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De « pays de merde » à « pays stratégiques » : Trump réécrit l’Afrique

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Dans un monde où la géopolitique se joue au gramme de cobalt près, le président américain opte pour une diplomatie ciblée, minérale et… intéressée. L’Afrique, elle, hésite encore entre partenariat et prudence.

Un déjeuner d’apparence feutrée, des discours calibrés, et pourtant… Un tournant. Le 9 juillet 2025, dans la salle à manger d’État de la Maison-Blanche, Donald Trump — l’homme des superlatifs et des volte-face — réunissait cinq chefs d’État africains pour ce qu’il a lui-même qualifié de « mini-sommet historique ». Un huis clos diplomatique aux allures de chasse aux minerais.

On le croyait définitivement rangé aux oubliettes de l’Histoire, classé dans les annales abrasives de la politique américaine comme une anomalie populiste. Mais voilà que Donald J. Trump, tel le phœnix capricieux du GOP, revient sur le devant de la scène — cravate rouge au vent, rhétorique intacte — pour façonner une nouvelle version de la politique africaine des États-Unis. Et ce, non plus dans le cadre fastidieux et boursouflé des sommets à 54, mais dans un cercle restreint, ciblé, pesé : cinq présidents, cinq cartes stratégiques sur l’échiquier des ressources.

Un casting pensé, un décor maîtrisé

Du 9 au 11 juillet, Bassirou Diomaye Faye (Sénégal), Joseph Boakai (Liberia), Mohamed Ould Ghazouani (Mauritanie), Umaro Sissoco Embaló (Guinée-Bissau) et Brice Clotaire Oligui Nguema (Gabon) ont eu droit à ce que Washington appelle désormais la « diplomatie de proximité ciblée ». Pas de flonflons multilatéraux, pas de déclarations universelles ; juste du concret, du brut, du minéral.

« Des terres de très grande valeur », a lancé Trump, des étoiles dans les yeux — non pas pour la poésie des paysages, mais pour leur contenu en lithium, cobalt, or et manganèse. « Un grand potentiel économique, comme peu d’autres endroits », a-t-il poursuivi. L’Afrique, hier « shithole » country, est aujourd’hui une mine à ciel ouvert aux yeux du milliardaire recyclé en président. Ironie des revirements.

Des minerais, des deals, et peu de morale

En réalité, cette rencontre est moins un sommet qu’un business pitch. L’or libérien, la bauxite de Bissau, l’uranium mauritanien, le zircon sénégalais, le manganèse gabonais : autant d’arguments que Trump brandit pour justifier ce virage économique. Finie l’aide, place au commerce. « Gagnant-gagnant », dit la Maison-Blanche. Traduction : on prend les ressources, vous prenez les promesses.

Dans cette logique, l’USAID est priée de plier bagage. La doctrine Trump est claire : « de la charité à la viabilité ». Comprendre : moins de subventions, plus de contrats. Une philosophie résolument transactionnelle, à l’image de l’homme.

Un sommet, deux ennemis : Pékin et Moscou

Ce mini-sommet ne se comprend pleinement qu’à la lumière de ses absents : la Chine et la Russie. Xi Jinping promet 51 milliards de dollars sur trois ans, Poutine distribue des aides militaires, économiques et manuels de combat en échange de mines et de loyautés. Trump, lui, parie sur le capitalisme nu : deals miniers, infrastructures, avantages douaniers — assortis, il est vrai, de menaces tarifaires en cas d’insubordination.

L’Afrique devient le terrain de jeu d’une guerre froide revisitée. Mais les règles, cette fois, sont dictées par le marché, non par les idéologies. L’administration américaine ne cache plus son anxiété de voir Pékin et Moscou dicter les flux de matières premières stratégiques, alors que la transition énergétique exige un accès garanti à certains métaux.

Entre stratégie et contradictions

Et pourtant, derrière les sourires figés des photos officielles, les tensions couvent. Car pendant que Trump parle de « partenariats », son administration menace d’imposer des droits de douane à l’Afrique du Sud, et d’interdire l’entrée de ressortissants de 25 pays africains, dont quatre représentés à ce sommet. Contradiction ? Schizophrénie ? Ou simplement une stratégie du rapport de force à l’américaine : on invite, on séduit, mais on n’hésite pas à cogner.

Brice Oligui Nguema, tout en diplomatie feutrée, salue « l’opportunité stratégique » d’évoquer la sécurité dans le golfe de Guinée. Joseph Boakai, lui, veut tourner la page de la dépendance à l’aide. Mais tous savent que l’enjeu dépasse leurs présidences. Il s’agit de repositionner leur pays dans le nouveau Grand Jeu des matières premières.

Trump, l’Afrique et les fantômes du passé

On ne referme pas aussi vite les plaies verbales d’un passé pas si lointain. « Pays de merde », avait dit Trump. L’Union africaine avait protesté. Aujourd’hui, les mêmes reviennent à la table. Parce qu’on ne choisit pas toujours ses partenaires. Et que l’Afrique, dans sa realpolitik nouvelle, a bien compris qu’il valait mieux discuter avec celui qui a les clés du coffre.

Mais discuter ne veut pas dire oublier. L’ombre du mépris rôde encore dans les salons d’apparat. Et l’Afrique, plus fière que jamais, n’a pas l’intention de se laisser acheter sans conditions.

L’après-sommet : vers un G20 des ressources africaines ?

Le rendez-vous de juillet préfigure un sommet plus large en septembre à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Cette fois, une trentaine de pays africains sont pressentis. Washington veut faire de ce format un Davos afro-américain, vitrine d’un capitalisme à l’américaine, sans filtre, ni pitié.

Trump redessine les cartes. Reste à savoir si les présidents africains sauront jouer leur main autrement qu’en simples fournisseurs de matière première. Ce sera leur défi. Et notre avenir.

A.D


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