Du sud-ouest malien à l’orée du Sénégal oriental, le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) redessine silencieusement les contours de son influence. À coups de sermons insidieux, d’incursions ciblées et de trafics bien huilés, le groupe djihadiste trace sa route vers la Mauritanie et le Sénégal. Une nouvelle géographie de la menace s’installe.
Il y a des bruits que seules les pistes poussiéreuses de Kayes entendent. Ce ne sont pas les moteurs des 4×4 des douaniers, mais ceux plus discrets — et souvent plus meurtriers — des pick-up du JNIM. En moins de trois ans, cette région frontalière est devenue le théâtre d’un basculement lent, mais méthodique orchestré par la Katiba Macina, filiale active d’un JNIM qui ne se contente plus du centre malien, révèle un rapport du Timbuktu institute.
Une emprise tentaculaire et silencieuse
Ce que révèle ce dernier rapport d’analyse sur la zone des trois frontières — Mali, Mauritanie, Sénégal — n’a rien de surprenant pour ceux qui scrutent les mouvements du djihadisme sahélien : le JNIM a changé de tempo et de territoire cible. Sa stratégie ? Infiltrer, enrôler, contrôler. Ses méthodes ? Vols massifs de bétail, taxation dans les zones minières et forestières, et endoctrinement soft, mais efficace à travers les prêches. Son but ? Élargir son emprise économique et idéologique, sans entrer immédiatement en guerre frontale avec les États voisins.
Dans les sous-bois de la Falémé et jusque dans les marchés de bétail de la région de Kayes, le JNIM ne se cache plus, indique le rapport. Il encadre les trafics, prélève sa dîme et tisse des liens communautaires là où l’État est absent. Le rapport mentionne l’implantation de structures parallèles de gouvernance, imposant ses propres lois, fiscalités et « protections » aux communautés locales. À travers l’économie informelle, le groupe devient un acteur incontournable du commerce transfrontalier, surtout entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal.
Kayes-Bakel, corridor stratégique
L’axe Kayes-Bakel devient ainsi le talon d’Achille d’une sécurité sénégalaise pourtant vantée pour sa solidité. L’attaque de février 2025 à Melgué, à quelques kilomètres de la frontière, qui a coûté la vie à trois soldats maliens, n’est pas un cas isolé, mais le symptôme d’une stratégie d’encerclement de Bamako, et de test de résistance des périphéries sénégalaises. Le port de Dakar, par lequel transite une grande partie des importations maliennes, devient indirectement concerné par cette pression djihadiste.
Le Sénégal, pays souvent cité en exemple pour sa résilience religieuse et sociale, n’est pourtant pas hors d’atteinte. Si la doctrine soufie y reste dominante, l’idéologie salafiste s’infiltre dans les failles d’un système de castes toujours vivace dans l’est du pays, et où les frustrations sociales liées à l’orpaillage ou à l’accès à la terre deviennent des points d’appui pour les discours djihadistes. Le chômage des jeunes, les soupçons de collusion entre élites locales et compagnies minières étrangères — notamment chinoises — forment un cocktail explosif.
La Mauritanie, entre illusion de stabilité et réel danger
Du côté mauritanien, les vastes étendues désertiques et l’accueil de réfugiés maliens facilitent les déplacements discrets d’hommes et de marchandises. Le JNIM s’y positionne comme un fournisseur de protection et d’opportunités économiques dans les zones délaissées. Son agenda : installer des « couveuses » locales, recruter en silence, et préparer l’avenir.
Le rapport, lucide, mais sans alarmisme inutile, trace des pistes. Renforcer la présence militaire dans les zones frontalières, oui. Mais aussi réinvestir le champ économique, écouter les communautés locales, et éviter que l’État ne soit vu comme un prédateur plutôt qu’un protecteur. Car le JNIM n’impose pas seulement la terreur. Il offre aussi des « solutions » là où les autorités ont déserté.
Ce qui se joue dans les confins de Kayes n’est plus seulement une affaire malienne. C’est l’avenir sécuritaire d’une sous-région entière qui se dessine dans le sable et le silence des frontières.
A.D
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