En expulsant des cadres chinois du secteur pétrolier, le Niger affirme sa souveraineté économique, au risque de fragiliser un partenariat aussi stratégique que délicat.
Le 14 mars 2025, le Niger a expulsé trois cadres chinois du secteur pétrolier, suscitant à la fois l’étonnement diplomatique et le silence stratégique de Pékin. Ce geste, à première vue technique, en dit long sur une mutation bien plus profonde : celle d’un pays qui, à l’image de ses voisins sahéliens, cherche à reprendre le contrôle de ses ressources stratégiques, sans renoncer aux capitaux étrangers, mais en redéfinissant les règles du jeu.
Dans cette guerre feutrée, les pipelines remplacent les canons, les contrats les traités, les chiffres les balles. Mais la question reste la même : qui contrôle quoi ? Et pour le compte de qui ?
La souveraineté, baril par baril
Depuis le coup d’État de juillet 2023, le Niger ne cesse de reconfigurer ses alliances et ses priorités. Après avoir rompu ses accords militaires avec la France et les États-Unis, Niamey s’attaque désormais aux nerfs de son économie : les ressources naturelles. L’affaire des cadres chinois expulsés n’est pas anecdotique. Elle est le symptôme d’une stratégie assumée visant à redonner aux Nigériens la part qu’ils estiment leur revenir.
Les griefs ne manquent pas. D’un côté, des salaires mensuels chinois de près de 8 700 dollars ; de l’autre, des cadres nigériens plafonnés à 1 200 dollars pour des fonctions similaires. Ajoutez à cela une opacité persistante sur les volumes produits, des contrats difficiles à auditer, et une préférence marquée pour les sous-traitants étrangers. Le cocktail est explosif.
Un divorce annoncé ? Pas encore
La China National Petroleum Corporation (CNPC), acteur incontournable de l’or noir nigérien, contrôle – entre autres – la raffinerie SORAZ, pivot de l’approvisionnement en carburant du pays. Pékin a aussi signé, en 2024, un accord de financement de 400 millions de dollars contre des livraisons pétrolières futures. Le Niger ne peut pas se passer de la Chine. Mais il ne veut plus la subir.
C’est ce que le ministre du Pétrole, Sahabi Oumarou, appelle « la Nigerisation » du secteur. Un rééquilibrage de la gouvernance, des postes de direction, des bénéfices. Moins de dépendance, plus de contrôle. Mais jusqu’où aller sans casser l’outil économique ?
Ce bras de fer s’inscrit dans une dynamique régionale plus large. Le Mali a repris des mines d’or, le Burkina Faso a détenu des cadres étrangers. Le Niger, de son côté, a déjà repris le contrôle d’un site d’uranium autrefois géré par le français Orano. Dans cette logique, la souveraineté ne se pense plus uniquement en termes militaires ou institutionnels. Elle devient économique, sectorielle, contractuelle.
Mais cette stratégie a ses limites. Le secteur pétrolier représente un quart du PIB attendu d’ici 2026. En fragilisant ses relations avec ses partenaires, le Niger prend le risque de ralentir des projets cruciaux, perdre en attractivité, susciter des représailles. Le récent retrait de licence d’un hôtel chinois à Niamey, pour pratiques discriminatoires, envoie un message politique. Mais il pourrait aussi refroidir d’autres investisseurs, moins idéologiques que pragmatiques.
Une recomposition mondiale en miniature
Ce qui se joue ici dépasse le cadre strictement nigérien. C’est une redéfinition des relations entre les puissances émergentes et les pays riches en ressources, dans un monde où les anciennes hiérarchies vacillent. La Chine, qui se veut partenaire sans ingérence, découvre que le rapport de force est plus fluide qu’hier. Le Niger, lui, navigue entre affirmation de soi et besoin d’appui extérieur.
Car si les autorités sahéliennes parlent de souveraineté, elles savent aussi que leur survie passe par des infrastructures, des devises, des contrats. Le défi est alors de ne pas confondre indépendance et isolement, patriotisme et repli.
En toile de fond, une vérité s’impose. La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne se mesure pas seulement à l’expulsion de cadres ou à la dénonciation de contrats. Elle repose sur la capacité à bâtir une économie compétente, équitable, durable.
Le Niger entame cette reconquête avec fermeté. Mais l’histoire retiendra moins les expulsions que les institutions mises en place, moins les ruptures que les alternatives créées. Entre les flux du pétrole et les frissons de l’histoire, le pays joue désormais son avenir sur une ligne de crête.
Chiencoro Diarra
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.