À Bamako, Niamey et Dakar, les plaques de rues changent pour effacer les vestiges de la colonisation et célébrer les héros locaux. Ce mouvement de décolonisation des noms illustre une révolution silencieuse, où les nations d’Afrique de l’Ouest se réapproprient leur mémoire collective pour affirmer leur souveraineté et leur identité culturelle.
Dans le silence des villes africaines, une révolution discrète est en marche. Elle ne soulève ni cris ni barricades, mais s’inscrit dans un processus de réappropriation, pierre par pierre, plaque par plaque. Des capitales comme Bamako, Niamey ou Dakar effacent peu à peu les traces de la colonisation sur leurs murs et dans leurs rues, offrant à leurs habitants un nouveau cadre symbolique pour penser leur souveraineté.
Des plaques qui racontent une histoire imposée
Pour comprendre l’enjeu de cette décolonisation des rues, il suffit de se promener à Dakar, au Plateau, le cœur politique et administratif du Sénégal. Là, les noms des avenues et des rues – Jules Ferry, Georges-Pompidou, Félix-Faure – racontent une histoire qui n’est pas celle du peuple sénégalais, mais celle de l’administration coloniale française. Cette mémoire imposée, soixante-cinq ans après l’indépendance, est devenue un poids symbolique que les nations d’Afrique de l’Ouest commencent à délester.
À Bamako, un décret diffusé en décembre 2024 a rebaptisé une vingtaine de rues, effaçant les noms de figures coloniales telles que Faidherbe ou Archinard pour les remplacer par ceux de héros locaux comme Mamadou Lamine Dramé, Banzoumana Sissoko ou El Hadj Cheick Oumar Tall. À Niamey, une initiative similaire a redonné à des avenues des noms célébrant la résistance locale et les luttes pour l’indépendance.
Réinscrire l’histoire nationale dans l’espace public
Ce mouvement n’est pas qu’un ajustement cosmétique. Il s’agit d’un geste politique et symbolique d’une portée immense. Rebaptiser une rue, c’est réinscrire dans le quotidien des citoyens une mémoire qui leur appartient. C’est raconter une autre histoire : celle des luttes locales, des figures de résistance et des héros oubliés.
L’avenue de la Cédéao à Bamako, devenue avenue de l’AES en hommage à l’Alliance des États du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso), illustre cette volonté de redéfinir les priorités et les alliances régionales. Ces choix traduisent une quête d’émancipation politique et culturelle qui dépasse le simple cadre des toponymes.
Une révolution silencieuse mais puissante
Décoloniser les rues, c’est bien plus que changer des plaques. C’est une manière de questionner l’héritage colonial et de revendiquer une souveraineté pleine et entière. Dans un monde où l’identité et la mémoire collective façonnent les trajectoires des nations, ces gestes apparaissent comme des actes de rupture avec un passé douloureux, mais aussi comme des jalons pour construire un avenir ancré dans les valeurs et l’histoire des peuples concernés.
Cette révolution silencieuse rejoint d’autres initiatives qui traduisent une dynamique de réappropriation. Le départ des soldats français du Niger, la création de l’AES ou encore les réformes institutionnelles en cours au Mali s’inscrivent toutes dans une logique de redéfinition des relations avec les anciennes puissances coloniales.
Pourtant, cette démarche n’est pas sans susciter des critiques. Certains dénoncent un révisionnisme historique ou des gestes populistes sans impact réel. Mais ces voix, souvent éloignées des réalités locales, sous-estiment la force symbolique de ces changements.
Débaptiser une rue n’efface pas l’histoire, mais réoriente le récit national. C’est un acte de réconciliation avec le passé, où l’on choisit de mettre en lumière des figures et des événements qui célèbrent la résilience et les aspirations des peuples.
Un chemin vers la souveraineté collective
Ce mouvement de décolonisation des rues est une invitation à l’Afrique de l’Ouest à réécrire son histoire, à se libérer des vestiges d’un ordre imposé et à construire une identité tournée vers l’avenir.
Rebaptiser une rue ou une place publique, c’est rappeler que la souveraineté ne se limite pas aux frontières politiques ou économiques. Elle s’incarne dans les récits que les nations choisissent de transmettre, dans les symboles qu’elles portent et dans les valeurs qu’elles projettent sur la scène mondiale.
Cette révolution silencieuse des rues d’Afrique de l’Ouest ne fait que commencer. Elle ouvre la voie à une réflexion plus large sur la manière dont les nations africaines peuvent se réapproprier leur mémoire et renforcer leur souveraineté.
En réécrivant leur histoire dans l’espace public, Bamako, Niamey, Dakar et bien d’autres capitales africaines affirment une identité enracinée dans leurs propres luttes et aspirations. Elles montrent au monde que l’émancipation passe par la mémoire et que chaque plaque remplacée est une pierre ajoutée à l’édifice d’une souveraineté collective retrouvée.
Chiencoro Diarra
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.