Après des décennies d’accords venus d’ailleurs et des promesses restées lettre morte, Bamako change de cap. Sur proposition du ministre de la Réconciliation, le Conseil des ministres a adopté, le 30 juillet 2025, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale. Un texte fort, voulu par le Président de la Transition, le général d’armée Assimi Goïta, fruit du Dialogue inter-Maliens, et censé devenir le socle d’un avenir à reconstruire — non plus sous injonction extérieure, mais par une volonté nationale retrouvée.
Il y a, dans les silences d’un peuple meurtri, des cris qu’aucun micro n’enregistre, mais que la République, parfois, finit par entendre. Ce mercredi, à la faveur du Conseil des ministres, c’est précisément à cette douleur ancienne que l’État malien a choisi de répondre, en adoptant — sur rapport du ministre de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale — un projet de loi portant Charte nationale pour la Paix et la Réconciliation.
Un texte ? Mieux qu’un texte, c’est un acte de reconnaissance de ce document (projet de charte) remis au président de la transition, le 21 juillet dernier au Centre international de conférence de Bamako (CICB). Mieux qu’un acte, c’est une tentative, sans doute sincère, de reconstruire, pièce après pièce, ce qui fut brisé — et souvent nié.
Une mémoire longue, une instabilité chronique
Depuis l’aurore de son indépendance, en 1960, le Mali n’a cessé de naviguer entre résilience et naufrage. Aux secousses climatiques, financières et institutionnelles, se sont greffées des rébellions périodiques, souvent circonscrites au Nord, mais aux résonances nationales. Leur lot : ruptures du pacte républicain, déplacements de populations, défiance envers l’État, et terrain fertile pour une criminalité transnationale devenue, depuis 2012, le ferment du djihadisme.
Dans ce paysage en miettes, l’Accord est devenu une ritournelle, l’Algérie, un voisin facilitateur devenu presque incontournable, et la paix, un mirage poursuivi à coups de signatures solennelles : Tamanrasset (1991), Bamako (1992), Alger (2006), Ouagadougou (2013), Bamako de nouveau en 2015. Mais à chaque accord, sa désillusion, son impossible mise en œuvre, son cadavre dans le tiroir des compromis non tenus.
Reprendre la main sur le processus
Face à cette fatigue historique, le Président de la Transition, le général Assimi Goïta, a choisi une voie différente, non plus attendre que la paix vienne d’en haut ou d’ailleurs, mais tenter de la construire par et pour les Maliens eux-mêmes.
D’où le lancement, à sa propre initiative, du Dialogue inter-Maliens pour la Paix et la Réconciliation, vaste exercice d’introspection collective où ont été brassées colères anciennes, exigences nouvelles, et surtout, une conviction : la paix ne peut être importée. Elle se forge, à mains nues, sur le socle du pardon partagé.
Selon Ousmane Issoufi Maïga, président de la Commission de rédaction de la charte, le processus, en plus d’avoir été inclusif, a été une « une action d’introspection et d’immersion dans les labyrinthes de notre histoire et les prospectif, de nous projeter dans l’avenir pour le bonheur des générations dédales de notre culture qui nous a également permis, dans un élan futur. »
L’une des principales recommandations issues de ces consultations ? L’élaboration d’une Charte nationale, à la fois guide, boussole et mémoire commune.
Lors de la remise du projet de charte nationale de la paix, au CICB, le président Goïta a expliqué l’importance de ce processus en ces termes : « Après tant de soubresauts, d’incertitudes et de ressentiments, à la suite ou à l’occasion des situations de crises ou de conflits, l’heure est venue de panser les plaies, d’écouter les voix longtemps tues et d’envisager l’avenir sous de meilleurs auspices. »
Une vision affichée, des défis réels
La Charte se veut plus qu’un simple document. Elle se présente comme la pierre angulaire de toutes les politiques de paix, une sorte de Constitution morale de la réconciliation malienne, avec cette vision déclarée : « Une Nation souveraine, réconciliée, tolérante et en paix, dans un État refondé reposant sur une gouvernance démocratique, juste et équitable. »
La promesse est belle, l’intention noble. Mais reste à passer de l’écrit à l’incarné, du symbole à l’action. Car réconcilier, ce n’est pas seulement rassembler les morceaux d’un pays fragmenté, c’est aussi admettre les blessures, reconnaître les fautes, restaurer la confiance. Tels sont d’ailleurs les objectifs de la charte nationale pour la paix, comme le laisse entendre le président en charge de la commission de rédaction : « Les objectifs sont, fondamentalement, la restauration de la paix, le renforcement de la sécurité, le raffermissement de la cohésion sociale et la consolidation du vivre-ensemble à travers la réconciliation nationale. »
Un pari à haut risque, mais nécessaire
En adoptant ce projet de loi, le Mali se dote, pour la première fois, d’un cadre unificateur pour toutes ses initiatives de paix. « En recevant le Projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale, je demeure convaincu que l’espoir est largement permis pour l’accomplissement du rêve collectif des Maliens de bâtir un avenir de paix, de réconciliation et de cohésion sociale. », a déclaré le président de la transition.
Mais, comme toujours au Mali, entre le mot et l’acte, il y a un désert de réalités. Le pari du régime de transition est donc double : faire vivre cette Charte au-delà du papier, et lui éviter le sort des accords précédents — ceux qui dorment dans les archives ministérielles, recouverts de poussière et de regrets.
Un texte, une volonté, un pays à réparer. Voilà la vraie définition de ce qu’on appelle, non sans gravité, la réconciliation nationale. Car le « Le Mali engagé dans la refondation, grande œuvre nationale et salvatrice, a besoin de tous ses enfants. », a indiqué le chef de l’État dans son discours lors de la réception du projet de charte.
Chiencoro Diarra
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