À Antananarivo, l’histoire bégaie. Seize ans après avoir pris le pouvoir par la rue, Andry Rajoelina le perd… par la rue et par la caserne. Les militaires du CAPSAT, lassés d’obéir sans comprendre, viennent de rappeler au président-dj à quel point la musique du pouvoir a parfois un air de remix.
Le 11 octobre 2025, un vent de déjà-vu souffle sur les Hautes Terres. Le Corps d’administration des personnels et des services de l’armée de terre (CAPSAT), ce nom familier à tous ceux qui connaissent l’histoire des coups d’État malgaches, a encore frappé. En 2009, il avait propulsé un jeune agitateur de 34 ans, animateur de fêtes et d’émeutes, au sommet du pouvoir. En 2025, il décide que la fête est finie.
Dans une vidéo tournée à Soanierana, les militaires mutins appellent leurs camarades à « ne plus tirer sur le peuple ». Une phrase simple, mais explosive, qui sonne comme un désaveu public d’un régime qui, après quinze ans de promesses, n’aura offert à ses citoyens que la lumière des coupures d’électricité et la poussière des routes effondrées. Le CAPSAT, dans une indignation presque romantique, accuse le pouvoir d’avoir transformé l’armée « en valets d’un ordre injuste ». On croirait entendre un communiqué de l’Union africaine — à ceci près que cette fois, les mots sont suivis d’armes.
Antananarivo sous tension, la Place du 13-Mai en effervescence
Quelques heures plus tard, les blindés descendent vers la place du 13-Mai, théâtre de toutes les révolutions malgaches depuis 1972. Le décor ne change jamais : la foule, les slogans, les kalachnikovs en bandoulière et les ministres en fuite. Les mutins, acclamés par une population qui n’a plus rien à perdre, s’installent là où tant d’autres avant eux avaient promis un « nouveau départ ».
Des coups de feu éclatent, un soldat tombe, le sang se mêle à la pluie tropicale — la République, ici, a toujours aimé le tragique. Pendant ce temps, Rajoelina, le président hyperconnecté, aurait pris la tangente, direction inconnue. En attendant la confirmation officielle, la rumeur court plus vite que l’armée : « TGV » (son surnom d’époque, pour Très Grande Vitesse) serait redevenu un simple voyageur sans billet retour.
Le paradoxe du président-DJ
On a souvent comparé Andry Rajoelina à ces DJ de boîtes de nuit d’Antananarivo capables de rallumer la foule en un clin d’œil. En 2009, il faisait danser la jeunesse sur le tempo du changement. En 2025, elle lui renvoie la facture. L’ironie de l’histoire est cruelle : celui qui avait dénoncé le pouvoir corrompu de Marc Ravalomanana est aujourd’hui renversé pour… les mêmes raisons.
Le mouvement « Gen Z Madagascar », né des coupures d’eau et d’électricité, s’est transformé en tsunami politique. Ces jeunes sans emploi, sans illusions et sans peur ont fait ce que leurs aînés n’osaient plus faire : dire non. Et quand le peuple descend, l’armée suit. Toujours.
Rajoelina aura tenté l’impossible — limoger, dissoudre, promettre, accuser « des puissances étrangères ». Même refrain, même fausse note. Rien n’y fit. On ne gouverne pas un pays affamé avec des inaugurations de téléphériques à 150 millions de dollars.
Une république de l’instabilité
Madagascar, cette île aux paysages de rêve et aux institutions cauchemardesques, semble condamnée à rejouer le même scénario à chaque génération. En 1975, Ratsiraka ; en 2002, Ravalomanana ; en 2009, Rajoelina. Aujourd’hui, c’est la boucle bouclée. Le CAPSAT n’est plus un corps militaire, mais un parti politique en uniforme, qui décide, au gré des frustrations, qui doit régner.
Le pays reste enlisé dans les mêmes maux : 75 % de pauvreté, une corruption endémique (140ᵉ sur 180 selon Transparency International), des infrastructures dignes du XIXᵉ siècle et un pouvoir obsédé par sa propre survie. Le peuple, lui, s’en remet à la rue — son seul parlement qui fonctionne encore.
Leçon géopolitique : quand le silence de Paris dit tout
À Paris, l’Élysée observe un silence gêné. Pas question de condamner trop vite celui qui, hier encore, passait pour un partenaire « stable » de la France dans l’océan Indien. Washington, de son côté, parle de « préoccupation ». Pékin, pragmatique, parle déjà d’ « opportunité ». L’Afrique, comme souvent, attend de savoir à qui serrer la main.
Le grand théâtre malgache continue : même décor, nouveaux acteurs, mais le texte reste le même. Sur la scène d’Antananarivo, un président s’enfuit, une armée parade, un peuple espère. Le rideau tombe — provisoirement.
A.D
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