Le monde a connu sa plus grande révolution sur le plan épistémologique au XVIIe siècle, avec la révolution scientifique. Cette période a été caractérisée par d’importantes découvertes et innovations qui ont fondamentalement transformé notre rapport-au-monde et nos croyances anciennes.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’humanité a connu sa deuxième révolution : l’industrialisation. Celle-ci a véritablement transformé les sociétés agricoles en sociétés industrielles. Elle se distingue par l’avènement de la machine à vapeur et du métier à tisser mécanique, des innovations technologiques qui ont changé les modes de production et de vie des populations de notre planète.
À ces révolutions épistémologiques, il faut ajouter la révolution darwinienne et la révolution quantique. La première débute à partir de l’ouvrage L’Origine des espèces de Charles Darwin, publié en 1859. Ce texte marque le début d’un véritable progrès dans le domaine des sciences biologiques. La théorie de l’évolution par « sélection naturelle » a considérablement modifié notre compréhension de la biologie et suscité des débats philosophiques et éthiques sur la place de l’homme dans le monde naturel.
La seconde révolution, celle de la physique quantique, émerge au début du XXe siècle. Elle change radicalement notre compréhension de la matière et de l’énergie. Des scientifiques comme Max Planck, Albert Einstein et Niels Bohr ont développé des théories qui défient les notions classiques de déterminisme.
Bouleversement de notre rapport-au-monde
Depuis la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle, l’humanité traverse sa cinquième révolution épistémologique : la révolution numérique. Cette dernière se caractérise par l’avènement d’Internet et des technologies de l’information et de la communication. Avec cette révolution, tout change considérablement : des modes de communication à l’accès à la connaissance. On assiste à une véritable démocratisation du savoir, permise par la diffusion massive et rapide de l’information à l’échelle mondiale, mais aussi à sa manipulation selon divers intérêts. C’est l’ère par excellence de la désinformation et de la mésinformation à outrance. Certes cette pratique a existé bien avant l’avènement du numérique, mais elle n’a véritablement explosé qu’à partir de la présidentielle américaine de 2016, avec Donald Trump, grâce aux facilités de diffusion à grande échelle offertes par la révolution numérique.
Depuis quelques années déjà, cette révolution est entrée dans une nouvelle phase avec l’explosion de l’intelligence artificielle (IA), qui redéfinit notre interaction avec le savoir. Cette technique de « simulation de l’intelligence humaine » s’empare de tous les domaines et anime de plus en plus les débats, depuis 2022, bien qu’elle soit présente parmi nous depuis près d’une décennie. Siri dans les IPhone, les outils de correcteurs d’orthographes tels que Cordial, antidote, ont toujours accompagné les humains dans leurs tâches quotidiennes.
Récemment, la France a tenu son premier sommet sur l’intelligence artificielle pour marquer son emprunt dans cette révolution du savoir bien vrai que Mistral et Chat sont des IA français. Cette avancée scientifique bouleverse notre rapport-au-monde et place l’Homme face à un nouveau défi : non plus seulement maîtriser des outils, mais cohabiter et interagir avec des machines capables d’apprendre.
Quelle place pour l’Afrique dans cette révolution ?
Dans toutes ces révolutions qui ont marqué l’humanité, quel rôle l’Afrique a-t-elle joué ? Quelle place lui a-t-on réservée ?
Le vieux continent, pourtant connu comme le « berceau de l’humanité », n’a été qu’un terrain d’expérimentation, comme elle l’est aujourd’hui face aux effets du changement climatique qui la frappe durement, alors qu’elle contribue moins à la pollution.
Dès le XVIIe siècle, l’Afrique a été un objet d’étude pour les savants européens. À travers de grandes académies, ces derniers ont commencé à s’intéresser au vieux continent. Mais l’Afrique fut dès lors regardée à travers les récits des voyageurs, souvent truffés de préjugés et repris malheureusement par des intellectuels influents. Tel fut le cas de Hegel, qui affirmait que l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire et la qualifiait de « pays de la sauvagerie, de la barbarie et de la sorcellerie ».
Un discours réitéré par Nicolas Sarkozy en 2007, dans son allocution à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il déclarait : « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »
Aimé Césaire a magnifiquement illustré cette situation du continent dans ces vers :
« Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole ;
Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité ;
Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel ;
Mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance. »
Césaire oppose ici le savoir technique et matériel des colonisateurs à la connaissance existentielle et humaine des colonisés. Il souligne que, si ces peuples n’ont pas marqué l’histoire par des inventions, ils portent en eux une mémoire collective de la souffrance et de la résilience.
La révolution IA, une opportunité pour l’Afrique
Pour compenser son retard dans les précédentes révolutions épistémologiques, l’Afrique doit impérativement s’engager dans la révolution numérique et celle de l’intelligence artificielle. Le vieux continent ne doit plus être un simple laboratoire d’expérimentation ou un observateur passif.
Continuer d’expliquer ce retard par les méfaits de la colonisation, notamment des discours négationnistes sur le continent et l’homme africain, qui agissent comme stérilisant, ne suffit plus. Certes, l’histoire a été marquée par l’exploitation, la domination et des discours haineuses souvent rabaissant, mais il est désormais temps d’avancer. L’Afrique doit croire en elle-même et miser sur le développement des compétences numériques, l’amélioration des infrastructures technologiques, le soutien à l’innovation locale, la création de partenariats internationaux équilibrés, et l’inclusion numérique pour tous. Pour y arriver, le continent devra au préalable travailler à la résolution de sa crise énergétique. Car les IA, selon l’avis de plusieurs experts, sont très gourmandes en énergie, parce qu’elle nécessite de grosse data center.
En adoptant ces stratégies, le continent africain pourra non seulement rattraper son retard, mais aussi devenir un acteur majeur de la révolution numérique et de l’intelligence artificielle.
L’Afrique a déjà prouvé, avec l’essor du mobile banking et de nombreuses innovations technologiques locales, qu’elle est capable de tirer parti des nouvelles technologies. Le futur se construit maintenant, et ce futur doit compter sur l’Afrique.
F. Togola
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.