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Mali : quel apport de la philosophie dans la « résolution » des crises ?

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À Bamako s’est tenue la célébration de la 10e édition de la Journée culturelle et artistique du bureau exécutif de l’Union des étudiants en philosophie — U.E.P. L’apport de la philosophie dans la résolution et la compréhension de la crise multidimensionnelle du Mali était au centre des discussions philosophiques — outre les prestations musicales et théâtrales, y compris le slam.

Dans la matinée du 12 juin 2021, le grand bâtiment de la Chaîne Grise de Niamakoro a servi de cadre — pour l’Union des étudiants en philosophie et sympathisants — à la célébration de la Journée artistique et culturelle. Professeurs d’université, du secondaire, anciens et actuels étudiants en philosophie, sympathisants et invités, tous sont venus en nombre considérable pour prendre part à cette activité annuelle de l’U.E.P.

Au menu de cette édition 2020-2021, la 10e , une conférence-débat est animée par des professeurs d’université et modérée par Sœur Dr. Vida Terčič. « L’apport de la philosophie dans la résolution des crises multiformes que connaît l’Afrique : cas du Mali ». C’est l’intitulé du thème choisi pour en débattre dans un amphithéâtre.

Pour l’actuel président de l’U.E.P., Ibrahim Ballo, étudiant en licence, cette activité traditionnelle s’inscrit dans le cadre de la promotion et la valorisation de la philosophie dans l’espace scolaire et universitaire malien, voire au-delà de ce cadre. À l’en croire, le choix de la problématique de cette année est motivé par « un besoin de cerner les problèmes de l’Afrique et du Mali ».

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célébration de la 10e édition de la Journée culturelle et artistique du bureau exécutif de l’U.E.P au Mali. Crédit photo: Sagaidou Bilal/Sahel Tribune

« Célébrer l’esprit, la pensée et l’homme dans toute sa dimension »

Ce besoin de cerner ces crises multiformes de notre continent et de notre pays fera dire à Dr. Souleymane Keïta, président d’honneur de cette association estudiantine, qu’il « préfère compréhension en lieu et place de “résolution” dans la formulation du thème : « L’apport de la philosophie dans la compréhension des crises de l’Afrique et du Mali », pourrait-on lire ainsi la reformulation apportée de ce spécialiste de la philosophie contemporaine. « Le travail de la problématique consiste à écarter une compréhension trop commune et trop vague de la question, au profit d’une compréhension plus critique » et précise de celle-ci, détaille de façon accessible le site Keep School. Néanmoins, Dr. Keïta se réjouit de la tenue de cette fête des idées sur des sujets brûlants de l’heure. En appuyant un de ses collègues, il admettra que « le philosophe n’est ni magicien, ni faiseur, ni créateur de solution » à baguette magique.

Organiser une telle activité académique annuelle est salutaire et à encourager, reconnaît Dr. Aly Tounkara, enseignant-chercheur, sociologue et auteur de plusieurs publications scientifiques dont « Mali. Analyse sociohistorique des conflits (Nord et Centre), l’État entre recherche de légitimité et calamités » (L’Harmattan 2020). De son côté, Dr. Belko Ouologuem, maître de conférences, pense que « c’est célébrer l’esprit, la pensée et l’homme dans toute sa dimension ». Si toute philosophie est née d’une crise, la célébration de cette journée se veut alors être une célébration de « la philosophie dans son esprit de naissance », poursuit celui qui a accepté en novembre 2020 de dresser pour Benbere un état des lieux de l’enseignement de la philosophie au Mali, en marge de la célébration de la Journée internationale dédiée à cette discipline.

Ainsi, deux conférenciers étaient invités à présenter devant l’assistance leurs vues sur la problématique posée . Il s’agit plus précisément de Dr. Françoise Diarra et Dr. Mamadou Soumbounou, deux professeurs du département de philosophie de l’Université des Sciences humaines et des Sciences de l’éducation — F.S.H.S.E., intervenant aussi à l’École normale supérieure de Bamako (ENsup) et l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest — unité de Bamako (U.C.A.O). Trois institutions universitaires où la philosophie est enseignée au Mali.

Regard métaphysique, reconnaître l’humanité en l’autre

Dans sa communication, Dr. Françoise Diarra apporte un regard métaphysique sur la crise multiforme que connaît notre pays, voire ailleurs en Afrique. Car, selon elle, les conflits sont d’abord internes avant qu’ils ne soient externes. C’est en cela qu’elle trouve que la philosophie aide à l’éveil des consciences et à la bonne éducation des citoyens. Cette éducation doit permettre à l’individu l’acceptation de l’autre, en reconnaissant l’humanité en lui. « En regardant le visage de l’autre, tout ce que je dois voir, c’est l’aspect humanité, soutient-elle. Parce que le dénominateur commun entre tous les Hommes, c’est cette humanité. » C’est en ce sens qu’elle explique et rappelle que « nous sommes tous égaux en droits et en dignité ».

