiée par le désespoir numérique

Le fil rouge ? Internet. L’effet miroir. La comparaison permanente. Les contradictions visibles à l’œil nu : discours de modernité, actes de répression. Grands projets d’infrastructure, écoles délabrées. Politiciens qui promettent la transparence et censurent les réseaux sociaux.

« Cette génération ne supporte plus l’hypocrisie institutionnelle », explique Élodie Gentina, professeure spécialiste de la Gen Z. « Elle exige des résultats concrets, et ne se contente plus de promesses. »

La Gen Z n’est pas naïve. Elle sait qu’elle hérite d’un monde à genoux : climat, économie, droits sociaux, paix. Elle ne veut plus réformer un système pourri. Elle veut le réinventer.

Centrafrique : un simulacre de démocratie boycotté

Même au cœur de l’Afrique, le schéma se répète. En Centrafrique, la présidentielle de décembre est boycottée par le principal bloc d’opposition (BRDC), qui refuse de cautionner une élection qu’elle juge « verrouillée d’avance ». Aucun membre du bloc ne déposera de candidature. « Le dialogue est mort-né », déclare Crépin Mboli-Goumba. À quoi bon participer à une farce ?

La démocratie vidée de son sens. Une autre constante.

Les braises d’un soulèvement global

Ce qui se joue n’est pas une série de crises locales. C’est un soulèvement global, générationnel, structurel. Une collision entre un monde trop lent et une génération trop rapide. Trop connectée pour être dupe, trop lucide pour espérer naïvement, trop fatiguée pour attendre.

Un tiers de la population mondiale est née entre 1997 et 2012. Et elle entre dans l’histoire avec une rage calme. Elle filme tout. Poste tout. Dénonce tout. Et commence à renverser les dominos.

Et la vague ne cesse des’étendre. Aux États-Unis, des rassemblements sont prévus dans une dizaine d’États le 18 octobre, de New York à l’Alabama, pour dénoncer la dérive autoritaire, la militarisation intérieure ou défendre les droits des migrants. Au Pérou, les chauffeurs de bus, taxis et motos-taxis de Lima entreront en grève le 2 octobre pour protester contre l’extorsion mafieuse qui gangrène leur quotidien. En Géorgie, cela fait plus de 90 jours que les citoyens occupent les rues de Tbilissi pour une démocratie réelle et une Europe non fantasmée. 

Même cartographie mouvante dans les pays du Sud : au Kenya, au Népal, en Indonésie ou aux Philippines, la Génération Z prend la rue, agite les réseaux et réclame des comptes. Et déjà, des appels anonymes circulent en Algérie pour une manifestation dite « GenZ 213 », dans la foulée du mouvement marocain. Les autorités, elles, crient à la manipulation étrangère. Mais le feu couve. Et partout, une jeunesse interconnectée refuse désormais de se contenter d’un monde cassé.

Un monde nouveau est peut-être en train de naître. Mais il ne viendra pas d’un sommet international. Il sortira de la rue. D’un smartphone. D’un manga. D’une pancarte griffonnée la veille au soir. De la rage douce d’une génération qui dit : assez.

Chiencoro Diarra 


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