Home InvestigationsAnalyses Affaires des 46 soldats ivoiriens : « L’option diplomatique demeure la plus efficace », selon le politologue Ballan Diakité (interview)

Affaires des 46 soldats ivoiriens : « L’option diplomatique demeure la plus efficace », selon le politologue Ballan Diakité (interview)

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La crise diplomatique entre le Mali et la Côte d’Ivoire, née le 10 juillet dernier suite à l’arrestation de 49 militaires ivoiriens, continue de susciter de nombreux commentaires de part et d’autre. Les deux pays s’attaquent continuellement à travers des communiqués officiels au point que le dialogue devient de plus en plus difficile pour la libération des soldats détenus à Bamako. Sur la question, le politologue-chercheur, M. Ballan Diakité, a livré son point de vue. C’était au cours d’une interview accordée à Saheltribune.com que nous vous proposons de lire.

Sahel Tribune : l’arrestation, le 10 juillet 2022, des 49 soldats ivoiriens à Bamako a créé une tension diplomatique entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Ballan Diakité : l’affaire des 49 soldats ivoiriens découle d’une situation de conflit entre le Mali et certains États africains, vus comme les figures emblématiques de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal. On a assisté à cette affaire parce que tout simplement du côté malien, il y avait cette idée déjà préconçue sur la Côte d’Ivoire vue comme une amie ou une complice de la France. Ce n’est pas un secret en diplomatie, l’ami de mon ennemi est vu comme mon ennemi.

La proximité de la Côte d’Ivoire avec la France ou tout simplement d’Alassane Ouattara avec Emmanuel Macron a été déterminante dans la complication de ce dossier. Sinon on aurait pu gérer cette affaire sans pour autant en faire toute une montagne.

Grâce à la médiation togolaise, trois soldates parmi les 49 ont été libérées le 3 septembre dernier. Les autorités maliennes conditionnent la libération des soldats restants à l’extradition des politiques maliens en exil en Côte d’Ivoire et poursuivis par la justice. Pensez-vous que la voie diplomatique réussira à éteindre ce feu entre ces deux pays ?

On n’a pas le choix. Il faut miser sur la voie diplomatique parce qu’on sait que le Mali est engagé dans une guerre depuis 2012 et qui ne peine à prendre fin. Une guerre contre une rébellion qui, par la suite, a été atténuée par la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger. Nous savons que cette rébellion touareg n’était pas le seul facteur déterminant dans la crise malienne. Le pays fait face aussi à cette guerre contre le terrorisme.

Ces faits permettent d’expliquer pourquoi le Mali n’a pas d’autre choix que d’aller vers la voie diplomatique. Nous sommes engagés déjà sur plusieurs fronts, à travers la lutte contre le terrorisme et les groupes armés. Et nous avons d’autres problèmes nationaux comme la lutte contre la pauvreté et le chômage.

Dans une telle situation, il faut savoir bien gérer ses efforts. L’option diplomatique est donc la plus fiable et déterminante dans la gestion de cette crise diplomatique que nous avons avec la Côte d’Ivoire.

Les acteurs qui sont impliqués dans cette crise, à savoir la Côte d’Ivoire et le Mali, doivent essayer de mettre de l’eau dans leur vin, en cheminant sur la voie de la négociation ou du dialogue en vue de permettre une sortie de crise apaisée.

Au cours d’une réunion extraordinaire du Conseil national de sécurité, le mercredi 14 septembre 2022, les autorités ivoiriennes ont décidé de saisir la Commission de la Cédéao pour traiter cette situation. Que faut-il craindre finalement de cette crise ivoiro-malienne ?

La crise est de plus en plus diplomatique et je pense que c’est ce qu’il faut craindre parce que la diplomatie devrait être la solution. Mais si on voit une extrapolation de la crise, qui au départ était judiciaire, devenir diplomatique, il faut vraiment craindre des débordements. Parce qu’à la base, lorsque les 49 soldats ont été arrêtés au Mali, ils ont été mis à la disposition de la justice malienne. Ce qui est effectivement la voie la plus juste et la plus légale. En matière de justice, nous sommes engagés sur des actes communautaires qui font que le Mali et d’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et les autres pays de la Cédéao sont liés par le traité à la Cour de justice de la Cédéao. Cet organe juridictionnel de la Cédéao a une mission qui transcende la compétence des juridictions nationales. Cette juridiction a une compétence supranationale qui fait que les décisions qui sont prises au niveau de cette juridiction communautaire sont censées s’appliquer de manière directe dans les différents pays membres de l’organisation.

Aujourd’hui, on peut effectivement espérer que, avec la saisine de la Cédéao, des voies juridiques peuvent être mobilisées pour permettre à la justice malienne d’être flexible sur le dossier des 49 militaires. Mais je demeure convaincu que l’option diplomatique demeure la plus efficace. Et c’est sur cette voie que les États doivent plus travailler.

Quel impact peut avoir la tension entre ces deux pays voisins, notamment sur le plan sécuritaire, économique et même social ?

Je dirais que l’impact peut être majeur sur le plan économique, surtout parce qu’on sait que le Mali est un pays enclavé et dépendant énormément de l’extérieur en termes d’importations. Nous importons plus que nous exportons. Compte tenu de notre situation géographique et de notre privation à un débouché sur la mer, nous sommes obligés de faire des transactions avec les États voisins qui nous entourent et qui ont des débouchés sur la mer, notamment la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Guinée.

Aujourd’hui, si la crise s’envenime, cela peut effectivement avoir un impact sur les relations commerciales entre les deux États. Mais on sait bien évidemment que le Mali n’est pas le seul qui soit dépendant de ses voisins. Les autres voisins aussi sont dépendants du Mali en termes d’exportations de bétail par exemple, et même de viande. Le Mali fournit beaucoup de viande à la Côte d’Ivoire.

Nous demeurons donc aussi un État qui a beaucoup à apporter à ses voisins. Quoi qu’il en soit, le moment est mal choisi pour les deux États de faire le choix de laisser cette tension, une crise diplomatique, entraîner des crises économiques et même de défense. L’intérêt suprême des deux États réside dans l’apaisement des relations. Entre le Mali et la Côte d’Ivoire, nous sommes liés par l’histoire. Nous sommes liés par la culture.

C’est dans l’apaisement des relations que les deux États peuvent espérer sur le développement de leurs relations.

En tant que chercheur, que recommandez-vous concrètement pour tourner cette sombre page et faire régner plus de paix dans la sous-région, en l’occurrence entre le Mali et la Côte d’Ivoire ?

Il ne faut pas rompre le dialogue. Une crise, peu importe l’intensité, tant que les calanques demeurent, on peut toujours espérer. Le plus important, c’est de ne pas rompre le dialogue, c’est de travailler en sorte que les intérêts des deux États puissent être préservés et en même temps faire en sorte que les deux États puissent justement travailler ensemble dans la préservation non seulement de leurs intérêts nationaux, mais aussi dans la préservation de l’intérêt des autres États qui les entourent. Je veux parler bien évidemment de l’intérêt communautaire qu’il ne faudrait surtout pas oublier, parce qu’entre les peuples de la CEDEAO, nous sommes les mêmes. Nous sommes des frères et des sœurs.

Propos recueillis par Cheickna Coulibaly

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