Au Mali, la hausse du prix du ciment soulève une question brûlante : s’agit-il d’un simple effet logistique ou d’un sabotage orchestré par des acteurs hostiles à la nouvelle réglementation sur les surcharges ?
Le Mali a ses fièvres lentes. Il en est une, cette fois, qui ne vient ni du front sécuritaire, ni des soubresauts diplomatiques, mais des entrepôts, des chantiers, des sacs de ciment empilés sous un soleil sans fin. Une fièvre minérale, silencieuse et granuleuse, comme les particules grises que l’on mélange à l’eau pour bâtir. Le prix de la tonne de ciment grimpe, et dans la poussière des chantiers à l’arrêt, une question flotte : à qui la faute ?
Officiellement, tout commence par une réforme. Une de plus, dans ce Mali en refondation permanente. Le gouvernement, dans un souci de bon sens routier, impose le respect des gabarits. Fini les camions ventrus, gorgés jusqu’à la tôle. Fini les convois surchargés qui assassinent les routes à coups de pneus lents. La route, dit-on, est un patrimoine national. Elle doit être préservée.
L’argument technique… et l’odeur du soupçon
Sur le papier, la logique est imparable. Moins de charge par voyage, plus de voyages pour la même quantité. Les coûts logistiques grimpent, les prix s’ajustent. Et voilà comment la tonne de ciment, naguère vendue à 105 000 F CFA, atteint aujourd’hui 120 000 à Koulikoro, frôle les 130 000 à Bamako, pendant qu’à Kayes, curieusement, elle reste sage à 78 000 F CFA.
L’économie explique beaucoup, mais pas tout. Et surtout, elle n’explique pas les silences. Car dans les marges de cette hausse, une hypothèse glisse d’entrepôt en entrepôt : celle d’un sabotage déguisé en répercussion logique. Une réponse, à bas bruit, d’acteurs économiques privés à une décision publique qu’ils n’ont ni choisie, ni digérée.
Une guerre sourde
Pendant des années, les transporteurs maliens ont bâti un empire de rentes sur les excès de tonnage. Des bénéfices muets, une économie parallèle, des marges confortables. Et voilà que la Transition, dans sa volonté de moralisation et de restauration de l’autorité, vient briser ce pacte informel entre tolérance et profit.
La réponse n’a pas été politique. Elle a été tarifaire. Il n’y a pas eu de tribune, pas de pétition. Juste un glissement des prix, un resserrement de l’offre, une raréfaction qui punit sans tirer. Et si l’augmentation actuelle du ciment était une manière détournée de montrer à l’État ce qu’il en coûte de déranger l’habitude ?
Dans un pays où la pénurie peut être plus organisée que l’abondance, toute hausse devient suspecte. Et celle-ci, en pleine période de relance économique, avec un Code minier rénové, une politique de contenu local affirmée, et des projets d’autonomie industrielle en germe, ressemble à un tir d’avertissement.
Du béton pour construire… ou pour bloquer ?
Il y a quelque chose d’ironique à voir le ciment devenir un révélateur politique. Lui, si banal, si muet, devient, sous les chiffres, un outil de bras de fer. Une arme économique dans une lutte pour le contrôle : celui de la réforme par l’intérêt, celui du long terme par le court terme.
La Transition malienne veut rebâtir l’État. Elle rêve de souveraineté industrielle, d’infrastructures durables, d’un Mali qui s’appartient. Mais elle découvre, comme d’autres avant elle, que réformer, c’est affronter. Et que le prix à payer ne se compte pas qu’en CFA.
L’augmentation du ciment n’est peut-être pas une crise. Pas encore. Mais c’est un signal. Un de ces mouvements lents qui, dans les marges, dessinent les limites d’un pouvoir. Pas celles des discours, mais celles de l’emprise réelle sur les forces économiques.
Il y a, dans chaque sac de ciment plus cher, la trace d’un refus. Le refus, discret mais têtu, d’un ancien monde qui ne veut pas céder.
A.D
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