Le retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO au profit de l’AES marque une rupture historique. Il témoigne de la divergence des vues sur la souveraineté, la sécurité et la gouvernance en Afrique de l’Ouest, tout en posant les bases d’un nouvel ordre régional.
La fracture entre l’Alliance des États du Sahel (AES) — composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger — et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est une divergence fondamentale dans la vision de la gouvernance, de la souveraineté et de l’avenir des relations régionales. Actée pour le 29 janvier 2025, cette sortie officielle des trois États de l’AES de la CEDEAO, comme le rappelle le dernier sommet d’Abuja, le 15 décembre 2024, est un tournant majeur dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest.
« Une décision irréversible pour la souveraineté »
Dans une déclaration ferme, le 22 décembre 2024, les chefs d’État de l’AES ont souligné que leur retrait de la CEDEAO vise à « poser les bases d’une souveraineté pleine et entière ». Ils dénoncent une organisation qu’ils jugent éloignée de ses principes fondateurs d’intégration économique et de coopération régionale. À leurs yeux, la CEDEAO est devenue un « instrument d’ingérence extérieure », au service d’intérêts qui ne reflètent pas les priorités des populations sahéliennes.
La déclaration réaffirme que cette sortie n’est pas une fuite en avant, mais un choix stratégique : « Nous sommes résolus à bâtir une confédération qui incarne nos valeurs, nos priorités et notre volonté de sécurité et de prospérité. » Une posture qui reflète une ambition claire : construire un avenir indépendant, loin des contraintes imposées par une CEDEAO souvent perçue comme une organisation des élites plutôt que des peuples.
La CEDEAO entre médiation et stratégie de contingence
Face à cette décision, la CEDEAO a opté pour une réponse double : la prolongation des médiations avec les États sahéliens et l’élaboration d’un plan de contingence pour gérer les implications du retrait. Lors de son sommet à Abuja, elle a fixé une période de transition jusqu’au 29 juillet 2025, laissant « les portes ouvertes » à un éventuel retour.
Cependant, l’approche de la CEDEAO semble trop tardive. La rigidité dont elle a fait preuve par le passé, notamment à travers des sanctions économiques et financières sévères, a contribué à creuser un fossé profond avec l’AES. Malgré les médiations confiées à Faure Gnassingbé et Bassirou Diomaye Faye, les États de l’AES restent clairs : « Notre décision est irréversible. »
Un modèle alternatif en construction
L’AES n’a pas seulement quitté la CEDEAO, elle propose une vision nouvelle pour la région. Dans un communiqué en date du 13 décembre 2024, l’AES a mis en avant des initiatives concrètes visant à renforcer l’intégration entre leurs trois nations. La libre circulation des personnes et des biens, l’harmonisation des documents de voyage et l’opérationnalisation d’une force militaire unifiée sont autant de projets qui traduisent une ambition pragmatique et souveraine.
« La satisfaction des aspirations profondes de nos peuples est notre priorité absolue, » affirment les gouvernants de l’AES. Cette vision s’inscrit dans un esprit panafricain, cherchant à montrer qu’il est possible de concilier autonomie régionale et développement partagé.
La sécurité, une priorité divergente
Sur le plan sécuritaire, la divergence entre l’AES et la CEDEAO est flagrante. Alors que la CEDEAO mise sur des mécanismes multilatéraux, comme son Plan d’action 2020-2024 pour l’éradication du terrorisme, l’AES privilégie une approche coordonnée et autonome.
Les succès enregistrés par les forces unifiées du Mali, du Burkina Faso et du Niger sont salués par leurs dirigeants comme des preuves de l’efficacité de cette stratégie. « Notre collaboration sur le terrain démontre que la sécurité de nos peuples peut être garantie par nos propres moyens, » déclarent-ils, en réponse aux critiques sur leur capacité à assurer la stabilité.
Maintenir des relations bilatérales pour protéger les populations
Malgré cette rupture, les États de l’AES insistent sur leur engagement à préserver des relations bilatérales avec les membres restants de la CEDEAO. Leur récente réunion ministérielle à Niamey a mis en avant l’importance de la libre circulation des biens et des personnes.
Ce pragmatisme est essentiel pour éviter que cette séparation ne se traduise par des souffrances inutiles pour les populations. Comme le rappelle la déclaration des chefs d’État : « Nos actions doivent toujours refléter notre responsabilité envers nos peuples. »
La CEDEAO, longtemps perçue comme une organisation rigide et éloignée des réalités locales, doit tirer les leçons de cette crise. Si elle persiste dans son approche actuelle, elle risque de perdre encore davantage de membres et de pertinence. « Nous espérons que notre démarche inspirera une refonte des relations régionales, » déclarent les dirigeants de l’AES, laissant entendre que leur décision pourrait être le début d’un bouleversement plus large en Afrique de l’Ouest.
Ce divorce, bien qu’amer, pourrait être une chance de redéfinir l’avenir de la région. Si les deux blocs parviennent à privilégier le dialogue et les intérêts des populations, ce moment de crise pourrait devenir le point de départ d’une nouvelle ère pour l’Afrique de l’Ouest.
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