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Peut-on penser l’ADN comme un code informatique ?

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Une séquence d’ADN. Enzozo/Shutterstock

Aude Grezy, Université Grenoble Alpes

J’ai récemment vu sur Netflix un reportage intitulé « Sélection contre nature ». Cette mini-série s’interroge à propos des kits de modifications du génome que l’on peut acheter pour « jouer » chez soi au biologiste, dans le mode bio-hacking ou science participative (il y a débat). Ces kits permettent de modifier l’ADN contenu dans les bactéries de labo Escherichia coli, et la chose est perçue comme un simple travail d’édition sur un fichier Word. Comme si l’ADN était un texte où il suffit de couper, copier, coller… pour tout contrôler. Évidemment, c’est tentant !

Bande annonce de l’épisode 1 de « Unnatural Selection » (Netflix).

Bien que les nouveaux outils utilisés dans ces kits, à l’instar de CRISPR/Cas9 ou du prime editing, permettent effectivement d’éditer « le texte » de l’ADN, présenter de la sorte la molécule support de notre hérédité est simpliste et ne permet pas d’appréhender sa si belle complexité. Car le texte de l’ADN ne se lit pas nécessairement de façon linéaire…


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Contrôle à distance

La génétique est restée longtemps sans réponse à une importante question : comment la modification en un lieu donné du « texte ADN » peut-elle déclencher des perturbations dans un autre région, parfois beaucoup plus loin ? C’est un peu comme si une correction mineure en page six d’un roman entraînait la disparition d’une phrase entière en page dix… D’où vient cet effet à distance ?

Il s’explique en partie par le fait que l’ADN forme des boucles. Oui, des boucles. La page 6 de votre livre vous envoie directement en page 103, à la manière d’« un livre dont vous êtes le héros » ! À bien y réfléchir, un programme informatique comporte lui aussi des boucles de commandes, des commandes « if » et des « go to ». Alors pourquoi l’ADN n’aurait pas ses commandes ?

Si le livre a en général pour support du papier, c’est le chromosome qui porte l’ADN en l’associant à des protéines, ou plus précisément à travers un assemblage nucléo-protéique (c’est-à-dire de l’acide nucléique qu’est l’ADN avec une protéine). Or ce chromosome est emprisonné à l’intérieur du noyau d’une cellule, où il peut bouger et prendre différentes formes. Il n’est donc pas linéaire comme le texte des pages d’un livre. Sans compter qu’il peut faire l’objet de communications à distance, médiées par des molécules intermédiaires.

C’est ce que l’on observe quand les régions centrales des chromosomes – ou centromères – produisent de longs ARN – des acides nucléiques proches de l’ADN dont ils sont une copie – qui vont se positionner à l’extrémité des chromosomes, au niveau des télomères. On a alors l’impression d’assister à une représentation, un ballet de molécules autorisant des communications à distance. Et l’on comprend qu’une modification au centre d’un chromosome peut agir sur ses extrémités.

Des gènes plus ou moins éteints

Outre cette question de conformation spatiale de la molécule, il existe des régulations fines des gènes. Elles interviennent à la manière d’un variateur de lumière : un gène peut ainsi se retrouver éteint (en off), ou mis en service à niveau faible, moyen, ou fort (en on). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un gène est présent dans une cellule qu’il est utilisé. Et on le conçoit facilement : bien que possédant exactement le même ADN qu’une cellule nerveuse, une cellule musculaire n’utilise pas les mêmes gènes ! Elle doit choisir pour quels gènes appuyer sur on, et lesquels mettre en off

Autrement dit, posséder le texte ne suffit pas pour qu’il soit lu. Cette lecture est rendue possible par des protéines régulatrices venant se positionner sur la molécule d’ADN et y apposant parfois des modifications chimiques : un processus portant le nom d’épigénétique (« au-dessus du gène »), et donc, un contrôle au-dessus du texte !

Un gène peut ainsi se voir recouvert de méthylations, des modifications par ajout d’un groupement chimique qui vont ordonner sa position off. Et dans ce cas, même si vous changez sa séquence – une succession d’éléments de base de l’ADN (nucléotides) qui le constituent – il ne sera pas utilisé par la cellule. Pour qu’il devienne actif, pour le faire passer en position on, c’est donc la protéine responsable de la méthylation qu’il faudrait modifier. On peut aussi imaginer le rendre impossible à méthyler, mais sans certitudes : une autre régulation est susceptible de contrecarrer nos plans.

Un code bien complexe

En clair, pour changer une fonction, ce n’est parfois pas au gène qu’il convient de s’attaquer mais à sa régulation. Or celle-ci peut s’effectuer de bien des façons : une modification chimique, une boucle spatiale, un ARN, une combinaison, voire d’autres manières que nous découvrons encore et encore. Si l’ADN est un texte, il est donc plus proche du code informatique que du livre, avec des commandes et des portes logiques, bien complexes !

Si nous sommes aujourd’hui capables de modifier l’ADN et que cette technologie nous ouvre certains espoirs, notamment en termes de thérapie génique, n’oublions pas la complexité à laquelle nous devons nous confronter, ne sous-estimons pas ce qu’il reste à découvrir, et continuons d’explorer ! Et gardons-le en tête. Un code informatique peut être effacé d’un clic. Mais des modifications du génome humain transmises à la descendance et soumises aux forces de la sélection naturelle ne nous permettront peut-être pas de revenir en arrière…

Aude Grezy, Docteure en épigénétique, Université Grenoble Alpes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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