Les violations incessantes des lois de la république écœurent de plus en plus de citoyens maliens. Souleymane Mèrèpin Togo, enseignant généraliste au Mali, nous livre son analyse de la situation à la lumière d’Emmanuel Kant, philosophe du 18e siècle. Il estime que l’illégitimité d’un gouvernement vient de son non-respect des lois.
« Le Mali est champion dans l’adoption des lois, mais dernier dans leur application », entend-on couramment dans ce pays. La constitution, les mesures préventives du coronavirus, etc., tous les textes sont ipso facto violés après leur adoption en République du Mali. Dans la plupart des cas, par le gouvernement en premier lieu. Dans une posture kantienne, c’est ce qui engendre l’illégitimité d’un gouvernement.
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Comprendre la République
La République vient du grec « Res » qui veut dire chose et « Publica » signifiant pour tout le monde. Ainsi la république se définit comme une chose qui appartient à tout le monde. Nous voyons derrière cette définition étymologique l’idée de la « souveraineté populaire ».
Pour Emmanuel Kant, la République se définit comme l’ensemble des institutions qui reconnaissent et garantissent le droit de tous les citoyens. Avec cette définition, nous sommes amenés à la compréhension qu’un gouvernement républicain est censé veiller au respect des droits de l’homme dans la cité. Car la légitimité d’un gouvernement dépend de son respect des textes de la République. Des lois qui ne sont que l’émanation de la raison de tous les êtres qui le composent. Ainsi, nul ne doit être au-dessus des lois de la République y compris le chef du gouvernement.
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Le Mali dans l’œil kantien
En essayant d’adapter cette explication kantienne à la gouvernance actuelle au Mali, on risque d’être déçu en comprenant les raisons de son illégitimité. Dans l’œil kantien, le gouvernement doit respecter les lois de la République. Il doit faire en sorte que nul ne se sent lésé par aucun autre membre de la République y compris le gouvernement lui-même.
Le gouvernement du Mali répond-il à cette qualité ? Je dirais non ! Car un gouvernement est censé, toujours, appliquer la constitution, la loi fondamentale de la république. Celle-ci ne doit jamais être abusée ou piétinée. Agir de telle sorte peut impacter négativement non seulement le peuple, mais aussi le gouvernement. Mais au Mali, le gouvernement est champion dans la violation des textes.
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Le Mali, champion en violation des lois
Notre constitution de 1992, en son article 78, oblige tout gouvernement nouvellement installé à faire la DPG (Déclaration de politique générale) devant les députés. Ce afin d’être approuvé ou désapprouvé par ceux-ci. Je ne pense pas que le gouvernement de monsieur Boubou Cissé ait fait une DPG. Avons-nous alors un gouvernement légitime ? Je dirais non. Son illégitimité est bien affichée.
Qu’en est-il de l’application des mesures adoptées par le Conseil national de la défense contre le coronavirus ? La plupart de ces mesures annoncées constituent aujourd’hui un véritable problème pour le gouvernement malien en ce qui concerne leur application.
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Voyons un peu le contour de cette décision prise lors du Conseil national de la défense contre le covid-19. Le gouvernement après avoir lui-même violé sa décision au mépris du peuple, tente de se corriger à travers une autre méthode : l’instauration d’un couvre-feu de 21 h à 5 h du matin. Un couvre-feu accompagné par une méthode répressive contre les citoyens. Ce sans avoir pensé au préalable à des voies de sensibilisation.
Un gouvernement illégitime
Tout simplement, l’actuel gouvernement souffre d’illégitimité aux yeux des Maliens. Comment un gouvernement peut interdire tout vol en provenance des pays touchés par le Covid-19 et laisser atterrir, le lendemain, un avion en provenance d’un des pays touchés ? Voilà pourquoi les citoyens commencent à mépriser ce gouvernement. Dans le même cadre, le gouvernement avait interdit tout regroupement au-delà de 50 personnes. Mais qu’est-ce qu’on voit jusqu’à présent dans les lieux de culte, notamment la prière du vendredi dans certaines mosquées ? On ne parle plus d’attroupements, puisque les gens n’ont rien changé de leur comportement dans ce sens. Pourtant, le gouvernement reste muet.
Pour gagner en confiance et en légitimité
Est-ce qu’on doit gouverner dans la peur et parfois dans le tâtonnement ? Pour régner par la force, il faut avoir au préalable une légitimité et pour avoir cette légitimité, il faut la confiance du peuple et pour acquérir cette confiance, il importe que l’agissement du chef soit acceptable par tout être raisonnable.
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Pour sauver le Mali, il nous faut nécessairement un changement de mode de gouvernance, et même de têtes. Ne serait-il pas aussi mieux, dans le souci de recréer une véritable confiance entre le peuple et les autorités, d’impliquer toutes les personnes ressources, en amont, dans la prise de décisions consensuelles ? Entendu que ces décisions émanent d’une volonté raisonnable et acceptable par tout être raisonnable.
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