Un rapport du Vérificateur général dresse un tableau contrasté de la gestion de la sécurité alimentaire au Mali. Si des efforts de distribution et de plaidoyer sont notables, les lenteurs structurelles, l’absence de cadre organisationnel clair et la dépendance financière mettent à nu les limites du système. À l’heure de la souveraineté revendiquée, le pays doit choisir : réformer ou répéter.
C’est une photographie implacable que livre le Bureau du Vérificateur Général du Mali dans son rapport publié en avril 2025. Une radiographie sans anesthésie de la gestion du Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA), l’un des dispositifs clés du pays pour faire face à la faim chronique et aux crises humanitaires récurrentes. Résultat ? Des avancées, oui, mais aussi des lenteurs, des retards, des silences administratifs et surtout, des fragilités systémiques qui interrogent, à l’heure où l’État malien se veut stratège, souverain et solidaire.
La mission d’audit, effectuée en 2023 et 2024, portait sur le suivi de 18 recommandations faites au CSA, à ses partenaires institutionnels et aux ministères de tutelle. Seules 6 d’entre elles ont été entièrement mises en œuvre. Les autres sont restées à l’état de chantier, parfois au point mort. Une performance mitigée pour un secteur où l’inaction coûte des vies, et où l’approximation se traduit en malnutrition, retards de croissance, voire exode rural.
L’arbre qui cache la forêt ?
Certes, le rapport souligne des efforts notables. Le Commissariat a amélioré la diffusion de sa politique nationale, intensifié ses campagnes de sensibilisation, et renforcé son plaidoyer en faveur des populations vulnérables. En 2023, près de 1,1 million de personnes ont bénéficié d’une distribution gratuite de céréales. En 2024, ce chiffre grimpe à 1,17 million, malgré des contraintes logistiques et sécuritaires majeures.
Mais ces efforts, aussi louables soient-ils, ne suffisent pas à masquer les zones d’ombre. Ainsi, la gestion des banques de céréales est jugée quasi inexistante dans la majorité des communes visitées : absence de stocks, comités de gestion inactifs, aucun document comptable, aucun suivi communautaire. Plus alarmant encore, l’État n’a pas alloué les ressources nécessaires pour la réhabilitation des magasins de l’OPAM, pourtant essentiels à la chaîne logistique du stockage alimentaire.
Autre point sensible, l’absence d’un cadre organisationnel clair pour le CSA lui-même. Vingt ans après sa création, aucun texte ne fixe précisément ses modalités de fonctionnement ni les qualifications requises pour ses agents. Résultat, une institution essentielle, mais au fonctionnement bancal, où le flou administratif entretient l’inefficacité.
Une sécurité alimentaire sous assistance technique
Plus globalement, c’est le modèle malien de sécurité alimentaire qui semble s’essouffler. Trop dépendant des financements extérieurs – à l’image du prêt de 25 milliards de FCFA contracté en 2023 auprès de la BOAD pour reconstituer le stock de sécurité – il reste fragile, soumis aux aléas budgétaires et diplomatiques. En 2024, faute de nouveaux financements, les stocks n’ont pas été reconstitués à leur niveau optimal, laissant planer la menace d’un retour à l’urgence permanente.
Le rapport du BVG met aussi en lumière les contradictions internes du dispositif : des formations dispensées… après les périodes critiques ; des guides de distribution partagés mais mal appliqués ; des listes d’émargement toujours aussi disparates d’une localité à l’autre. À l’évidence, la chaîne de commandement souffre d’un déficit de rigueur et de coordination.
Réformer ou répéter ?
La grande leçon de ce rapport tient en une phrase : l’architecture institutionnelle de la sécurité alimentaire au Mali est trop importante pour rester aussi fragile. À l’heure où l’État malien revendique son autonomie stratégique au sein de l’AES, il ne peut se permettre de laisser un secteur aussi vital à la dérive logistique ou au bon vouloir des bailleurs.
Si des avancées sont saluées, elles doivent s’inscrire dans une vision d’ensemble : réformer le CSA, doter le DNSA d’un financement prévisible, professionnaliser l’OPAM, remettre en fonctionnement les banques de céréales et restaurer la confiance communautaire.
Car, au bout de la chaîne, il y a des millions de Maliens pour qui la sécurité alimentaire n’est pas un indicateur statistique, mais une question de dignité, de survie, parfois de révolte.
A.D
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