Le Mali, en exigeant le retrait des bases françaises, a initié une vague de ruptures en Afrique, redéfinissant les rapports de souveraineté avec Paris et montrant la voie à d’autres nations du continent.
Depuis plusieurs années, les bases militaires françaises en Afrique, autrefois perçues comme des gages de stabilité et de coopération, sont devenues des symboles controversés d’ingérence et de dépendance postcoloniale. Le Mali, en décidant de rompre avec la France en 2022 et en dénonçant les accords de défense, a marqué un tournant. Aujourd’hui, des pays comme le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et le Sénégal empruntent la même voie, affirmant leur souveraineté et exigeant le retrait des forces étrangères. Mais cette dynamique soulève une question centrale : le Mali a-t-il, par sa rupture brutale avec Paris, montré aux autres États africains comment regagner leur indépendance stratégique ? Ou a-t-il simplement enlevé à la France sa « couverture » d’alliée fiable et indispensable dans la région ?
Le Mali, déclencheur d’une vague de révoltes diplomatiques
La décision malienne de demander le départ des troupes françaises en 2022 a constitué un acte de défiance sans précédent. En dénonçant les accords de coopération militaire et en mettant fin à l’opération Barkhane sur son sol, Bamako a ouvert une brèche. « Nous refusons d’être des vassaux dans notre propre maison, » avaient déclaré à l’époque les autorités maliennes. Ce geste a galvanisé d’autres pays, comme le Burkina Faso et le Niger, qui, face à l’échec des stratégies militaires internationales pour contenir le terrorisme, ont choisi de suivre l’exemple malien.
Le Mali n’a pas seulement pris cette décision pour des raisons stratégiques, mais aussi pour des raisons symboliques : il s’agissait de reprendre en main son destin et de redéfinir sa souveraineté dans un contexte international où l’Afrique cherche à diversifier ses partenariats. Les alliances avec de nouvelles puissances comme la Russie ou la Chine ont été perçues comme des alternatives à la tutelle militaire française. En agissant ainsi, Bamako a indirectement poussé d’autres pays à évaluer leurs propres relations avec Paris, soulignant la pertinence d’un modèle de souveraineté africaine affranchie des schémas traditionnels.
Un effet domino ou une réponse à des frustrations collectives ?
Le Burkina Faso et le Niger ont emboîté le pas au Mali, dénonçant à leur tour les accords de coopération militaire avec la France. Plus récemment, le Sénégal et le Tchad ont rejoint ce mouvement. En novembre 2024, les présidents Bassirou Diomaye Faye (Sénégal) et Mahamat Idriss Déby Itno (Tchad) ont clairement exprimé que « la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires étrangères. » Ces déclarations illustrent un rejet croissant d’une présence française perçue comme paternaliste et inefficace.
Cependant, il serait réducteur de considérer que le Mali est l’unique déclencheur de cette vague de contestation. En réalité, ces revendications traduisent des frustrations accumulées au fil des années : l’échec des stratégies militaires contre le terrorisme, l’ingérence dans les affaires intérieures et le mépris perçu des aspirations locales par les élites parisiennes. La décision malienne a certes été un catalyseur, mais elle s’inscrit dans un contexte plus large où de nombreux États africains aspirent à redéfinir leurs alliances et à s’émanciper des relations asymétriques héritées de la colonisation.
La France, victime d’une perte de crédibilité
Pour la France, ces départs successifs traduisent une remise en cause profonde de son rôle en Afrique. Longtemps vue comme une alliée incontournable pour la sécurité régionale, Paris se retrouve isolée face à un rejet collectif. Le rapport Jean-Marie Bockel, remis récemment au président Macron, préconisait un partenariat « coconstruit et renouvelé. » Mais force est de constater que la défiance généralisée rend ce processus de reconfiguration difficile.
Le Mali, en dénonçant le modèle français, a également exposé les limites de l’approche militaire : les décennies de présence française n’ont pas empêché l’expansion du terrorisme dans la région. Ce constat a retiré à Paris la « couverture morale » qu’elle utilisait pour justifier sa présence. Aujourd’hui, la France doit non seulement réinventer son rôle, mais aussi répondre à une question cruciale : peut-elle encore être perçue comme un partenaire fiable dans un continent en quête d’autonomie stratégique ?
Vers une souveraineté africaine collective ?
Le Mali a peut-être montré une voie, mais il appartient aux autres pays africains de décider si cette trajectoire est viable. La souveraineté ne se limite pas à dire non à une puissance étrangère : elle exige de construire des institutions solides, de diversifier ses partenariats et de proposer des alternatives crédibles. La Russie, la Chine ou les BRICS offrent des opportunités, mais elles ne doivent pas être des substituts à une dépendance, qu’elle soit militaire ou économique.
Ce mouvement de rejet des bases françaises pourrait être une opportunité pour l’Afrique de réinventer ses relations internationales sur des bases multilatérales et respectueuses. Mais cela exige également une introspection de la part des élites africaines : sont-elles prêtes à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour garantir une souveraineté véritable ?
Si le départ des bases militaires est un premier pas, la construction d’une souveraineté durable reste un défi monumental. Ce qui est certain, c’est que l’Afrique entre dans une nouvelle ère où chaque État est appelé à redéfinir son rôle sur l’échiquier international. Et dans cette quête de souveraineté, le Mali aura été, pour le meilleur ou pour le pire, l’étincelle qui a rallumé la flamme.
Oumarou Fomba
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