Au Mali, le féminicide est devenu un fléau insidieux qui se propage, laissant derrière lui un lourd tribut de vies détruites et de familles brisées. Malgré les efforts des organisations et des militants, le combat pour mettre fin à cette violence meurtrière est loin d’être gagné.
Dans les rues animées des villes maliennes et dans les paisibles villages ruraux, des femmes et des filles sont confrontées à une réalité terrifiante : celle du féminicide, une forme extrême de violence basée sur le genre. Entre récits de survie poignants et appels désespérés à l’action, le Mali se trouve à la croisée des chemins, confronté à un défi urgent et vital : protéger ses femmes et mettre un terme à cette spirale de terreur domestique.
Les violences conjugales persistent depuis des années. Le mode de fonctionnement, la religion et la culture du pays, ainsi que les différentes ethnies, contribuent à maintenir une société patriarcale dominée par les hommes.
Bien que certaines personnes considèrent les efforts des associations féminines comme un simple gagne-pain ou une imposition des institutions internationales, la réalité est que sans un cadre juridique adéquat, les VBG continueront à prospérer dans notre société, avec une augmentation des scènes d’atrocités.
Au Mali, les chiffres sont encore plus alarmants. Selon le système d’information sur les violences basées sur le genre (GBVIMS), les cas de violence basée sur le genre (VBG) signalés ont augmenté de 49 % en 2022 par rapport à 2021, 98 % concernant des femmes et des filles. Toujours selon le même rapport du Système de Gestion d’Information liée aux VBG de l’UNFPA, le Mali a enregistré en 2022, 14 264 cas de VBG.
La vie de Assitan Sow sauvée par ses enfants
De plus, 14 % des personnes survivantes sont des femmes et des filles en situation de handicap. Une analyse des données secondaires provenant des centres de santé, y compris les One Stop Centers, confirme cette réalité atroce, illustrée par le cas de Assitan Sow, une jeune femme handicapée vivant à Ségou. Elle se souvient du soir où elle a échappé à son mari qui voulait mettre fin à sa vie. « J’étais mariée à un homme physiquement normal, contrairement à moi, qui abusait de mon handicap car il dépendait de moi. Après un an de mariage, il m’a annoncé qu’il voulait convoler en seconde noces et m’a demandé de lui prêter de l’argent pour son mariage, sous prétexte que mon handicap l’empêchait d’être satisfait en tant que mari », confie la jeune dame souffrant d’un handicap.
Le refus d’Assitan Sow a entraîné des coups de fouet de la part de son mari, qui a également volé son argent. Mais les choses ont empiré : « Un soir, il a pris un couteau. Tout le monde dormait. Il a essayé de me blesser pour prendre mon argent. Je me suis défendue mais il était plus fort que moi et m’a poignardé dans le dos. J’ai crié », affirme la jeune femme dont la vie a été sauvée par ses enfants, venus à son secours. Cette situation a finalement conduit au divorce, mais Assitan Sow vit encore avec les séquelles de ses blessures au dos.
Le cas d’Assitan est malheureusement courant. Après avoir échangé avec d’autres personnes handicapées, elles déclarent que leurs cas sont ignorés et minimisés, et qu’elles souffrent en silence.
Un coup de pilon sur la tête après un mariage forcé
La plupart des femmes victimes de violences conjugales n’osent pas dénoncer ces crimes, par peur de leur famille, de la communauté ou par crainte de déshonorer leur famille, entre autres raisons.
Considérant l’ampleur du problème, une femme anonyme originaire d’un village près de Ségou a partagé son témoignage. « J’ai été mariée de force à l’aîné de mon cousin par ma tante (la sœur de mon père) qui était en exil. À son retour, il m’a montré qu’il ne m’aimait pas et qu’il avait déjà une relation avec une femme européenne. Mais ma tante a insisté et le mariage a été célébré sans mon consentement », a-t-elle confié.
Après le mariage, deux mois se sont écoulés sans intimité entre le couple. La jeune femme a été rejetée par sa tante à cause des commentaires négatifs de son mari. « J’ai expliqué ma situation à mes parents. Ils m’ont dit que je n’étais plus leur enfant car ils m’avaient donnée à la sœur de mon père dès ma naissance, et qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi. Ma mère, une femme conservatrice, n’a pas pu non plus m’aider », explique-t-elle.