Aussi considère-t-elle l’autre, mon frère ou ma sœur en humanité — reprendre ses expressions, comme « un chemin vers la fraternité ». Fraternité comme vecteur de consolidation et de promotion du vivre ensemble, mais aussi de restauration et de consolidation de la paix dans les cœurs et les esprits. Ce qui lui fera soutenir finalement que la recherche de la paix durable n’est ni chimérique, ni utopique, mais bien possible. Bien possible, si nous œuvrons à sa concrétisation, surtout que l’idéal est réalisable. « Certes la solution militaire n’est pas écartée, mais il faut que nous prenions, nous-mêmes, conscience que la résolution de ces crises est d’abord intérieure », interpelle-t-elle. Elle ajoute : « Il faut donc accorder de l’importance à l’intériorité », qui est en nous, dans la guérison de nos maux.

La jeune professeure d’université, chargée des cours de métaphysique au département de philosophie de la Faculté des Sciences humaines et des Sciences de l’éducation, recommande vivement le dialogue franc entre les Maliens, mais aussi une justice équitable pour tous et toutes. « Sans justice, il n’y a pas de pardon. Sans pardon, il n’y a pas de réconciliation. Sans réconciliation, il n’y a pas de paix’, rappelle avec insistance, dans une agréable voix, Dr. Diarra sous la forme d’un syllogisme aristotélicien. ‘Même s’il y a eu paix, ce sera une paix précaire. »

Une lecture politico-démocratique

Si la communication de Dr. Françoise Diarra est de nature à apporter un regard métaphysique sur les crises et leur résolution au Mali, celle de son co-conférencier a consisté à opérer une analyse politico-démocratique de la situation malienne à la lumière des célèbres écrits de Montesquieu.

« La rationalisation de la pratique de la démocratie dans le contexte malien ». C’est par cette formulation que Dr. Mamadou Soumbounou a intitulé sa communication. Dans son exposé, il s’est appesanti sur deux points qu’il considère essentiels : « La démocratie à la malienne et ses maux propres ; l’éducation aux valeurs de la démocratie chez Montesquieu’ »

Ce jeune professeur de philosophie, qui a soutenu récemment sa thèse de doctorat sur les différentes pratiques démocratiques au Mali et la séparation des pouvoirs chez Montesquieu, à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar — UCAD, estime que le mal est très profond dans notre pays qu’on ne puisse l’imaginer. En disciple de Montesquieu, il soutient avec fermeté qu’’il n’y a pas de démocratie sans démocrates ». C’est même inconcevable à ses yeux. C’est pour cela, le jeune docteur recommande l’éducation des citoyens aux valeurs démocratiques comme nous l’a théorisée son maître à penser. Car, poursuit-il, « la démocratie est incompatible avec l’ignorance ».

« Système apparemment démocratique, mais anti-démocratique »

Dr. Belko Ouologuem, dans sa contribution au débat, rebondit dans le même sens que Dr. Soumbounou, sans langue de bois : il y a au Mali « une crise de la citoyenneté républicaine qui fait que notre démocratie se trouve sans fondements solides’. À suivre ses analyses, on notera qu’’au sens démocratique, il n’y a pas de citoyens dans notre pays, car la citoyenneté démocratique repose sur un peuple instruit, des citoyens majoritairement instruits ».

Or, il faut le reconnaître, la population malienne reste, après 60 ans d’indépendance, majoritairement analphabètes. Ce qui fait, selon ses explications, qu’ « on a un système apparemment démocratique, mais anti-démocratique dans sa pratique’. D’où la nécessité de la refondation de l’État, des institutions et de la démocratie ‘dans un régime d’exception d’une durée d’au moins de deux ans‘Comment faire [donc] accepter aux Maliens qu’il faut qu’ils soient des citoyens ? », s’interroge le maître de conférence — Dr. Belko, auteur de La philosophie de Conficius (L’Harmattan, collection ‘Pour comprendre’, octobre 2019).

Cependant, à écouter Dr. Souleymane Keïta, il est important de comprendre que toute crise est à positiver ou relativiser puisqu’elle n’est pas que négative. « S’il y a crise, c’est parce que quelque chose n’a pas marché qu’il y a blocage quelque part », a-t-il rappelé. Avant de partager ironiquement avec l’audience son impression de se ‘retrouver au milieu d’une querelle des écoles’, en référence aux divergences des vues des conférenciers et des intervenants sur la problématique. « Si j’étais conférencier, j’allais essayer de faire le généalogiste », ironisait le spécialiste de Nietzsche au département philosophie de l’Université de Bamako, tout en notant que ce qui ressort de toutes les grandes interventions : c’est la crise de citoyenneté.

Sagaïdou Bilal


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2 comments

Youchaq Ag Nock 16 juin 2021 - 23 h 13 min

Bien analyser

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Sahel Tribune 17 juin 2021 - 14 h 53 min

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