L’histoire, dit-on, est la plus exigeante des maîtresses. Elle n’accorde sa clémence qu’à ceux qui acceptent d’apprendre d’elle. De la Chine de Mao Zedong au Mali du général Assimi Goïta, deux époques, deux contextes, deux civilisations – mais une même obsession : reconstruire un pays jadis humilié, affaibli, morcelé, en lui redonnant la maîtrise de son destin. La révolution chinoise fut un chemin de souffrance ; la refondation malienne, elle, est un chemin de lucidité. Les deux procèdent d’un même impératif : celui de la souveraineté retrouvée.
Lorsque Mao Zedong proclama la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, il ne promettait pas le confort. Il annonçait plutôt la douleur. Pendant une décennie, son peuple connut la faim, la peur, les purges et la désillusion. Le Grand Bond en Avant — qui devait transformer des paysans en sidérurgistes et une nation en empire industriel — se mua en catastrophe.
Mais, sous les cendres de cette tragédie, la Chine comprit qu’aucune souveraineté ne se gagne sans discipline collective, sans sacrifice, sans solidarité et sans endurance nationale. Aujourd’hui, dans le Sahel, c’est ce même principe, transposé au XXIᵉ siècle, que le Mali réapprend à incarner.
Le Mali et la tentation du Bond en Avant
Depuis 2020, Bamako avance à contre-courant du monde, frappé par des sanctions « illégales, illégitimes et inhumaines », fragilisé par la guerre qui lui a été imposée depuis plus d’une décennie par des partisans du chaos contrôlé, mais mû par la certitude qu’il faut se reconstruire par soi-même ou disparaître. Le général Assimi Goïta, à sa manière, mène une révolution silencieuse – non pas idéologique, mais souverainiste. Là où Mao exaltait la dictature du prolétariat, Goïta exalte la « dictature » du devoir national : celle d’un peuple qui refuse d’être administré depuis l’extérieur.
L’armée malienne n’est pas la Garde rouge, mais elle porte la même fonction symbolique. Car elle est aussi un instrument de régénération, un levier de refondation. Dans les casernes comme dans les villages, la conscience se forge. Dans ces endroits comme dans beaucoup d’autres, les uns et les autres commencent à comprendre que la souveraineté ne se décrète pas, mais qu’elle se construit dans la rigueur, la patience et parfois la douleur.
Du chaos à la reconstruction : la leçon chinoise
La Chine de Mao a saigné pendant dix (10) ans pour renaître. Ses campagnes ont été vidées de leurs forces, ses villes purgées de leurs élites, mais de ce chaos est née une structure d’État qui, quelques décennies plus tard, sous Deng Xiaoping, allait propulser le pays vers la première place mondiale.
Le Mali, lui aussi, traverse son moment dialectique : entre l’effondrement et la renaissance. Le terrorisme a érodé ses territoires, les sanctions économiques d’organisations sous-régionales inféodés aux parrains du terrorisme international, mécontents de leur départ du Mali et des pays du sahel, et donc de la fin de leur entreprise machiavélique dans ces zones, ont paralysé son commerce. Mais dans cette épreuve, un instinct collectif émerge : celui de ne plus confier son destin aux autres. C’est dans cette dynamique que les autorités maliennes de la transition ont ouvert dès leur arrivée au pouvoir un vaste chantier de refondation de l’État du fond en comble. Des réformes qui touchent jusqu’au comportement des citoyens. Car comme préfère le rappeler à juste titre le président de la transition, « il n’y a pas de Mali Kura sans le maliden kura ». Il faut refonder l’État en même temps que les citoyens afin d’éradiquer des maux qui entravent le développement du pays depuis des décennies, à savoir des pratiques de mauvaise gouvernance qui dilapidaient les fonds publics ou pire les extravertissaient.
Les autorités maliennes ont donc entamé par refonder la loi fondamentale du pays. En juillet 2023, une nouvelle constitution a été adoptée afin de prendre en compte les nouvelles orientations du pays et le propulser au niveau des autres nations émergentes. Dans le secteur économique et financière, plusieurs réformes ont eu lieu, dont la relance des industries et entreprises (COMATEX, UMPP, etc) à l’arrêt depuis belle lurette. Il faut noter aussi la relance du chemin de fer mais aussi la réforme du Code minier et de son Contenu local afin d’augmenter les marges de l’État dans les entreprises minières.
Aussi sur le plan de la défense et de la sécurité, le pays a directement entamé la dénonciation des accords léonins qui sous-traitaient sa sécurité. Ce qui a rapidement nourri des adversités visant à saboter le grand Bon en avant enclenché par les autorités maliennes de la transition. Mieux, la création du bloc tryptique avec le Niger et le Burkina Faso, dans le cadre de la Confédération des États du sahel (AES), créée le 6 juillet 2024, avec comme mission la restauration de la sécurité et le développement de ces nations sahéliennes longtemps victimes de la mainmise extérieure, a aggravé les choses.
Comme la Chine, le Mali comprend donc que la souveraineté est un processus, non un slogan. Que la fierté nationale exige des fondations solides : école, armée, industrie, livre, et conscience historique. C’est dans cette dynamique que le président de la transition a entamé la rénovation des établissements scolaires du pays dès son investiture. Cette rénovation a concerné aussi bien les fondamentales que les secondaires, notamment les lycées afin de créer plus de conditions d’études pour les élèves.
La souveraineté comme école de douleur et de dignité
Entre Mao et Goïta, il y a un demi-siècle et un monde de différences. Mais il y a aussi une vérité commune : toute refondation est une épreuve initiatique. La Chine a survécu à la famine, à la peur, à l’isolement international pour devenir la deuxième puissance mondiale. Le Mali, lui, affronte la pénurie du carburant, la guerre asymétrique, la reconstruction de l’État, également la tentative désespérée d’isolement international.
Les routes sont différentes, mais la destination reste la même : la maîtrise de son destin. Et si le Grand Bond en Avant a coûté à la Chine des millions de vies, il a aussi forgé un caractère national inébranlable. Le Mali, fort de sa mémoire, choisit la voie de la patience, de la cohésion et du savoir.
Les nations ne se construisent pas dans la facilité. Elles s’éprouvent dans la faim, dans la peur, dans le doute. Le Mali d’aujourd’hui, comme la Chine d’hier, apprend à vivre debout dans un monde qui le préfère à genoux. Mais là où Mao imposait le silence, le Mali choisit la conscience. C’est là toute la différence entre la révolution et la refondation : la première consume, la seconde éclaire.
Entre l’ombre de Mao et la lumière de Bamako, il y a la même leçon universelle : aucune douleur n’est vaine quand elle accouche d’une souveraineté lucide.
Chiencoro Diarra
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