Sans soutien, elle a décidé de rester dans son foyer malgré les abus de son mari et de sa tante. Elle n’avait nulle part où aller car son père lui avait interdit de retourner chez lui, affirmant qu’elle appartenait désormais à sa sœur. Mais le pire était à venir. Son mari, avec la complicité d’une de ses nièces, a tenté de la réduire au silence pour toujours. « Un jour, pendant que nous pilions le mil avec d’autres femmes, sa nièce est venue nous aider. Alors que nous pilions ensemble, elle m’a soudainement frappée à la tête avec un pilon. Le sang a jailli et j’ai perdu connaissance », raconte-t-elle. Après cet incident, malgré le rejet de son père, elle est retournée chez lui, mettant ainsi fin à son mariage forcé.
Bastonnée à mort alors qu’elle était enceinte
Le féminicide est devenu courant dans notre pays ces dernières années, en particulier les actes d’assassinat de conjointes. De nombreuses associations féminines dénoncent ces actes odieux où les femmes sont poignardées, étranglées ou égorgées par leur mari.
Le cas d’une femme qui a échappé à la mort illustre cette réalité. Après des années de mariage paisible, le comportement du mari de Binta T. a changé après une fête à Markala. « Après cette fête, le malheur de Binta T. a commencé. Elle a été battue à coups de fouet, de bâtons et d’objets tranchants. La jeune femme a informé sa famille de la situation mais on lui a demandé de rester dans son foyer par respect pour la tradition. Son mari répétait souvent qu’un jour, il lui écraserait la tête. Malgré ces menaces répétées et brutales, elle est restée. Des années plus tard, après une dispute, son mari a pris une brique et lui a écrasé la tête. Binta est décédée de ses blessures », raconte Keïta Alty Diallo, Coordinatrice du Réseau des Jeunes Femmes Leaders du Mali, REJEFO.
En 2021, environ 45 000 femmes et filles à travers le monde ont été tuées par leur conjoint, partenaire ou d’autres membres de leur famille selon l’ONU. Cela illustre le cas d’une femme au foyer d’une trentaine d’années, dont l’histoire nous est racontée par Alty Keïta, militante de la cause féminine à Ségou.
Il s’agit de Koro D., une femme mariée à un homme polygame, un mécanicien à Ségou. Selon Alty, l’homme maltraitait ses deux femmes, qui cohabitaient ensemble et ne sortaient pas à cause de sa jalousie. Il s’occupait même du marché. K. D. était la deuxième épouse. Pendant sa grossesse, son mari la battait jusqu’au sang, entraînant la perte de son premier enfant. La même chose s’est produite lors de sa deuxième grossesse. Sa famille lui a conseillé de quitter son foyer, mais elle a refusé par peur de son mari, qui la menaçait de la tuer, elle et sa première épouse, si elles partaient.
Durant sa troisième grossesse, K. D. est retournée chez sa famille avec sa mère pour accoucher. Malheureusement, il était trop tard pour sauver l’enfant et sa mère, qui avaient été victimes d’une autre violente attaque de son mari. Traumatisée, elle n’arrêtait pas de mentionner le nom de son mari à l’hôpital, rappelant ses violences à chaque grossesse. Quelques heures plus tard, elle est décédée, entraînant la mort de son enfant à naître en raison de complications liées à la grossesse. La famille de la défunte a pris en charge les frais funéraires, sans porter plainte contre le mari.
Les autorités sont interpelées
Face au nombre croissant de survivantes de féminicide, les organisations de la société civile appellent les autorités compétentes à mettre en place un cadre juridique et institutionnel solide pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles, ainsi qu’à sensibiliser le public à ce fléau.
« Je demande au président du Conseil National de la Transition de prendre des mesures sévères contre ceux qui mettent fin à la vie de leur conjoint. La loi doit être impitoyable envers ceux qui ôtent une vie, en particulier celle de leur conjoint », exhorte Alty Diallo, le cœur meurtri.
Tall Kadidia Karim Diarra, Coordinatrice régionale du réseau national des Jeunes Filles et Femmes Rurales du Mali, RENAJFFERM, plaide également en faveur d’un cadre juridique pour punir les maris violents. « Tuer une femme, c’est contribuer à la destruction de l’humanité. Protéger les femmes contre toutes les formes de violences basées sur le genre, c’est contribuer à la sauvegarde de l’humanité », souligne-t-elle, appelant les autorités à mettre en place et à appliquer rigoureusement une loi pour punir les auteurs de féminicide.
Face au nombre croissant de survivantes et de victimes de féminicide, combien de temps faudra-t-il encore attendre pour l’adoption et l’application d’une loi ? L’urgence est clairement manifeste.
En attendant, des femmes continuent de mourir et les autorités sont interpelées !
Fatoumata Z. Coulibaly, correspondante à Ségou
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