Quelques dizaines de manifestants se sont réunis à Paris pour dénoncer le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Cédéao. Derrière cette contestation, orchestrée loin des terres sahéliennes, se dessine une bataille d’influence où la France, en perte de contrôle sur la région, tente de préserver son emprise face à des nations en quête de souveraineté.
Quelques dizaines de manifestants réunis place de la Bastille, à Paris, le 11 janvier, suffisent-ils à incarner la voix légitime des peuples sahéliens ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, l’information a été relayée par des médias d’influence française. Derrière les pancartes dénonçant le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), se dessine un autre enjeu : celui d’une France en quête de contrôle sur un espace sahélien qui lui échappe inexorablement. Ce rassemblement, bien que réduit en nombre, révèle les manœuvres discrètes d’une géopolitique postcoloniale où la scène publique devient le terrain d’une guerre d’influence larvée.
Voix libres ou relais stratégiques ?
À première vue, les manifestants se présentent comme des citoyens engagés, inquiets pour l’avenir de leurs nations respectives. Pourtant, leurs discours, aussi sincères soient-ils, soulèvent des interrogations. « La liberté d’expression est bafouée », affirme Idrissa, un Nigérien vivant en Normandie. Cette déclaration, répétée à l’unisson par d’autres membres de la diaspora, semble moins relever d’une analyse critique de la situation sahélienne que d’une rhétorique savamment entretenue.
Dans un monde où les grands récits sont souvent écrits par ceux qui détiennent les moyens de communication, la présence de ces manifestants pourrait être perçue comme un levier d’influence subtile. Les inquiétudes exprimées masquent difficilement un agenda plus large : celui d’une France désireuse de garder un pied dans une région qui s’émancipe peu à peu de son joug.
Depuis l’annonce du retrait de ces trois pays de la Cédéao, l’institution ouest-africaine apparaît de plus en plus comme un instrument au service des intérêts étrangers, notamment ceux de la France. Les sanctions économiques et politiques, systématiquement dirigées contre les régimes de transition du Mali, du Niger et du Burkina Faso, traduisent moins une volonté de promouvoir la démocratie qu’une tentative de punir des États qui refusent désormais de suivre les directives parisiennes.
Ce retrait marque une rupture historique : la contestation d’un ordre régional façonné par les puissances occidentales et leurs relais locaux. Il s’agit d’une remise en question des mécanismes de dépendance, où les élites politiques sahéliennes se retrouvent souvent piégées entre des injonctions étrangères et les aspirations de leurs peuples.
Un théâtre parisien pour une pièce sahélienne
Le choix de Paris comme lieu de manifestation n’est pas anodin. Il reflète une volonté de déplacer la scène de la contestation sahélienne sur le territoire même de l’ancienne puissance coloniale. Mais ce théâtre parisien, à l’image de la place de la Bastille, évoque aussi une révolution inversée : celle où les forces du statu quo tentent de se maintenir en brandissant les symboles de la liberté et de la démocratie.
Ismaël Sakho, opposant malien en exil, résume bien cette stratégie lorsqu’il affirme : « Nous voulons rester dans un ensemble qui nous rapporte plus. » Cette déclaration traduit une nostalgie d’un ordre ancien, où les relations asymétriques permettaient à certaines élites de prospérer sous l’ombre protectrice des grandes puissances. En réalité, ce n’est pas tant la voix des peuples sahéliens qui s’exprime ici, mais celle d’un modèle dépassé qui refuse de disparaître.
Un réveil sahélien inéluctable
Ce rassemblement illustre la vérité que la France perd son influence au Sahel. Alors que le Mali, le Niger et le Burkina Faso resserrent leurs liens avec d’autres partenaires « sincères et fiables » comme la Russie, la Turquie et la Chine, Paris s’accroche à des stratégies obsolètes, utilisant la diaspora comme une caisse de résonance pour critiquer les régimes de transition.
Cependant, cette tentative d’ingérence soft semble de plus en plus inefficace. Les peuples sahéliens, conscients des enjeux, soutiennent majoritairement le retrait de leurs pays des structures héritées de la colonisation, qu’il s’agisse de la Cédéao ou d’autres instances jugées compromises. Ce soutien populaire fragilise davantage la capacité de la France à façonner l’avenir de la région selon ses intérêts.
La manifestation de la Bastille, bien que modeste, témoigne d’une bataille symbolique plus large : celle d’un Sahel qui lutte pour sa souveraineté contre un modèle d’influence postcoloniale en déclin. Derrière les slogans et les pancartes se joue une recomposition des alliances géopolitiques, où le rejet de la tutelle française s’impose comme un acte d’émancipation historique.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, en rompant avec la Cédéao, ne font pas que quitter une institution ; ils redéfinissent leur place dans le monde. Ce processus, bien que douloureux et semé d’embûches, marque le début d’un réveil sahélien où les peuples, et non les puissances extérieures, seront enfin maîtres de leur destin. Cette rupture sera définitive à partir du 29 janvier, bien prolongée jusqu’en juillet par la CEDEAO.
Alassane Diarra
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