Dans ce billet, je prête ma plume à un orphelin pour décrire les conditions difficiles dans lesquelles les orphelins de guerre vivent au Mali. Mais aussi les fils de pauvres à cause des crises scolaires et du covid-19.
À son excellence, Monsieur Ibrahim Boubacar Keïta, président de la République du Mali,
Je suis conscient de votre combat nuit et jour pour le bonheur de chaque Malien. Mais, M. le président, il faut reconnaitre que depuis quelques années, je sens mon avenir menacé. Chaque nouvelle année me convainc que la menace ne fait que s’aggraver.
L’insécurité au centre
Monsieur le président, vous n’êtes pas sans savoir que chez moi, au centre du Mali, depuis que les terroristes ont imposé leurs lois, nombreux sont les enfants qui survivent. Ces hommes m’ont rendu orphelin, comme beaucoup d’autres, en assassinat mes parents. Mon seul espoir était vous qui détenez le gouvernail. Mais hélas ! Depuis mon arrivée au sud où j’ai été accueilli dans un camp de réfugiés, la mendicité est devenue mon triste sort avant que je ne rencontre une âme sensible qui m’a inscrit dans une école privée afin que je poursuive mes études.
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Son excellence, je me demande si votre règne n’est pas celui du malheur pour nous les orphelins, les fils de pauvres. Parce que les pauvres ne font que des cauchemars, plus droit aux rêves.
Crises scolaires
Depuis des années, la lueur de bonheur que j’avais ressenti suite à ma réinscription à l’école a disparu. Que de grèves ! Pourtant, depuis au départ, M. le Président, vous n’avez pas voulu écouter les gens qui vous disaient que Soumeylou Boubeye Maiga, votre ex-Premier ministre n’était pour rien des problèmes dont souffre le Mali. Mais vous n’avez pas écouté. Depuis que Boubou est venu, je me demande ce qu’il a apporté comme changement. La crise scolaire ne fait que s’empirer. L’année dernière, le gouvernement s’est sauvé la peau en faisant croire aux Maliens qu’il sauvait l’année ou encore l’école malienne. Nous avons tous été admis, sans niveau, je le reconnais, mon excellence. Mais à qui la faute ? À vous. N’allez point accuser les enseignants ou uniquement les parents d’élèves. C’est la responsabilité à vous tous. Vous êtes en train de sacrifier notre avenir au profit de vos intérêts personnels.
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Monsieur le président, si je me suis tu sur cette situation jusque-là, c’est parce que je comptais sur une résolution définitive de cette crise scolaire afin que l’école malienne soit sauvée avec elle l’avenir de nous les enfants. Mais je dois avouer que je suis sans espoir. Par votre non-respect à la parole donnée, les écoles de nous les orphelins, de nous les enfants de pauvres, restent encore fermées. C’est pourquoi Monsieur le Président, je me dis que le Coronavirus aurait été un fait salutaire pour vous.
Cours à distance
Son excellence, en tant que votre enfant, je vous dois la vérité : je suis déçu de votre gouvernance. Vous parlez de cours à distance. Comment nous les pauvres allons réussir à suivre ces cours à la radio, à la télé, via internet ?
Je me dis que ces cours ne sont pas organisés pour nous. Car vous n’êtes pas sans savoir que si nous ne sommes pas à l’école, on est obligé de prêter main-forte à nos parents. Ainsi, s’asseoir devant un post téléviseur pour suivre des cours ne peut être traduit que comme un début de fainéantise. Car personne ne te croira. Vous savez la raison ? Parce que la télévision n’est qu’un moyen de divertissement pour nos parents.
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Pour ce programme de cours à distance, je n’ai pas pu m’empêcher des larmes dans les yeux. Car comment mes autres camarades restés au centre dans l’insécurité vont suivre ces cours ?
Revoir la façon de travailler
Monsieur le président, je vous demande de redescendre sur terre pour voir la réalité en face. Ce n’est pas avec votre politique de sauvetage de l’année que vous sauverez ce pays. L’école des pauvres est malade, elle est même en agonie. Il convient de la sauver. Mettez d’abord les enseignants dans les meilleures conditions de vie et de travail, et vous sauverez les orphelins du Mali, les fils de pauvres de ce pays.
Quant aux cours à distance, je ne m’y oppose pas. C’est une bonne politique en phase avec l’évolution du monde. Mais ne serait-il pas mieux de procéder au préalable à une large campagne de sensibilisation sur tout le territoire national ? Celle-ci pourrait permettre aux uns et aux autres de mieux s’approprier de cette initiative. En plus, il convient de former les enseignants à ce nouvel outil pédagogique. Pour ce faire, il faudrait non seulement organiser des formations sur les Technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement (TICE), mais aussi insérer ce programme dans le cursus de formation des enseignants.
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Son excellence, je ne suis qu’un enfant confus face à son avenir sombre. Je ne sais pas parler et sûrement je ne sais rien des réalités de la gouvernance étatique. Mais je sais ce que je traverse, ce que les enfants des pauvres traversent. Je vous prie de bien vouloir vous rappeler de nous qui n’avons aucun autre moyen, aucun autre espoir que de faire de bonnes études qui nous permettront de nous ouvrir à l’avenir.
Togola Fousseni
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