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Afrique–Europe : le sommet du réalisme et des rééquilibrages

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À Luanda, entre promesses renouvelées et ambitions contenues, Africains et Européens ont tenté de redonner souffle à une relation vieille d’un quart de siècle. Plus qu’un sommet diplomatique, celui de 2025 s’est voulu un test grandeur nature pour un partenariat à la croisée des chemins.

Sous le soleil implacable de Luanda, les 24 et 25 novembre 2025, chefs d’État, diplomates et stratèges venus des deux rives de la Méditerranée ont célébré un anniversaire symbolique : 25 ans de partenariat UA-UE.

Mais derrière les sourires et les poignées de main, un constat s’imposait : l’Afrique n’est plus la même, et l’Europe non plus. L’une revendique son autonomie stratégique, l’autre cherche à préserver son influence dans un continent désormais convoité par Pékin, Moscou et Ankara.

Le thème choisi – « Promouvoir la paix et la prospérité grâce à un multilatéralisme effectif » – sonnait presque comme un plaidoyer : celui d’un multilatéralisme de survie, à l’heure où les fractures mondiales se creusent et où les alliances se recomposent.

Un partenariat en quête d’équilibre

João Lourenço, hôte du sommet et président angolais, a donné le ton d’entrée : « Ce partenariat doit désormais se penser d’égal à égal. » Les représentants européens ont acquiescé, parfois à contre-cœur. Car si le discours du respect mutuel s’impose, la réalité des rapports économiques et sécuritaires reste profondément asymétrique.

L’Europe, fidèle à sa stratégie de « Global Gateway » — son contrepoids au rouleau compresseur chinois des Nouvelles Routes de la soie —, a promis 150 milliards d’euros d’investissements sur le continent africain. Mais l’Afrique, de son côté, n’entend plus être une périphérie de la prospérité européenne : elle veut des transferts de technologie, une industrialisation réelle et une part plus équitable dans la création de valeur.

L’ombre du Sahel et la tentation de la souveraineté

Au cœur des échanges, les crises africaines ont plané comme des spectres familiers : Sahel, Soudan, RDC, Corne de l’Afrique. L’Europe plaide pour une stabilité régionale ; l’Afrique, elle, exige désormais la souveraineté dans la gestion de ses conflits.

L’échec des dispositifs de sécurité imposés par l’extérieur – du G5 Sahel à la MINUSMA – hante encore les esprits. L’UA réclame que les opérations de paix africaines soient financées directement par l’ONU, avec un soutien renforcé du Fonds européen pour la paix.

La guerre en Ukraine, omniprésente dans les discussions, a aussi révélé un clivage : l’Afrique refuse de s’aligner, préférant le pragmatisme des alliances multiples au suivisme diplomatique.

Du climat à la connectivité : les nouveaux chantiers

Le sommet a aussi voulu parler d’avenir. L’Afrique et l’Europe se sont engagées à fournir une énergie propre à 100 millions d’Africains d’ici 2030, tout en accélérant la transformation numérique du continent.

Mais derrière ces promesses se cache une bataille d’intérêts : celle des minéraux critiques, du lithium congolais au cobalt zambien, qui alimente les industries vertes européennes. L’Afrique réclame que cette transition écologique ne soit pas un nouveau pacte de dépendance, mais un levier d’industrialisation.

Sur le commerce, la ZLECAf (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) est apparue comme le grand pari africain, encore fragile mais porteur d’espoir. L’Europe, en retour, a promis d’adapter certaines de ses politiques commerciales, notamment sur la taxe carbone aux frontières, jugée injuste par les pays du Sud.

Une Afrique jeune, une Europe vieillissante

Entre les deux continents, le fossé générationnel saute aux yeux. L’Afrique, plus jeune que jamais, aspire à l’emploi, à la mobilité, à la reconnaissance. L’Europe, plus vieillissante, redoute l’immigration mais a besoin de talents et de main-d’œuvre. La question migratoire, abordée avec diplomatie, reste le grand non-dit de ce partenariat.

Les dirigeants africains ont insisté sur l’autonomisation des jeunes et des femmes, tandis que Bruxelles a mis l’accent sur la migration légale et maîtrisée — un euphémisme pour contenir sans fermer.

Un multilatéralisme à réinventer

Enfin, l’appel à une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU et des institutions financières internationales a fait consensus. Les Africains veulent siéger à la table où se décident les règles du monde, et non plus dans la salle d’attente du développement. L’Europe, consciente de la perte de son monopole moral, s’y est montrée favorable… du moins sur le papier.

La déclaration finale, forte de 49 points, se veut ambitieuse. Mais à Luanda, chacun savait que la crédibilité du partenariat UA-UE ne se jouera plus sur les communiqués, mais sur les résultats tangibles. Le continent africain ne veut plus de promesses creuses : il veut des routes, des usines, des emplois, des satellites.

À l’heure où le monde entre dans une ère de compétition globale, le partenariat Afrique–Europe doit prouver qu’il peut encore être une alliance d’intérêt et non de dépendance. Ce sommet de 2025 aura au moins eu un mérite : rappeler que le temps des illusions postcoloniales est révolu, et que l’Afrique, désormais, parle d’égal à égal.

A.D


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