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Destruction du drone malien : l’Algérie veut protéger ses intérêts géopolitiques

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La crise diplomatique entre le Mali et l’Algérie connaît une escalade inédite avec la neutralisation récente d’un drone malien par l’armée algérienne. Le Mali accuse l’Algérie d’avoir violé son espace aérien en neutralisant un drone de son armée sur son propre territoire. L’Algérie a rejeté ces accusations, affirmant que son espace aérien a été violé par un drone de reconnaissance venu du Mali. Alger a ensuite décidé de fermer son espace aérien aux avions en provenance et à destination du Mali. Bamako a répliqué en adoptant la même mesure. De plus, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont rappelé leurs ambassadeurs en Algérie. Alger a appliqué la réciprocité et procédé au rappel, pour consultation, de ses ambassadeurs dans les trois pays. Qu’est ce qui se cache derrière cette tension entre les deux pays voisins ? L’universitaire Abdoul Sogodogo, spécialisé en relations internationales, apporte des éléments de réponse.

Quels intérêts géopolitiques l’Algérie cherche-t-elle à protéger en abattant un drone malien sur son sol ?

La détermination du lieu où le drone a été neutralisé reste énigmatique, chacun des deux États affirmant que le drone se trouvait sur son territoire. Mais indépendamment de la détermination du lieu, il ne fait aucun doute que l’Algérie cherche à préserver des intérêts géopolitiques au Sahel.

D’abord, elle réaffirme sa volonté affichée d’être reconnue comme puissance hégémonique dans la zone sahélo-saharienne et sa souveraineté territoriale, principe central de sa doctrine sécuritaire. Cette action intervient dans un contexte où elle a intensifié ses efforts de surveillance électronique le long de ses frontières depuis 2023 pour contrer les incursions récurrentes sur son territoire de groupes armés dans la région du Sahel.

Ensuite, Alger vise à préserver sa sécurité intérieure, craignant que la crise sécuritaire au Mali – alimentée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et Daesh – ne déborde vers ses frontières. Pour cela, elle a investi massivement dans un «mur électronique» combinant drones, radars et systèmes de détection.

Enfin, sur le plan diplomatique, l’Algérie défend son rôle historique de médiateur dans le conflit malien, contestant l’influence croissante du Maroc, de la France (Serval, Barkhane) et de la Russie via Africa corps au Mali, perçue comme une menace à son leadership régional.

Peut-on y voir une remise en question implicite par l’Algérie du retrait du Mali de l’Accord d’Alger ?

L’incident reflète indéniablement une défiance accrue de l’Algérie envers le Mali. C’est clairement un acte d’agression militaire par rapport auquel il faut s’attendre à des réactions de la part de Bamako. La destruction du drone peut effectivement être interprétée comme une réaction au retrait progressif du Mali de l’Accord d’Alger.

Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en 2020, le Mali a progressivement abandonné l’Accord d’Alger de 2015, privilégiant une approche militaire appuyée par la Russie et, plus récemment, par l’Alliance des Etats du Sahel (AES), qui réunit le Mali,le Burkina Faso et le Niger.

En ciblant le drone malien, l’Algérie exprime sa frustration face à l’échec de l’Accord d’Alger de 2015, mais surtout sa résistance face à la volonté de l’AES de redéfinir les équilibres sécuritaires au Sahel sans elle.

Rappelons que cet accord avait été signé entre le gouvernement malien et des groupes armés du nord du pays sous médiation algérienne. Il cherchait à restaurer la paix et la réconciliation au Mali en accordant plus d’autonomie aux régions du nord tout en préservant l’unité nationale. Il constituait un cadre clé pour la résolution du conflit malien mais il est fragilisé par des tensions persistantes et une absence de mise en œuvre.

Or, l’Algérie pensait avoir assuré sa prééminence dans la lutte contre le terrorisme au Sahel par sa mainmise sur le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) composé du Mali, du Niger, de la Mauritanie et de l’Algérie. A la suite de cette crise liée à la desruction du drone, le Mali a pécisément annoncé son retrait du CEMOC.

Quels sont les enjeux non-dits qui alimentent la crispation actuelle entre Bamako et Alger ?

Plusieurs enjeux sous-jacents nourrissent les tensions entre les deux pays. D’abord, une rivalité stratégique. En effet, le rapprochement Mali-Russie affaiblit l’influence traditionnelle de l’Algérie, qui se positionnait comme intermédiaire entre le Sahel et l’Occident.

De plus, le réchauffement des relations diplomatiques et économiques entre le Mali et le Maroc renforce la méfiance entre Bamako et Alger. Ensuite, il faut mentionner les intérêts économiques des uns et des autres liés au projet de gazoduc transsaharien (Nigeria-Algérie) qui doit traverser l’espace AES.

Enfin, des perceptions contradictoires de la crise sécuritaire au Sahel persistent entre les deux pays : le Mali accuse Alger de soutenir les indépendantistes touaregs et les djihadistes du JNIM, tandis que l’Algérie dénonce une instrumentalisation de la lutte antiterroriste par Bamako pour justifier l’emploi de mercenaires russes. Ce que les autorités maliennes nient formellement. Elles ont d’ailleurs exigé, dans un communiqué du 24 décembre 2021, que des preuves leur soient apportées par des sources indépendantes. De plus, elles soupçonnent qu’Alger héberge et protège des groupes armés ainsi que des personnalités civiles hostiles au Mali.

Quelles voies diplomatiques pourraient être envisagées pour favoriser une désescalade et relancer le dialogue entre les deux États ?

Pour désamorcer la crise, des pistes diplomatiques peuvent être exploitées. Une médiation multilatérale de l’Union africaine ou d’un partenaire stratégique commun comme la Russie pourrait atténuer les tensions.

Un dialogue profond sur la sécurité frontalière, incluant le partage de données militaires, réduirait également les risques d’incidents et favoriserait la construction d’une nouvelle alliance sécuritaire sahélienne.

Enfin, une coopération – via des projets énergétiques ou infrastructurels – pourrait inciter les parties à modérer leurs alliances avec des acteurs subversifs de la région, notamment les groupes armés indépendantistes, criminels ou terroristes.

Abdoul Sogodogo, Enseignant chercheur en sciences politiques, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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